Chapitre 26 :
Je n’ai pas encore passé la session de test. Je n’ai que 14 ans et je me fais hurler dessus par ma mère car j’ai encore dépassé les limites et que je suis trop énervée avec n’importe qui. Ce n’est pas ma faute aussi si personne ne m’apprécie ! Ce n’est pas ma faute non plus si tout le monde pense que c’est normal que je n’ai pas le droit d’avoir d’ami. Léa arrive à la calmer et elle repart dans la partie pour géniteur. Elle doit avoir besoin de se défouler. Léa me prend dans ses bras en me disant que cela allait aller et que je dois juste me comporter sagement. Mon père sort de sa douche et Léa part voir ses amies. Elle, elle a réussi à s’en faire. Je n’ai rien à part cette famille. Cette famille qui a vite volé en éclat. Mon père s’approche et s’assit à mes côtés sur le lit.
— Je sais. Toi aussi tu vas me dire que je n’aurais pas dû, dis-je tristement.
— Je ne te conseille pas cela car ce n’est pas juste. Je comprends totalement ce que tu penses, mais je te conseille cela car cela peut vite mal finir. Je ne veux pas que tu encoures les mêmes risques que moi.
Il avait chuchoté si faiblement.
Je n’avais jamais compris le sens de cette phrase jusqu’à la révélation de Gérard. Je comprends qu’on se ressemble plus que je ne le pensais avec mon père. Il veut mon bien, mais il a été comme moi étant plus jeune.
Je me réveille en sursaut. Je respire brusquement et me lève. Il n’y a personne et je ne suis plus dans la grange dans laquelle se trouve Gérard, Nathanaël et peut-être Philippe. Ils m’ont emmené autre part. Je suis sur un lit, menottée à un de mes pieds, je ne peux pas partir. Et je ne peux pas leur faire mal pour m’en aller. Ils sont trop nombreux et je ne contrôle rien, pourtant j’ai fait un soi-disant exploit : j’ai ramené Philippe. Je repense à ce souvenir qui m’est revenu en rêve… mon père veut que je sois en vie, et je l’ai promis à Damien. Et je ne suis même pas certaine de pouvoir respecter cette promesse. Césars débarque dans la chambre et Sarah aussi, tenant un plateau-repas. Apparemment, elle ne peut que se léviter elle-même et pas les objets. C’est dommage.
— Vous risquez quelque chose pour m’avoir aider ? m’inquiète-je malgré tout.
— Sarah est mineure, donc ça ira. Puis je peux endosser. Ma mère ne les laissera pas m’exiler, affirme Césars. Mais toi, tu as du souci à te faire.
Je hausse les épaules : comme si je ne l’étais pas déjà depuis mon arrivée à l’asile ! Je les enchaîne les problèmes, un de plus ou un de moins… tant que les autres s’en sortent, cela me va, même si j’aimerais bien m’en tirer. Pour mon père, pour Léa et pour Damien. Je mange la nourriture que m’a apportée Sarah. J’ai beaucoup poussé hier et je me sens fatiguée même si la douleur à la tête devient moins forte.
La porte s’ouvre et je vois une dame s’approcher de moi. Je remarque à ses yeux blancs qu’elle est malvoyante, peut-être aveugle. Elle a de la chance d’être née au-dessus et non dans les bunkers. Elle semble avoir le même âge que ma mère environ. Elle a une peau mordorée et ses cheveux bruns ondulés sont coupés au menton. Elle paraît typée asiatique mais elle me fait surtout très peur. Des adultes débarquent avec elle mais je ne m’arrête pas de manger. Si Sarah doit sortir, Césars compte bien rester pour savoir ce qui va m’arriver. La femme demande à Césars de restituer tous les événements. Sa voix ne paraît pas sévère mais je sais d’avance que les conséquences vont faire mal. Elle se baisse vers moi et me broie littéralement le poignet.
— Pourquoi as-tu des capacités ?
— Parce qu’ils font je ne sais quelle expérience avec n’importe qui dans les bunkers, grogné-je en me libérant de son emprise.
J’ai oublié que je ne peux aller nulle part, enchaînée comme cela.
— Elle a guéri notre moyen de pression, fait-elle en se pinçant la lèvre. Elle sera exécutée cette après-midi devant ses amis.
Effectivement, leur chef ne perd pas de temps dans des affaires comme celle-ci. Je ne sais pas quelle est la procédure ici, mais je me dis que cela ne peut pas être pire que dans l’asile.
— Faire pression sur qui ? demandé-je avant qu’elle parte de la salle. Ce n’est pas en promettant de ne pas tuer un membre des bunkers qu’ils vont s’arrêter de vous attaquer. Ils s’en foutent de nous, comme de vous.
— Il n’y a pas que les bunkers dans la vie, ma jolie, fait-elle en se rapprochant.
Elle fait l’erreur de s’approcher et de se pencher vers moi. Je lance un regard à Césars qui panique en me voyant faire sans pour autant m’arrêter. J’attrape les bras de leur chef sans lâcher mon emprise. Je ne sais pas encore ce que je vais lui faire, je me demande ce que je peux faire réellement comme dommage. Je me glisse à nouveau, lorsque j’atteins son esprit, je vois de grandes particules bouger à une vitesse dépassant le mur du son. Et qu’est-ce que je fais maintenant ? SORS DE MA TÊTE IMMÉDIATEMENT. Elle ne répond pas et je crois qu’elle vient de se faire mal toute seule à penser aussi fort. Tant pis pour elle ! Je me balade parmi les particules, quelques-unes se démarquent par leur couleur. Très peu d’entre elles sont rouges. Je ne sais pas ce que cela signifie, mais cela peut être intéressant. Je le frôle et m’y laisse aspirer. SORS DE LÀ IMMÉDIATEMENT. Je dois être en train de faire souffrir la propriétaire de cet esprit… tant mieux ! Je ne l’écoute pas et tombe par terre.
