Je vais bien. Cela peut paraître étrange puisque je suis dans un endroit risqué, dans lequel j’ai été endormi et où on me considère comme hyper dangereuse. Je ne sais pas ce qu’ils ont bien pu me faire pendant mon sommeil, mais je n’ai pas mal à la tête, ni à un autre endroit. Étrangement, je ne suis pas attachée à un lit, je me lève mais impossible d’ouvrir la porte. Ils m’ont quand même enfermée ! Je n’ai plus qu’à attendre que quelqu’un vienne. Je m’inquiète pour Nathanaël et Mathilde. Mais je ne vois pas comment je pourrais obtenir un moyen de les contacter. Je repère un pansement à mon bras droit. C’est bizarre, car ils m’ont injecté le produit dans le cou… que m’ont-ils fait ?

La porte s’ouvre et je saute de mon lit directement. C’est Damien. Il tient un plateau-repas et paraît inquiet de la situation. Lorsqu’il me voit vivante, on dirait qu’il se détend. Est-ce que mon père sait que je vais bien ? Je n’en sais rien. Mon ami me serre dans ses bras après avoir posé le plateau-repas.

— Content que tu ailles bien espèce d’inconsciente ! soupire Damien avant de se retirer, embarrassé.

— Tu me connais, je ne sais pas faire dans la normalité, ironisé-je en me posant sur le lit. Que m’ont-ils fait ? Je veux dire, au bras ? M’ont-ils injecté quelque chose ?

— Injecter quelque chose, c’est sûr, confirme tristement Damien en passant sa main sur le visage. J’essaye de découvrir quoi exactement, mais ce n’est pas gagné !

— Comment vont Nathanaël et Mathilde ?

— Ils vont faire des examens à ta pote, informe le jeune savant en s’asseyant au côté de Constance qui prenait le plateau exprès pour lui faire de la place. Elle semble aller bien mais ils ont peur qu’elle ait des lésions cérébrales à cause de sa chute.

Je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire donc je retiens juste qu’ils l’ont blessée, et j’espère qu’elle va s’en remettre. Damien me rapporte aussi que Nathanaël va bien et qu’il était allé le voir juste avant moi et m’indique que l’évasion n’avait pas réussi. Cela me frustre mais la prochaine fois on réussira à partir. Mon père aussi est inquiet mais Damien n’a pas eu assez de temps pour communiquer avec lui. Je vais finir par lui faire faire une syncope ! Soudain la porte s’ouvre sur un savant que je ne connais pas et il m’attrape par le bras. Il m’entraîne à l’entrée, la salle des visites de l’asile. Est-ce que j’y retourne ? Je me retrouve avec Nathanaël qui vient me rejoindre et Damien arrive avec un autre savant qui lui dit de rester avec nous.

— Que se passe-t-il ? demandé-je.

Je n’obtiens aucune réponse. Il y a une autre porte dans cette salle que je n’ai jamais vue. Pratiquement tous les habitants de l’asile s’y dirigent et on y rentre aussi. Nathanaël reconnaît cet endroit et n’est pas rassuré.

Il n’y a qu’une seule chaise, et tout le monde est debout. Je reste près de Nathanaël et Damien s’arrête avec nous. J’ai un mouvement de recul lorsque je vois Morgan entrer dans la salle. Mais il se pose sur la chaise. C’est le seul assit. Il va se passer quelque chose ! Il va lui arriver quelque chose ! Je me tourne vers Nathanaël qui semble vraiment inquiet. Philippe et Gérard regardent faire du coin de l’œil. Je n’arrive même pas à décrire leurs expressions. Je crois que c’est le chef des encadreurs qui s’approche de lui avec un objet dans la main mais je n’arrive pas à percevoir de quoi il s’agit. L’audience reste silencieuse mais cela ne va pas durer pour très longtemps, je le sais, nous ne savons pas rester muets. Encore moins dans ces circonstances.

— Il s’agit d’une décision des hauts-dirigeants, déclare-t-il en s’arrêtant à côté de Morgan.

