Chapitre 2 :
Je ne suis pas la seule à rester un moment dans la salle de classe. Avec un autre élève très anxieux, on se fit jeter de la salle par notre professeur. On n’avait pas le droit de se battre ici, mais quitte à m’enfoncer, je l’aurais bien tapé.
Je ne pensais pas être aussi anxieuse que je le suis, mais c’est le cas malheureusement. J’eus le temps de me calmer avant qu’un chef me hurle dessus pour que je rentre dans ma salle. À cette heure-là, il n’y a personne dans les quartiers de la cantine que je traverse pour rejoindre celui des adultes où les rares enfants de familles traînent. Je ne suis pas amie avec eux, mais je leur parle de temps à autre. Aucun d’entre eux a mon âge, si cela avait été le cas, j'aurais sans doute un ami. J’échange quelques banalités avec eux et ils me souhaitent bonne chance pour les tests. Je m’isole dans ma salle, celle de notre famille, et je m’effondre sur mon lit. Notre salle est composée de deux pièces : la salle où je suis est meublée d'une table en métal qui me sert à faire les devoirs, aussi d’un lit double et de deux lits simples. L'autre, c'est la salle de bain. Cela fait un moment que le lit de ma sœur ne sert plus, alors je l'ai collé au mien pour avoir plus de place. Mes parents travaillent et ma sœur aussi, elle passe nous voir quelques fois. Léa, ma sœur, est génitrice comme ma mère. Elle habite seule dans les quartiers réservés que pour les adultes. Peut-être qu'un jour, elle reviendra dans notre quartier avec sa propre famille, et moi, je resterais dans son quartier actuel. Néanmoins je ne me sens pas prête à vivre sans mes parents même si je suis solitaire.
Pendant une heure, je reste allongée sur mon lit à penser. Je complexe toujours du métier de ma mère… faire des gosses. Je me demande toujours si une personne que je croise est un de mes demis-frères ou de mes demis-sœurs. Je sais que j'en ai plein, et cela me perturbe profondément. Qui aimerait avoir une famille avec plus d’une centaine de frères et sœurs ? Et après plusieurs années des centaines de neveux et nièces ! Je préfère encore être comme mes camarades, une orpheline en quête d'identité plutôt que d’avoir une famille où on ne se rappelle même plus des prénoms. Pourtant je vis avec le deuxième cas, celui dont je me passerai bien. Je me lève dans un saut lorsque j'entends des voix. Ce sont d'autres adolescents issus de familles.
Pendant une heure, je reste seule à broyer du noir. Les adultes finissent à dix-huit heures, donc mes parents et ma sœur arrivent d’une minute à une autre. Ce n'est pas que je ne les aime pas, mais lorsque l'on est adolescente, on aime avoir plus d'intimité. Pas que je veux être seule non plus… un juste milieu aurait été cool.
Je me demande souvent comment était la vie avant, à la surface. Comment aurait été ma vie si le monde avait été sain et sauf ? Je n’ai pas autant de temps pour réfléchir que celui dont j'ai aujourd'hui. D'habitude je réfléchissais, car je n'arrivais pas à dormir. Et cela sera le cas aussi.
J’entends des rires cristallins et je me redresse dans une position assise, sachant très bien que ma mère me ferait une remarque. La porte s’ouvre et je relève la tête.
Ma sœur est plus grande que ma mère, mais elles portent la même tenue rose moulante avec une décolletée qui me gêne et me force à détourner le regard. La robe s'arrête à mi-cuisse et normalement la tenue est parée de talons hauts roses. Sauf que ma sœur est enceinte de huit mois de jumeaux garçons et ma mère de six mois d’un garçon avec un autre géniteur, pas avec mon père. Toutes les deux ne portent pas de talons. Je fais un sourire forcé en me levant.
— Ah chérie ! Ta période de tests commence, je suis si fière ! s'écrit ma mère en écrasant son gros ventre contre le mien.
Je ressemble à mon père. Ma mère est blonde et fine. Ma sœur est sa copie conforme en plus jeune. Quant à moi, je ne suis pas très grande et châtaine. J'espère que cela serait un coup de pouce pour que je ne sois pas génitrice. Je repousse légèrement ma mère qui tout sourire s’assied sur une chaise alors que ma sœur me prend dans ses bras.
— Tu vas voir, cela se passera bien, murmure-t-elle. Je vais faire des paris avec des amies pour savoir ce que tu deviendras !
— Parier ? Je suis génitrice, tu es génitrice et elle n'a pas une tête d’abatteuse ! Elle sera génitrice.