La terre de la surface, oranger. Je suis dans un autre endroit que d’habitude. Il y a aussi des bâtiments détruits. Je vois une jeune femme un peu plus vieille que moi : la chef il y a plusieurs années de cela. Elle est cloîtrée derrière des voitures et un homme plus vieux est à côté d’elle. Lui fait tomber des éclairs. Des gens les attaques avec des armes à feu. Je reconnais Henry, l’ami chef de mon père en train de tirer sur eux. Des gens sortent donc bien des bunkers.
— Karima, fait l’homme à la jeune fille. Ma fille, cache-toi pour ne pas te faire attraper. Tu resteras la seule représentante de notre famille.
— Papa tu sais bien que je ne vois pas ! hurla-t-elle effrayée.
— Mais tu peux voir le futur, et tu as lu qu’un de nous ressortirais vivant. Il faut que ce soit toi. Pour le bien de tous.
Je le vois recevoir une balle en pleine tête alors que sa fille comprend ce qu’il vient de se passer : elle a sûrement senti le sang éclabousser sur elle.
Le souvenir s’arrête là et je reviens dans mon corps. J’ai moins mal que d’habitude, c’est moins insoutenable. Peut-être parce qu’avoir repoussé les limites hier m’a aidé à moins ressentir de douleur pour ce genre de tâche. La douleur est reliée à l’effort, plus c’est dur, plus cela repousse les limites, plus ça fait mal. Ou alors j’ai juste transféré ma douleur en Karima puisqu’elle hurle, avachie sur mes cuisses. J’hésite à la repousser au sol, mais je ne fais rien. Elle relève sa tête, son visage strié de larmes et je m’éloigne comme je peux.
— On l’exécutera en début d’après-midi.
Je ne dis rien de plus et elle force Césars à partir de la salle. Je reste donc seule pendant le reste de la matinée qui est bien entamée. Je cherche un moyen de me sauver. Je retourne le problème maintes et maintes fois, mais aucune idée ne me vient à l’esprit. Mes capacités ne me permettent pas de pouvoir blesser suffisamment de gens pour me permettre de partir.
On vient me chercher. L’homme aux dreadlocks et le chauve. Je ne pouvais pas tomber mieux ! Ils ont des gants et des manches puis ils enfilent une cagoule. Apparemment, Karima a peur que j’utilise mes capacités sur eux encore une fois. Toujours avec des menottes on me mène sûrement au centre de cette petite communauté. Il y a tellement de monde. D’autres personnes comme Sarah, des personnes sans bras, d’autres sans oreilles… Nathanaël, Philippe et Gérard sont aux premiers rangs dépités. Je n’ose même pas croiser leur regard. J’avais promis à mon père et à Damien de vivre. Voilà que je les trahissais aussi. Je remarque la potence, toute prête à m’accueillir. Sûrement d’autres personnes sont passées devant moi. Mon corps tremble et ils me démenottent. Karima fait un petit discours bidon et on m’installe sur la potence. Alors que le chauve va passer la corde autour de mon cou, je vois Philippe se lever en un éclair. Gérard et Nathanaël lui crient de s’arrêter mais ils se jettent sur les deux hommes et j’enlève la corde avant de tomber de la potence. Puis il y a un coup de feu.
— Non ! hurlé-je.
Les deux habitants de la surface essayent de m’empêcher de rejoindre Philippe mais je parviens à le rejoindre, tout comme Gérard et Nathanaël. Une grosse trace de sang grossit de plus en plus sur son ventre et la lumière dans ses yeux faiblit petit à petit. Je ne veux pas pleurer, du moins, pas le montrer. Alors je fais cela silencieusement. Je réprime les sanglots, j’essuie rapidement les larmes avant qu’elle rejoigne mon menton et je renifle toutes les cinq secondes. Aucun de nous quatre ose dire que cela va aller car on sait que c’est faux : il va mourir. Je serre sa main et Gérard dit adieu à son vieil ami. Je croise le regard de Philippe et il broie ma main.
— Merci de m’avoir sauvé hier, murmure-t-il alors que son regard disait tout sur sa gratitude. Je devais faire ça. Tu es jeune, tu dois vivre. Grégoire t’attend. Tu lui ressembles…
Il n’a pas le temps de finir sa phrase. Je tape mon poing au sol et Nathanaël me prend dans ses bras. Il ne dit rien mais je perçois son désarroi, sa peur, sa colère et sa tristesse. Il ne sait vraiment pas contrôler ses émotions. Gérard est éloigné de nous et même si Nathanaël se cramponne à moi et que je m’attache, ils arrivent à l’arracher pour me traîner sur la potence.
— Arrêtez ! crie une voix que je reconnais alors que l’ensemble des personnes semblent pris de stupeur.
— Vous avez eu une vision du futur ? ricané-je en retombant une nouvelle fois de la potence, jetée par le chauve.
Je me relève, le nez en sang pour m’être rétamée tête la première, la lèvre fendue et une belle bosse quelque part sûrement, à moins que ce soit de gros bleus.
— Exactement, répond Karima en s’approchant de moi avant de me forcer à me lever. Et j’ai vu un futur où il mourait et où tu étais en vie et que tu nous serais utile.
Être utile ? Je frissonne en entendant cela et je ne suis pas là seule à paraître dépasser par les événements. Karima ne m’inspire pas confiance, mais elle m’entraîne avec elle. Apparemment, je deviens plus importante qu’elle ne le pensait.
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