Chapitre 20 :
Mathilde va mieux depuis son retour. Elle a souvent mal à la tête, mais elle ne semble pas être en proie à des pertes de mémoire ou des problèmes cognitifs. Néanmoins, elle reste plus en retrait dans l’idée d’un nouveau plan d’évasion. C’est compréhensible : après une chute pareille, l’idée des représailles fait très peur. Alors avec Nathanaël, on se débrouille à deux. On s’est allié avec un groupe de personnes d’une trentaine d’années qui semble ravi de pouvoir compter sur nous. Et j’avoue que cela ne me rassure pas forcément.
Je n’ai pas revu mon père ou ma sœur depuis. Cela aussi c’est dur, mais Damien m’a avouée que c’était sûrement car ils leur ont interdit de me voir. Et cela, ça ne fait qu’augmenter ma colère encore plus. Me séparer de ma famille et m’interdire de les voir ! C’est beaucoup trop rageant pour moi.
Je contemple l’aiguille des secondes de la montre de mon père bouger. J’essaye de convaincre Mathilde de sortir mais elle a trop mal à la tête pour s’exposer aux bruits de la salle commune. Gérard lui a donné des médicaments, mais il faut attendre avant que cela fasse effet et elle me promet qu’elle nous rejoindrait quand elle ira mieux. Mais je connais cette chanson : elle ne viendra pas. Nathanaël passe me chercher et il insiste tellement pour qu’elle vienne avec nous qu’elle se fâche presque. Je l’éloigne pour calmer le jeu et on rejoint la salle commune.
— Je m’inquiète pour elle, fait mon ami en essayant de trouver les autres dans la foule de personnes.
— Cela a été violent pour elle, affirmé-je en l’embarquant avec moi. Il faut lui laisser le temps et vérifier qu’elle ne s’enfonce pas dans des mauvaises habitudes.
— Je sais que tu y veilles, et moi aussi. Mais je pense qu’à partir d’un moment on ne pourra plus rien faire. Il faut la faire bouger maintenant ! s’énerve Nathanaël en serrant les poings.
Je peux bien comprendre sa colère, mais tout cela ne mène à rien pour le moment. Tout cela, c’est Mathilde qui peut le décider, et personne d’autre. Aujourd’hui, on ne rejoint que deux hommes : l’un est baraqué et chauve, l’autre tout aussi baraqué a les cheveux encore plus longs que les miens. Ils ne m’inspirent pas le plus confiance, mais ce ne sont pas les pires que j’ai pu rencontrer. Du moins, pas pour le moment. Celui aux cheveux longs, Rodrigue, expose le nouveau plan qu’ils ont. En l’espace de plusieurs années, ils avaient eu le temps de multiplier le nombre de plans avant de les mettre en œuvre. Ils ne veulent plus attendre et on passe directement au plan B : tenter de renverser les encadreurs. Néanmoins, avec Nathanaël, parallèlement, on essaye de se lier avec les encadreurs, mais c’est beaucoup moins simple qu’on ne le pense même si mon ami s’entend bien avec eux. Après avoir laissé les deux adultes, Nathanaël part rejoindre Mathilde et je m’aventure à la recherche de Gérard et Philippe. Il n’y a qu’eux que je connais de toutes façons, puis, Gérard m’a sauvé la vie. Ils ne sont pas méchants ! En tout cas, je ne les ai jamais vus comme tels. Je finis par le trouver, il se trouve dans une chambre, tout au fond, il paraît l’inspecter. Il n’est pas avec Philippe.
— Qu’est-ce que tu fous là gamine ? demande-t-il poursuivant son inspection en ne me jetant qu’un seul regard. Ta rencontre avec Morgan ne t’a pas suffi pour te dissuader d’aller aussi loin dans les couloirs des chambres ?
— La dernière fois on m’a emmené voir Morgan en me disant qu’il ne me ferait rien, rectifié-je en m’asseyant sur le lit au matelas usé. Cette fois, je suis venue te voir, pour parler rien de plus !
— Taper la discute avec moi ? rigole-t-il en s’arrêtant de faire ce qu’il faisait. Qu’est-ce que tu veux ?
— Moi ? Vouloir quelque chose ? fais-je en essayant de feindre la surprise. Bon… d’accord, peut-être qu’on essaye de s’allier à vous pour sortir d’ici.