Les voix s’élèvent un peu mais je ne comprends aucun des mots prononcés. Nathanaël pâlit un peu plus et Mathilde n’est pas là. Peut-être qu’ils la gardent pour la soigner, j’espère que ce n’est pas trop grave…

— Morgan, voilà des années que tu es confiné dans ta chambre après une rébellion démesurée. Puis tu es devenu dangereux, trop dangereux, beaucoup trop. Même pour les habitants de l’asile. Nous n’avons pas d’autres choix.

Il attrape déjà Morgan qui se lève pour faire je ne sais quoi. Alors qu’il veut se diriger vers la sortie, il se fait bloquer par des savants qui le tiennent. Ses traits sont déformés par la colère et je sais que je ne le comprendrais jamais. Puis il hurle :

— Gérard ! Philippe ! Vous payerez ! Vous payerez pour vos trahisons ! Je sais que vous vous souvenez de tout ! Vous savez où est Christian ! Bande de traîtres ! Lui aussi payera !

Mais qui est Christian ? Comment des encadreurs et des habitants de l’asile ont-ils pu sympathiser à ce point ? Je dois le découvrir, mais avant que la réflexion ne puisse prendre plus de place dans ma tête je vois le chef des encadreurs empoigner violemment Morgan pour le faire s’asseoir sur la chaise. Il se calme et me fixe, d’un regard si perturbant que j’en ai la chair de poule. Damien le voit aussi et me demande si c’est normal mais je sus incapable de lui répondre. Puis le chef fait un mouvement de poignet et un d’arme à feu se fait entendre. J’en avais entendu qu’une seule fois auparavant. L’intérieur de la tête de Morgan explose un peu partout. Il y a du sang, il est tombé de sa chaise. Il est mort sur le coup. Il vient de le tuer.

Je serre le bras de Damien et Nathanaël semble tout bouleversé par ce qu’il vient de se passer. Il n’y a aucun bruit dans la salle. Même pas une mouche qui vole. Deux ou trois personnes tombent dans les pommes à cause de la vue du sang, mais rien de plus. Des encadreurs s’occupent de retirer le corps. Gérard et Philippe ne font rien.

— À partir de maintenant ! Chaque personne qui essayera de s’enfuir, que ce soit de l’asile ou du bunker, finira dans la même condition que lui ! Qu’importe son âge !

Des murmures se font entendre et un homme proteste violemment en haussant encore plus le ton et en s’approchant du chef des encadreurs. Il est très énervé, il fait penser à Morgan. Le supérieur n’hésite pas à la battre d’une balle dans le cœur. En un instant, je viens de voir plus de violence que j’en avais vu de toute ma vie auparavant. Gérard et Philippe s’occupent du corps et je suis intimement persuadée qu’ils cachent quelque chose. Ce n’est pas la première fois que Morgan parle de Christian. Peut-être a-t-il vraiment existé ? Pour creuser la piste, je vais devoir enquêter auprès d’eux. La foule commence à rentrer dans l’asile et je perds de vue Nathanaël. Je me retourne vers Damien qui paraît dépité.

— Pourquoi t’ont-ils amené voir ça ? demandé-je.

— Je ne sais pas mais j’ai ma petite idée. Sûrement une forme de prévention… assure-t-il en haussant les épaules d’un air désinvolte. Je te donnerais des nouvelles de Mathilde dès que je peux, promet-il. D’ici là, essaye de ne pas trop de faire remarquer.

Damien sait bien que je risque de ne pas respecter cela, mais je ne veux pas l’inquiéter malgré tout donc je hoche la tête. Je le serre dans mes bras et il part lorsqu’un de ses collègues l’interpelle. Je rentre donc à l’asile, sans voisine alors que Mathilde est encore chez les savants.

Certes, c’est une défaite, mais on n’a pas dit notre dernier mot. Je sais qu’on va réussir à s’enfuir, on est déterminé. C’est juste une question de temps, et histoire de négocier quelques aides. Nathanaël sera d’accord avec moi : on sortira d’ici tôt ou tard.