Chapitre 6 :

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J’ai donc passé le reste de la matinée à pratiquer différents sports, comme la musculation ou la course sur un tapis. Je sais que je ne suis pas sportive. Je suis rapidement épuisée mais aussi forcée de continuer car c’est comme cela : je n’ai pas le choix.

Pendant le repas du midi où mes parents et ma sœur me rejoignent, je mange beaucoup, plus que d’habitude. Peut-être même que je n’ai jamais mangé autant de toute ma vie. Si ma mère me regarde avec un sourire au coin, mon père m’observe en me conseillant de prendre mon temps pour avaler les aliments. J’attends que ma mère parte dans une discussion avec ma sœur pour me tourner vers mon père et lui parler à voix basse.

— Je sais que tu as demandé à Henry de me surveiller, commencé-je en le regardant.

— Te l’a-t-il dit ? demande mon père en continuant de manger comme si de rien n’était.

— Non. Mais je te connais et je le connais. Henry n’a jamais été collant avec moi, ni aussi préoccupé pour moi et toi aussi tu es préoccupé pour moi. Alors, c’est sûr que tu lui as demandé de garder un œil sur moi.

— Je m’avoue vaincu. Il faut un jour que tu arrêtes de réfléchir, soupire mon père. Oui, je lui ai demandé de veiller sur toi. Ton vieux père n’a-t-il pas le droit de s’assurer que tout se passe bien pour sa petite fille ?

— Penses-tu que je suis sur la sellette ? m’inquiété-je en posant ma fourchette comme si mon appétit avec été coupé.

— Non Constance, me rassure mon père. Mais j’ai besoin de nous rassurer un peu sur ton avenir. Moi et ta mère. Nous sommes tes parents. Tu es notre fille, on tient à toi.

— Sauf que cela me stresse encore plus. J’ai l’impression de faire mal à chaque fois qu’il s’approche de moi. J’ai l’impression qu’on nous observe tout le temps. C’est extrêmement dérangeant.

— Constance, là maintenant, on nous surveille, murmura mon père à mon oreille. Les hauts-dirigeants qui se cachent nous surveillent. Il y a des caméras. Les seuls endroits où il n’y en a pas, c’est dans les chambres sauf celles dans l’aile des enfants pour les surveiller constamment.

— Pourquoi est-ce que je ne suis pas au courant ?

— Car tu l’aurais appris après la cérémonie de fin de la période de tests.

Je laisse une exclamation faible sortir de ma bouche. J’ai un peu moins de deux heures devant moi pour réfléchir à ma vie avant de retourner dans la salle du milieu. Sans terminer mon plateau, je vais le ranger et me réfugie dans mon lit. Je serre fort l’oreiller et tente de m’assoupir un peu sans penser aux conséquences qui puissent m’arriver si je rate une partie des tests. Mais c’est prévisible d’avance que je n’arrive pas à dormir. Je me recroqueville sur moi en réfléchissant. Pourquoi les hauts-dirigeants ne nous font-ils pas confiance ? Pourquoi contrôlent-ils tout ? Pourquoi nous cachent-ils des choses ? La porte de la salle s’ouvre et je me redresse rapidement. Léa a l’air un peu fatiguée par sa grossesse. Elle vient s’asseoir à mes côtés et coince une mèche de cheveux qui barre mon visage.

— Cela va aller, affirme-t-elle. Il n’y a rien à craindre des tests. D’accord… tu ne passeras pas le moment le plus agréable de ta vie dans la salle trois, mais cela passera. Tu ne seras plus jamais face à ce que tu verras là-bas. Tu n’as pas à t’inquiéter.

Ma sœur peut vraiment avoir un instinct maternel avec moi alors que je suis sa petite sœur. Au final, cela ne m’étonne pas qu’elle soit génitrice comme ma mère. Mon père m’a souvent dit que plus jeune, ma mère était comme Léa. J’ai toujours du mal à le croire. Ma mère a beau être en contact avec des enfants, elle peut parfois se montrer si froide… j’espère que Léa ne serait pas comme elle. Sa personnalité est bien comme elle est, si elle en venait à changer, j’ai peur que cela soit pour le pire. Je ne veux pas que cela soit pour le pire.

— Léa, soufflé-je. Je t’en prie, reste comme tu es.

Ma sœur me lance un regard surpris puis hoche la tête pour accepter alors qu’elle me prend dans ses bras.

— Pourquoi ne vas-tu pas parler aux autres adolescents ?

— Je ne suis pas comme toi Léa. Je n’ai pas d’amis et je ne suis pas populaire. Je ne suis pas faite pour avoir des relations avec beaucoup de personnes comme toi. Je suis faite pour être seule. Je crois que je l’ai toujours su, d’une manière ou du autre…

— On n'est jamais seule, rétorque ma sœur. Puis, tu devrais faire un effort pour être plus sociale. Tu es souvent beaucoup trop fermée par rapport aux autres. Constance, je ne sais pas si tu t’en rends compte, mais tu rejettes tout le monde aussi.

— Je les rejette car ils m’ont rejetée plus jeune. C’est donnant-donnant, affirmé-je en prenant conscience que cela peut être très gamin comme réflexion. Je m’en sortirais, même si je n’en ai pas l’impression.

— Tu ne seras pas génitrice, lâche ma sœur avec un petit sourire. Maman ne l’a pas montré mais une amie lui a dit que tes chances de le devenir étaient quasiment impossibles. Elle est assez en colère et déçue. Mais cela passera. Tu es rassurée, n’est-ce pas ?