— Et tu crois qu’on va vous aider ?
Je grimace. Bon… la technique de l’honnêteté ne semble pas marcher malheureusement, mais je ne vois pas comment je pourrais espérer de passer un marché avec eux sans être complètement honnête pour une fois ! En plus Gérard n’avait pas vraiment répondu à ma question !
— D’ailleurs… comment t’es-tu retrouvé ici ? questionné-je sans savoir vers où j’aiguillais réellement la conversation. Il me semble qu’on a le choix de rester ou non. Pourquoi ne pas être resté de l’autre côté du bunker ?
— C’est plus compliqué que cela fillette, affirme Gérard bien-sûr de lui comme si de rien n’était. Moi, je n’ai pas réellement eu le choix. C’était différent, je n’avais pas d’autres choix que rester, puis, personne ne m’attend de l’autre côté.
Je remarque qu’il paraît plus frustré qu’il ne veut en laisser paraître. Je suis aussi persuadée qu’il a un lien avec Morgan et le fameux Christian, mais il ne me dira rien, c’est certain. Néanmoins, sa formulation est étrange. Comme s’il est différent des autres encadreurs. Philippe aussi ? Je ne parle pas pendant un moment, et on reste dans un silence qui n’est pas déplaisant et qui aide l’encadreur à accomplir sa tâche. Malgré tout, je me souviens des rumeurs et les pièces s’assemblent dans mon esprit. Si bien que je bondis du lit et crie presque :
— Tu étais à notre place avant ! Avant tu étais un habitant de l’asile !
J’ai peur de faire fausse route, mais ce qui me concerte encore plus dans cette révélation est la réaction de Gérard. Il me lance juste un regard noir et ne me répond pas spécialement. Je tiens quelque chose ! Je tiens un début ! Est-ce que Philippe aussi est comme lui ? Christian était-il comme lui ? Cela pouvait être un ancien habitant de l’asile désormais introuvable sans que personne ne sache la raison. Et cela n’aurait rien d’étonnant.
Gérard n’est pas idiot, il doit bien comprendre que j’ai compris son petit secret. Je me lève pour fermer la porte et je reste appuyée dessus pour qu’il ne s’en aille pas.
— J’ai un marché pour toi, déclaré-je lentement en croisant les doigts pour que Nathanaël me suive dans ma démarche car il ne voulait vraiment pas mêler Gérard et Philippe à cela.
— Comment une gamine comme toi pourrait être en mesure de passer un accord avec un encadreur ? m’interroge Gérard en s’arrêtant et en s’appuyant contre le mur d’en face, pas très convaincu de ce qu’il venait de dire.
— Parce que tu sais que je connais quelque chose d’important que personne d’autre ne doit savoir. Je peux vous aider, vous les encadreurs, mais d’un autre côté, vous devez nous aider à sortir. De plus, poursuivis-je en le fixant droit dans les yeux, vous aussi vous êtes comme emprisonnés ici.
— Et qu’est-ce que je reçois en contrepartie à part la liberté ? rétorque Gérard sans laisser paraître un quelconque intérêt.
— Les autres préparent des plans meurtriers. Je pourrais vous prévenir de quand cela se passe pour que cela soit évité. En échange, vous nous aidez à partir et vous-même vous partirez pour vous éviter des ennuis.
Gérard semble réfléchir. Il sort un petit objet qui ressemble à une lame et appuie sur un bouton pour qu’une lumière rouge à l’autre bout soit éteinte. Je ne sais pas si je dois fuir ou me jeter dessus au cas où il m’attaquerait. Mais il n’en fait rien. Il s’approche de moi et me tend sa main.
— Marché conclu, dit-il.
Satisfaite, je lui sers la sienne et la différence de taille est beaucoup trop troublante.
— Qui est Grégoire en faite ? tenté-je en lui ouvrant la porte de la salle abandonnée.
Gérard rigole même si je peux voir une forme de tristesse dans son regard. L’homme en question devait être une personne extrêmement importante pour lui pour que cela le chagrine autant.
— Chaque chose en son temps, affirme-t-il. Rassembler autant de ressources que vous pouvez avec Nathanaël, on ne sait pas ce qui pourrait vous attendre à la surface. Grégoire… tu ne le sauras sûrement jamais un jour.
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