Chapitre 3 :
J’aime bien la cantine. C'est une pièce composée de plusieurs meubles, mais elle est très spacieuse. Mais je l'aime seulement lorsqu'elle est vide. Ce soir, elle me paraît encore plus bondée que d’habitude alors qu'il y a le même nombre de personnes. Et je déteste quand toute la population du bunker est rassemblée. Toutes, sauf les occupants de l'asile et les dirigeants qui se cachent.
— Alors Constance ! fit une amie de mon père, abatteuse comme lui et en couple avec un géniteur. As-tu des préférences pour ton avenir ?
— Je… heu… commencé-je, prise au dépourvu. Je ne sais pas vraiment. Je sais ce que je ne veux pas faire, mais je ne sais pas vraiment ce que je veux être.
— Et c’est déjà pas mal à ton âge, ajoute mon père pour venir à ma rescousse. Malheureusement, ce n’est pas toi qui choisis. Ce sont les scientifiques. Tu n’auras sûrement pas ce que tu souhaites.
Je m’en rends bien compte. Je remercie mon père du regard et j’entends un homme qui se positionne devant toute la salle. C’est Henry, un chef qui a l’âge de mon père et qui est ami avec lui qui se charge d’annoncer le début de la période de tests cette fois-ci. Il est très grand et baraqué, comme un peu près tous les chefs qui nous surveillent pour les hauts-dirigeants. Tout le monde obéi lorsqu’il demande le silence. Je lance un regard à mon père qui me sourit et fixe Henry qui s’apprête à parler.
— Géniteur, cuisinier, abatteur, éducateur, chef, scientifique, analysateur, savant, encadreur. Tels sont les métiers que nous avons décidé de créer pour que tout se passe bien ici. Comme chaque fin de mois, chaque individu ayant dix-sept ans, ou allant avoir dix-sept à la fin du mois sont soumis à des tests pour les orienter vers un métier qui leur correspond, et où ils seront le plus performant pour la société.
— Que font les savants et les encadreurs ? me renseigné-je auprès de mon père.
— Personne ne sait, avoue-t-il avec un regard de reproche. Tout ce qu’ils font sont des informations tops secrets. On ne voit que très rarement les encadreurs et je sais juste qu’ils travaillent dans l’asile. Quant aux savants… personne ne sait, ils s’isolent assez des autres et personne n’a aucune information sur ce qu’ils trafiquent.
C’est super bizarre. J’ai raison de penser quelques fois qu’ils nous cachent certaines choses plus ou moins importantes ici. Je reste perplexe et écoute Henry annoncer les prénoms de ceux qui sont soumis aux tests de ce mois. Je ne pensais pas qu’il y avait autant de personnes… j’oublie souvent qu’il y a d’autres classes de personnes qui ont mon âge. Néanmoins, Henry me cite dans les premiers. Je me sens très mal. Je me demande si j’arriverais à dormir avec tout cela… Lorsque le discours d'Henry fut fini, je me lève directement avec une foule de personnes pour sortir le plus vite possible alors que je n’ai même pas fini mon dessert.
— Hey Constance ! Dis-moi, tu pars bien vite dit donc !
Je laisse paraître une grimace d’agacement puis me retourne. Face à Henry, je suis une naine. Il est très gentil, c’est peut-être même le plus gentil chef que je connais, mais je demeure toujours un peu intimidée lorsqu’il me fait la conversation.
— Je ne me sens pas bien, répondis-je penaude.
— Pas la peine de t’inquiéter ! Je suis certain que tout va bien se passer pour toi. Tu finiras dans une section que tu aimeras bien.
— Je l’espère.
Il me fait un clin d’œil et je file retrouver ma salle. Une fois à l’intérieur je me précipite pour aller vomir sur la cuvette des toilettes. Il y a eu quelque chose de mauvais dans la nourriture ce soir. J’espère que ce n’est pas un empoisonnement, car je n’ai pas vraiment envie de mourir ou de finir à l’infirmerie. Cela ne dure pas longtemps, mais assez pour que Léa me rejoigne et me pose une main dans le dos. Je lui assure que tout va bien et que je dois mal digérer quelque chose. Elle embrasse mes parents et repart tout sourire dans sa salle dans le quartier pour adulte. Je tire la chasse d’eau et me relève alors que ma mère s’approche pour vérifier si je ne suis pas en train de tomber malade. Puis elle s’allonge pour dormir. Je me prépare et pose des habits sur ma table de chevet. Je m’allonge dans mon lit mais ne ferme pas les yeux.