Je pile net et cache mon désespoir en baissant la tête. Je ne me suis jamais disputée avec ma mère en abordant ce sujet, mais avec mon père oui. Mon père est plus ouvert que ma mère et j’ai plus confiance en lui qu'en elle. Puis on me dit parfois que je dois calmer mes hardeurs… on m’a diagnostiquée des problèmes de colères il y a quelques années. Apparemment on n’a pas le droit d'avoir son caractère ici.
Ma sœur me connaît et sait que j'ai un peu de mal avec tout cela. Elle s’installe à côté de moi et me rassure en posant sa main sur mon épaule.
— Cela ne dépend pas de tes ancêtres, affirme Léa. Juste de toi. Fait juste bonne impression, et ne montre pas que tu te poses beaucoup de questions.
En gros, je dois jouer le jeu. Ma mère revient de la salle de bain avec une robe immonde. Elle est moulante aussi, plus longues jusqu’au genou et sans décolleté. Seule sa couleur turquoise me plaît, mais je me serais passée amplement de la ceinture un poil plus foncé et des rubans incrustés en lacets sur tout le long des bras puis noués en nœud papillon sur les manches. Bien évidemment, le pire n'est pas passé. De son autre main, elle tient une sorte de diadème argent en toc qui fait très gamine… Pourquoi cela tombe sur moi ?
Ma sœur me lance un regard désolé et ma mère éclate de rire en me donnant le vêtement comme s’il est extrêmement précieux.
— Ne fais pas cette tête ! Tu n'es pas très grande mais cela fera ressortir tes formes ! Cela les aidera peut-être à décider de rejoindre la bonne section. Enfile-la !
Ma mère dit cela avec tellement d’enthousiasme. Comme si elle sait ce que mon destin me réserve. Ce que je n’espère pas. Personne ne peut le savoir avant la période de tests.
Je me réfugie un moment dans la salle de bain. Heureusement que je change d'air, car en tant qu'adolescente, je ne supporte plus mon entourage et spécialement ma mère. Je pose le diadème sur ma tête et sors de la salle de bain. Je me regarde face au miroir. Je suis ridicule. Je n'ai pas ma place dans ce si joli vêtement. Même si ma mère maintient le contraire, je sais que ma place n’est pas chez les géniteurs. Ma mère se le persuade mais Léa ne se voile pas la face. Mon père non plus d’ailleurs.
Postée devant le miroir, je suis blasée alors que mère s'agite autour de moi, toute contente de pouvoir me maquiller pour la première fois. Je choisis les couleurs les moins voyantes et refuse qu'elle me fasse une coiffure bien particulière. Je me regarde dans le miroir, j'ai l'impression d'être une bête de foire. Mes cheveux bruns semblent beaucoup trop longs alors qu'ils s'arrêtent à mes coudes et mes yeux verts ressortent beaucoup plus que d'habitude sur ma peau blanche. Je reste debout, choquée devant le miroir alors que ma mère et ma sœur se préparent. Mon père passe avec les mains pleines de sangs pour les rincer. Abatteuse non plus je ne pourrais pas faire. J’adore mon père, mais je ne me vois pas faire son métier. Il revient dans la pièce et se poste derrière moi. Je l'observe dans le reflet du miroir. Il n'a pas pris de douche. Il est encore vêtu de sa tenue de travail : un tablier gris plein de sangs séchés avec un uniforme noir en dessous. Il est brun lui aussi et j’ai hérité de ses yeux.
— Je sais que tu ne vas pas aimer ce que je vais dire, souffle mon père. Mais tu es belle, ma fille.
Je frissonne d'entendre cela. C'est censé être un compliment, mais je n'aime pas cela. Bien sûr qu’à l'adolescence on se soucie des regards des autres et de ceux que l'on aimerait bien retenir l'attention, mais je ne veux pas que cela m'entraîne dans une section où le métier ne me plaît pas. Mais au fond, quel métier me plaît réellement ?
— Après le banquet de la cérémonie d'ouverture, il faut que l'on parle tous les deux. Seuls, quand ta mère sera endormie, m'informe mon père avec une expression très sérieuse.
Ce n'est pas la première fois qu'il me dit cela. Ni la première fois que l'on discute sans maman. À chaque fois, c'est pour quelque chose de sérieux. Cela ne m'étonne donc pas qu’il me dit cela.
Ma mère vient embrasser mon père et le gronde, car il n'est pas présentable. Il se change rapidement et l’on dut partir.
— Que la période de test de notre petite dernière commence ! chantonne ma mère en me serrant fort le bras.
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