- 2 -

4 minutes de lecture

Les ombres s'allongeaient ; le soleil bascula derrière l'horizon. Quand la voûte céleste se piqueta d'étoiles, les nocturnes quittèrent leurs tanières en files indienne. Des appels se lançaient de l'un à l'autre des groupes. Leur espoir ? Éliminer enfin la menace.

Cette fois, ils venaient en force.

L'origine de l'antagonisme restait imprécise, ensevelie sous la poussière des siècles passés. Issu de leur chaos originel, leur souvenance collective n'en retenait pas plus. Une seule certitude : ces monstres diurnes menaçaient les communautés. Si on les laissait en vie, d'autres viendraient pour les massacrer. Pour l'occasion, l'unité était de mise, les querelles entre les clans s'effaçaient...

*

Le crépuscule flamboyait, finissait en apothéose. Debout sur le seuil de la bâtisse, l'homme y assistait. Comme chaque soir, il se gorgeait de cette splendeur ; ensuite il rentrerait, se calfeutrerait et la fureur débuterait. Étonnamment, il s'attarda après les derniers feux du couchant. Le ciel assombri s'éclaira peu à peu d'une myriade de galaxies lointaines. Les yeux levés vers le firmament, il laissa une intense nostalgie lui serrer le cœur ; de précieuses minutes s'écoulèrent.

Une hululation proche le sortit de sa rêverie ; il tressaillit, regarda autour de lui. Des corps blanchâtres se dessinaient nettement sous la faible lueur des brisures de lune. Une modulation plus intense se propagea dans l'air nocturne ; ils courraient vers lui. Aussitôt il se rua à l'intérieur, se barricada et mit sous tension la protection énergétique. Juste à temps. La porte trembla sous un choc violent. Un cri d'intense souffrance suivit. Il ferma les yeux ; il l'avait échappé belle.

"Je dois être plus prudent".

L'homme monta à l'étage où sa compagne reposait. Afin de maîtriser sa rage, il s'était vu contraint de la sédater. La voir dans cet état lui brisait l'âme. La rareté de ce type de crise, depuis leur arrivée, lui faisait oublier à quel point elle devenait violente en cas de frustration.

L'anéantissement de jours de labeur en une fraction de seconde l'abattait également. Lui aussi ressentait de la colère, de l'impuissance. Il voyait leurs chances de quitter ce lieu se réduire petit à petit. Son humeur s'assombrit davantage.

Hors de la maison, les modulations vocales se poursuivaient entrecoupées de grognements, et de chocs successifs qui parvenaient, malgré la digue électrique, à ébranler la bâtisse. La nuit débutait à peine ; elle menacait d’être longue.

*

Ce premier échec consterna les tribus. La colère naquit, enfla, accentua sur le moment les rivalités. Quelques juvéniles commencèrent à en découdre. Des anciens, plus circonspects, vinrent y mettre bon ordre. Ce n'était pas le moment de se diviser. Des litanies d'apaisement circulèrent parmi eux. Comme de doux sanglots, suivis de notes basses et continues. Le calme revint dans les communautés. Des guerriers furent désignés pour poursuivre les assauts, malgré la magie qui leur interdisait l'accès au bâtiment. Cependant, il fut décidé de faire appel aux sorciers des clans, des coursiers furent dépêchés pour aller quérir les plus doués d'entre eux.

*

Allongé aux côtés de sa compagne, les yeux grands ouverts, il demeurait à l'écoute du vacarme nocturne. Son corps épuisé l'appelait pourtant au repos. Un silence relatif survint, il n'entendait plus que quelques trilles.

Il bascula du côté de l'unique fenêtre. À travers les planches disjointes qui la consolidaient, la lumière diffractée du firmament s'insinua jusqu'à lui. L'argent de son regard fatigué étincela brièvement. Il bâilla, ses paupières s'alourdirent , une douce torpeur le submergea.

*

Elle arriva à la tête des chamans. Personne ne lui avait demandé de venir, mais aucun ne paraissait surpris. On lui libéra le passage avec respect, mais crainte aussi. Elle n'était attachée à aucune tribu, vivait seule dans son refuge, un endroit inconnu de tous. On la disait éternelle et omnisciente, dépositaire d'un savoir extrêmement ancien. D’une note aigüe, elle ordonna à tous de rester en arrière, et aux guerriers de cesser leurs assauts. Pas un ne chercha à contester : suprême était son autorité.

Son corps d'opaline, strié de scarifications, scintillait sous les fragments de l'astre nocturne. Sur sa poitrine menue, d'innombrables sautoirs et colifichets tressautaient. La sorcière portait aussi en bandoulière un sac au contenu mystérieux.

À pas lents et prudents, elle examina les alentours de la maison. tout en évitant le champ d'énergie. Ses yeux opaques inspectaient, étudiaient, cherchaient le moyen d'entrer. Pour elle, ses diurnes n'étaient pas réellement un danger en soi, mais s'il en arrivait d'autres après eux ? Elle devait savoir ce qu'ils faisaient là, le but qu'ils poursuivaient. Lentement, elle recula et revint vers ses enfants.

S''adressant à eux, elle les assura de son soutien. Expliqua que le maléfice conséquent des étrangers l'obligeait à réfléchir à un contre-sort plus puissant encore. Les incita à retourner en leurs abris. Ses modulations vocales, douces, persuasives convainquit les nocturnes ; ils se retirèrent les uns après les autres.

Bientôt seule, elle émit une sorte de soupir, se rapprocha de l'habitation, entra dans un hangar adjacent qui ne bénéficiait pas de la barrière protectrice. Malgrè la pénombre, elle distingua une bâche usagée déployée, n'hésita pas à l'enlever et examiner ce qu'elle dissimulait. Enfin, elle replaça la toile, sortit.

C'est sous un appentis indépendant de la ferme qu'elle s'installa, déterminé à attendre la fin de la nuit.

Annotations

Vous aimez lire Beatrice Luminet-dupuy ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0