Chapitre 18 :
Damien n'a pas été franchement ravi quand je lui ai annoncé que j'allais le rejoindre dans les apprentis savants même si je resterais dans l'asile jusqu'à la fin de ma vie. Il veut me protéger, mais je n'ai pas besoin de l'être. Je suis déjà dans l'asile, je n'ai plus qu'à faire quelque chose de ma vie. Nathanaël est très enthousiaste de me voir faire cela mais Mathilde est un peu plus inquiète pour moi.
En parallèle, mes deux amis m'ont informée que les habitants de l'asile planchaient sur un plan pour sortir du bunker durant de nombreuses années et qu'il allait bientôt être exécuté. Je ne suis pas certaine que cela risque de fonctionner, mais j'ai bien évidemment proposé mon aide au cas où. Je ne laisserais pas des gens m'enfermer comme cela ! Je n'ai rien demandé.
Quelques semaines sont passées et je me lève très tôt pour rejoindre l'aile des savants en toute discrétion. Malgré le fait que cela fasse plusieurs semaines que je les rejoigne, je n'ai pas encore appris grand-chose mais je ne désespère pas d'en savoir plus un jour à venir. Notre porte est donc ouverte mais Mathilde n'en profite pas pour sortir et être seule, que ce soit dans les douches ou au moins une fois seule dans une salle. Une fois depuis très longtemps ! À la place, elle me regarde me préparer, anxieuse. Néanmoins, cela fait quelques jours qu'elle est un peu distante avec moi et je ne sais pas vraiment pourquoi, pourtant Nathanaël se montre plus amical et semble décidé à être moins méchant. J'enfile ma veste et Mathilde ferme la porte pour me retarder un petit moment.
— Le plan de fuite va être exécuté ce soir, informe-t-elle à voix basse, si basse que je suis obligée de tendre l'oreille pour m'entendre. Avec Nathanaël, on t'attendra à côté de la serre. Essaye d'être discrète et de t'isoler.
C'est éminent et cela me dérange plus que je ne l'aurais voulu. Je n'ai pas le temps de prévenir mon père et cela me frustre particulièrement de partir dans la nature sans lui promettre que tout allait bien se passer pour moi. Sauf que je verrais Damien. Il pourra lui dire s'il arrive à le croiser ! Je garde de l'espoir même si j'aurais préféré le faire moi-même. Mathilde me serre dans ses bras et la porte s'ouvre sur Philippe qui est censé m'accompagner.
Il n'y a que deux gardes qui m'escortent à l'aile des savants : Gérard ou Philippe. J'ai une préférence pour faire des trajets avec Gérard. C'est plus convivial avec lui et il me parle. Philippe reste silencieux et il est bizarre lorsqu'il retourne hors de l'asile. Il est sûrement nostalgique d'y rester enfermé, mais en même temps, il doit bien avoir l'habitude après toutes ces années ! Il me laisse à la porte et Damien m'attend encore une fois à la première salle de l'aile des savants. Lui, il ne mange pas en décaler par rapport à moi, pendant le repas du midi, je me retrouve souvent seule car il mange avec les habitants du bunker. Mais généralement, il revient vite.
— Tu pourras dire à mon père que je m'en sortirais, annoncé-je en le suivant dans les couloirs.
— Qu'est-ce qui se passe ? s'inquiète Damien qui ne s'arrête pas spécialement pour prendre le temps de s'assurer une réponse car on n'a pas le droit d'être en retard.
— Je ne peux pas t'en dire plus, mais tu verras, bredouillé-je en le suivant dans une salle expérimentale
Damien est d'observation aujourd'hui, et moi je suis de manipulation. Il m'aide à enfiler une combinaison blanche et un masque qui ne recouvre que ma bouche et mon nez et m'ouvre la porte pour que je rentre pour rejoindre le savant qui va faire je ne sais quoi aujourd'hui. D'autres savants arrivent en faisant rouler un lit à roulette transportant un homme à la peau mâte et aux yeux verts. Il est enchaîné au lit et ne fait même plus l'effort de bouger. Il nous regarde avec un regard usé et il semble avoir vécu des atrocités que nul ne sait. Sûrement de la part des savants. Je ne sais pas pourquoi on fait cela sur ces gens qui n'ont pas l'air de venir du bunker, mais c'est horrible et cela me dégoûte. Le savant qui me supervise me fait tout un petit discours pour m'expliquer un peu les capacités qu'il possède et que maintenant ils l'utilisent surtout pour faire des prises de sang et étudier son ADN. Je ne le crois pas trop lorsqu'il dit cela à la vue de l'état de l'homme mais je ne bronche pas.