Cela fait très longtemps que je ne fais plus de cauchemars, mais j’ai comme la sensation que cela ne serait pas le cas ce soir. Il faut déjà que j’arrive à dormir. La lumière de la pièce s’allume et mon père vient me rejoindre à mes côtés dans mon lit où je lui laisse une petite place alors que ma mère dort profondément. Elle dort souvent très bien pendant ses grossesses. L’habitude j’imagine…
— Comment te sens-tu ? me demande mon père.
— Pas très bien, avoué-je. Je suis très anxieuse je crois. Cela me perturbe déjà avant même que tout mon avenir soit décidé à ma place. Papa, je ne me sens pas prête pour tout cela. Je ne crois pas en être capable.
— Ce que tu viens de dire, chaque personne a dû le penser quand cette période arrive dans leur vie. Et crois-moi, et je ne dis pas cela parce que tu es ma fille, mais je pense que tu es la personne qui arriverait le mieux à t’y faire.
— Est-ce que j’arriverais à rester seule toute la vie sans devenir folle? Ce n’est pas parce qu’il y en a eu d’autre avant moi que j’en suis capable. Je veux dire… je me suis toujours sentie seule toute ma vie, je n’ai jamais eu d’amis et je n’en aurais jamais. Peut-on vraiment réussir à vivre normalement sans devenir fou alors qu’on ne peut compter sur quasiment personne ?
— Pense à ceux qui sont dans l’asile. Ce sont eux les fous.
— Comment peux-tu savoir ? En as-tu connu qui sont dans l’asile ?
— Ils n’étaient pas des amis proches, et je ne sais pas s’ils sont sains d’esprit. Mais il y a bien des raisons pour lesquelles ils seraient dans l’asile. Qu’est-ce que cela pourrait être d’autres à ton avis ?
— S’ils avaient des problèmes de comportements ou je ne sais quoi d’autres de ce genre, on les enverrait beaucoup plus tôt dans l’asile. Peut-être qu’il y a des personnes qui y sont pour cela, mais je ne pense pas… ce sont peut-être les gens comme moi.
— Un ami à moi avait les même problèmes de colères que toi, assure mon père. Il est abatteur comme moi. Ce n’est pas parce que tout le monde pense que tu es dangereuse que tu l’es vraiment. Tu t’es calmée depuis tes derniers excès de colère. Cela fait trois ans que tu n’en as plus fait. Peut-être que les autres te craignent, mais les personnes intelligentes viendront vers toi pour se forger leur propre avis. Cela ne sera plus pris en compte. Seules tes capacités vont définir ce que tu seras.
— Il n’y a pas que cela dont je faisais allusion. Tout cela me dérange tellement… qu’en penses-tu ? Tu trouves cela normal que l’on nous cache des choses ? On devrait savoir tout sur notre situation. Cela ne t’énerve pas ? On vit dans une espèce d’utopie comme si le monde était beau et normal alors que l’on est juste des moutons et qu’on n’est pas libre de faire ce que l’on veut ! On est juste des ignorants. On ne sait rien… on est comme des cons.
— Ne dis pas cela Constance, chuchote mon père. Les dirigeants font sûrement cela pour la bonne cause. Certaines choses doivent sûrement rester cachées pour ne pas affoler les plus faibles. La vie en ce moment n’est pas si simple. Un jour, peut-être que tu comprendras que cela ne sert à rien que tu sois aussi suspicieuse.
— Je n’ai pas confiance en tout cela. Quelque chose ne va pas. Et… je ne vais sûrement pas réussir à dormir de la nuit aussi.
— Cela, je m’en doutais. Tiens. Un ami scientifique m’a donné ses somnifères. Une pour chaque nuit, mais ne les utilise que lorsque tu en as besoin.
Je remercie mon père et le regarde éteindre la lumière et se recoucher. Je file dans la salle de bain et remplie le verre d’eau et je me fixe dans la glace. Est-ce que mon père a raison ? Est-ce que je suis juste une parano ? Peut-être qu’au final tout roule comme il faut, mais je n’en ai pas cette impression… et je l’aurais sûrement jusqu’à ma mort. Je soupire et place le cachet sur ma langue avant d’avaler de l’eau. Je m’allonge, puis plus rien, jusqu’à la première journée de tests.
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