Je secoue la tête de haut en bas alors que mes lèvres dessinent un sourire. Me voilà au moins cela de soulager. Je me sens mieux même si la période de tests ne se termine que demain. Malgré les protestations de ma sœur, je reste dans la salle en attendant la reprise. Je m’adonne à l’écriture. Un jour, après une crise de colère, mon père m’a donné des feuilles et un stylo pour que je déverse mon surplus de haine autre part qu’en public. Cela n’a marché qu’un temps, mais là, s’est autre chose que j’ai besoin de coucher sur papier. Une feuille ressort du lot. Il y a déjà des écritures dessus. Je fronce les sourcils et la sors, curieuse. Je reconnais l’écriture de mon père.


Oui, cela marche toujours Henry, mets-lui toujours une dose de calmant dans sa nourriture le midi.


Mon sang se glaça. Je comprends exactement de qui il parle : moi. Mon propre père me fait ingurgiter des substances à mon insu… était-ce pour cela que je me trouvais facilement fatiguée et blasée et que je n’avais pas envie de chercher l’embrouille ? C’est donc pour cela que je n’ai pas fait ressortir ma colère depuis un moment.


Je me dépense encore plus pendant l’après-midi même si je finis relativement tôt. Même les doses de calmants ne calment pas la blessure de la trahison de mon père. Il aurait pu me le dire au moins ! J’avance dans les épreuves en même temps que le garçon blond du début mais nous ne nous sommes pas adressés la parole une seule fois. Typique de moi cela ! Lorsque je sortis de la salle du milieu, je remarque des adolescents totalement éprouvés sur le côté. Je ravale ma salive en jetant un coup d’œil à la dernière porte, réservée à demain et je pars dans l’aile pour enfants. Henry m’avait dit qu’il serait là. Et je le trouve, en train de surveiller des enfants de dix ans dans une salle de jeu. Je m’installe à côté de lui, il semble s’ennuyer. Pendant quelques secondes je vais donc lui rendre la vie moins ennuyeuse…

— Cela s’est bien passé aujourd’hui ? me demande-t-il.

— Oui. Qu’y a-t-il dans la dernière salle ?

— Je n’ai pas le droit de te le dire, Constance, personne n’a le droit de te le dire. Tu comprendras pourquoi quand tu y rentreras. Ce truc, cela fait de l’effet à tout le monde. Même aux chefs.

— Pourquoi « même aux chefs » ?

— On est fort. Peu de chose doit nous toucher. On est censé être courageux.

— Parce qu’un abatteur ne doit pas avoir de courages pour tuer une bête, par exemple ? On est dans un bunker, nous sommes une génération de survivants, par conséquent, on est directement tous courageux, affirmé-je en ne supportant pas l’habitude des chefs de se sentir supérieur.

Malheureusement, hiérarchiquement il est vrai que leur rang est supérieur, mais ce n’est pas pour cela qu’ils sont obligés de le montrer et de dire clairement qu’ils valent mieux que les autres. La plupart du temps, les chefs sont comme cela, et malheureusement ses collègues déteignent sur Henry.

— Je suis au courant, pour mon père, annoncé-je calmement.

— De quoi ?

— Qu’il me drogue à mon insu. Je sais aussi que tu sais.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre et retourne dans ma salle. Puis je vadrouille un peu partout dans les endroits qui me sont accessibles dans les bunkers car je ne veux pas croiser mes parents et ma sœur. Je fais aussi attention de ne pas rencontrer les nombreux chefs qui patrouillent, s’ils me voient, ils me feraient rentrer chez moi très rapidement que je le veuille ou non. Je réussis à rester hors de mon aile jusqu’au dîner. Mes parents ont eu peur lorsqu’ils ne m’ont pas vus dans la salle, même s’il n’y a aucun risque que j’encours puisque je suis dans un bunker et non à la surface. Comme d’habitude pendant le repas, je ne parle pas. Je n’adresse même pas un regard à mon père. Je me rends compte que Léa a raison : ma mère est énervée. En espérant si fort que je sois aussi génitrice, je savais d’avance qu’elle risquait d’être déçue, et elle l’est. Je la blâme dans ma tête mais je n’aurais sans doute jamais le courage de lui dire la vérité sur ce que je pense d’elle. Je passerais sûrement pour une fille indigne ! Peut-être que c’est ce que je suis au final…

— Constance, articule enfin mon père en se tournant vers moi. Est-ce qu’on peut parler ?

— Pas ce soir, répliqué-je froidement en finissant mon plat. Cette journée m’a fatiguée, je vais aller prendre un somnifère et dormir pour être préparée à la troisième salle. Mais ne t’inquiète pas, demain avant la cérémonie de fin, je serais ravie d’entendre des explications sur le fait que tu me drogues à mon insu.

J’ai parlé un chouïa trop fort et mes phrases interpellent ma mère et ma sœur qui nous regardent outrées. Je quitte la salle sous leurs regards et laisse mon père devoir une justification à ma mère et ma sœur qui ne comprennent pas. Pour le moment je suis énervée, et je préfère dormir plutôt que de hurler sur mon père. Car même si je suis en colère contre lui, c’est bien la seule personne avec qui je ne veux pas avoir des conflits. Mais je lui en veux de m’avoir cachée cela, et je préfère reporter mon attention sur la troisième salle.

Qu’est-ce que j’allais devoir faire demain ?

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