L'homme me tend le nécessaire pour faire la prise de sang et je commence à m'habituer doucement à faire cela. Ce n'est sûrement pas l'acte le plus terrible d'un savant et une prise de sang doit être anodine. Même le captif n'y trouve rien à redire, à moins qu'il soit totalement résigné à mourir maintenant. Le savant ne m'a pas dit depuis combien de temps il est ici. Il me fait prendre beaucoup de son sang et une savante vient chercher ce que j'ai récolté. Comme il n'y a plus de savants disponibles, avec Damien, on bouge le lit dans la cellule de l'homme. On ne m'a toujours pas dit pourquoi on fait cela, et Damien paraît en savoir plus, mais il n'a pas le droit de me le dire.
Alors que je crois que l'homme est endormi, je sens sa main attraper fermement mon poignet et me retenir. Damien s'apprête à appeler du renfort mais je refuse quand l'homme dit, presque d'une fois suppliante de rester. Il me dit de pendre dans sa poche. Je ne sais pas s'il délire ou pas, mais comme il semble insister, je fais l'effort pour que cela ne mène pas à une crise qui amène le reste des effectifs d'aujourd'hui. Je sens quelque chose dans une de ses poches et je la retire. J'ouvre ma main lorsqu'elle est sortie et observe l'objet : c'est une bague dorée ornée de gravure que je n'arrive pas à déchiffrer, il y a aussi une fleur violette dessinée. Elle est magnifique ! Il me serre plus le poignet et relève un peu la tête vers moi :
— Trouve César ! Remets-la-lui ! Trouve César !
Et la machine bipe si fort que je reste paralysée après avoir rangé la bague en lieu sûr. D'autres savants arrivent et ne tentent rien pour le sauver. Ils annoncent sa mort sans émotion, ni culpabilité et Damien m'entraîne avec lui hors de la salle pour nous emmener dans une salle de repos pour savant.
— Il faut qu'on cherche s'il existe un César dans le bunker, débuté-je tout en ayant l'esprit embué et trente-six mille pensées qui me traversent la tête. Je ne sais pas qui est cet homme, mais on devrait au moins respecter ses derniers vœux !
— Constance, c'est impossible, soupire Damien en s'asseyant à mes côtés. Je veux dire, tu comprendras après, mais de toute façon il y a trop de monde dans le bunker pour pouvoir vérifier.
— Sauf que je suis dans l'asile et toi hors de l'asile ! rétorqué-je fermement. À deux, cela pourrait être encore plus facile de le trouver !
— Constance, murmure Damien en me prenant la main. Même avec cela ce n'est pas possible, et tu comprendras dans quelque temps. Pour le moment, tu devrais oublier cela et déposer ce qu'il t'a donné au chef avant que cela ne pénalise.
Je ne comprends pas vraiment pourquoi Damien est si réticent à l'idée de trouver qui est César mais je ne pose pas plus de questions. Le ton de mon ami montre qu'il n'en dira pas plus et qu'il n'a pas vraiment le droit. Et s'il y a bien une personne à qui je ne veux pas attirer des problèmes, c'est bien à Damien. Il tente déjà de m'épargner des embrouilles donc je ne peux pas lui faire cela, néanmoins je persiste à garder l'objet que l'homme captif m'a donné avant de mourir. Que quelqu'un le veuille ou non, je trouverais ce César. J'ai comme le sentiment que cet objet est important et qu'il a une valeur particulière.
On n'en reparle pas avec Damien. Malgré tout on reste ensemble le reste de la journée. Je me dis toujours que j'ai de la chance de l'avoir et qu'il veille sur ma famille alors que je ne suis plus là mais je crois que je ne me rends pas bien compte de l'avantage que j'ai qu'il existe et qu'il soit devenu mon ami pendant la période des tests. Je n'ai jamais eu d'amis et tout le monde me lâchait, même ma propre mère, alors que lui ne m'oublie pas... c'est vraiment quelque chose qui me surprend ! Jamais je n'aurais pensé pouvoir garder un contact aussi précieux à part mon père.
Les plus vieux savants s'occupent de donner du fil à retordre aux captifs comme ils aiment le qualifier. Ce n'est rien d'autre que de la torture dans l'espoir d'obtenir des informations ! Sur quoi, je ne sais pas, mais apparemment cela n'avance à rien ! À la fin de la journée, Damien tient quand même à passer son heure de libre avec moi. Les travailleurs rentrent de leur travail à cette heure-là et je ne suis pas censée être vue, donc je sors après. Il pourrait très bien me laisser, partir pour rejoindre d'autres amis ou même se rapprocher de ma sœur ou je ne sais quelle autre fille, mais non, il me regarde continuer de travailler et on discute comme cela. Il me demande des détails sur l'asile et il est beaucoup plus perturbé que quand je l'ai connu. Je suppose que c'est normal, moi aussi je dois l'être. J'ose espérer qu'il puisse me donner une information sur ce que l'on fabrique réellement en tant que savants. Ce que nous apportent les expériences... pourquoi fait-on cela ? Mais il est tenu par le secret et je n'imagine même pas les conséquences qui pèsent sur lui s'il se décide à me les révéler.
Soudain, alors que j'enlève ma blouse pour partir, une alarme stridente retentit sans s'arrêter. Damien me regarde, totalement surpris par cela et je finis par comprendre ce qui se passe et je me mets à courir sans un mot alors qu'il me suit. Cela serait plus simple s'il ne le fait pas. Je sors près de la serre et j'aperçois Nathanaël et Mathilde qui ne se cachent même pas alors que les travailleurs sont sous le choc.
— Ils ont déjà déployé leur force pour nous attraper ! Autant forcer pour sortir ! hurle le jeune homme qui semble assez perdu dans cet environnement.
— Qu'est-ce que vous faites ? s'écrit Damien abasourdi alors que ses yeux font un aller-retour entre moi et Nathanaël.
— On essaye de partir, réponds-je un peu stressée.
On a définitivement perdu Damien qui ne comprend pas très bien qu'elle est la situation. Mathilde nous dit qu'il faut partir et je croise le regard de mon père qui paraît très préoccupé. Nathanaël attrape mon bras pour me forcer à bouger mais je vois Mathilde tomber de l'escalier, poussée par un chef qui nous regarde sévèrement. Elle ne se relève pas et on se précipite avec Nathanaël pour voir si elle n'a rien de grave. Elle est inconsciente mais elle respire toujours. Mon ami se lève et j'essaye de le retenir, sachant très bien qu'on n'arrivera pas à s'échapper. Sauf que je n'y arrive pas et il se jette sur le chef, prêt à en découdre. Cela se voit qu'il n'a pas vécu dans cette partie du bunker et Damien s'en rend bien compte. Je le laisse faire, pensant naïvement qu'il pourrait peut-être réussir. Au début, il a bien sa chance mais le chef finit par le neutraliser grâce au taser. Je l'entends crier de douleur et se tordre en même temps. Mathilde commence à bouger un peu et je lui dis de vite retourner dans l'asile pour qu'elle soit en sécurité mais elle est encore trop sonnée pour comprendre ou obéir. Puis, je vois deux savants s'emparer de Nathanaël et l'emporter dans le quartier des savants. Et je hurle après eux, car je ne comprends pas pourquoi ils font cela et Damien ne comprend pas non plus et ne fait rien, trop choqué pour réagir. Je sens qu'on m'attrape les mains et les bras et Damien finit par protester mais il est emporté par le grand chef des savants, un homme d'une soixantaine d'années aux cheveux blancs et à la barbe grise, qui veut sûrement discuter avec lui.
— Mathilde ! crié-je en gigotant. Ne reste pas ici ! Retourne dans l'asile !
Sauf qu'elle a été si assommée par sa chute que d'autres chefs la prennent pour l'emmener dans le quartier des savants. Je ne comprends pas pourquoi ils font cela, pourquoi ils nous enferment dans les salles d'expériences au lieu de nous reconduire à l'asile. Je réfléchis mais je ne trouve aucune réponse à cette interrogation. Je me demande où en sont les autres habitants de l'asile. Il y a beaucoup de chefs et ils sont armés, ils peuvent neutraliser facilement un bon nombre de personnes, mais tout l'asile... j'espère pour eux qu'ils arrivent à s'en sortir, mais sans arme, cela me semble très compliqué. J'arrive à me délivrer de l'emprise de mon agresseur en lui donnant un coup de pied bien placé et je tombe lourdement par terre. Je fais quelques pas vers l'intérieur de la serre dans l'espoir de trouver une cachette mais je sens mon genou gauche faiblir. Une vive douleur me parcourt l'ensemble du genou et je sais que je ne peux rien faire de plus. Il est blessé et trop bougé pourrait aggraver encore plus son état. Je cherche mon père du regard, mais il n'est plus dans la serre. Pourtant personne ne semble bouger, je ne sais pas où il est parti ! Alors que je décide finalement de monter l'escalier pour retourner dans l'asile, je me sens tirer vers l'arrière et une aiguille s'enfonce dans mon cou. Mais que m'arrive-t-il ?
Je regarde la serre et je vois enfin mon père. Il me regarde désespéré mais je lui souris en le fixant dans les yeux. C'est la chose la plus belle que je puisse voir avant de mourir : le regard serein de mon père en toutes circonstances. Puis tout devient flou, puis noir. Et plus rien...
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