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À perte de vue !
Les véhicules antiques s'étiraient sur des kilomètres, et même la patience toute robotique de la marcheuse commençait à s'épuiser. 6A42 remontait ce courant d'acier, de verre et de chaleur avec pugnacité. Pourtant, elle ressentait durement les effets de cette course-poursuite sur son corps endommagé. Les vents secs et brûlants avaient mis à mal sa mince vêture. Également son corps recouvert de peau synthétique qui, jusqu'à sa rencontre avec le couple, avait permis qu'elle se fonde dans le quotidien cavernicole des nocturnes. Parfois, lorsque sa réflexion logique ralentissait, sa marche faisait de même. Perdue, incertaine de ses actions, elle oubliait, le temps d'une nanoseconde, les raisons qui lui avaient fait entreprendre une telle quête. Puis ses pensées s'ordonnaient de nouveau et elle se hâtait, impatiente d'en finir avec les ennemis du peuple de l'ombre.
Cependant, au détour d'un énième amoncellement de véhicules, elle s'arrêta ; une large faille se révélait à ses sens électroniques. Elle s'étendait à ses pieds sur plusieurs centaines de mètres. C'est à peine si elle distinguait l'autre côté. Quelque peu contrariée de ce contre-temps imprévu, elle resta immobile sous l'étouffant brûlant, une étrange sensation de désespérance s'infiltra dans ses circuits. Puis sa logique reprit le dessus : elle s'était trompée de direction à un moment ou un autre. Elle commença à répertorier tous les renseignements utiles en sa possession, plus déterminée que jamais à imaginer une alternative.
*
La mezzanine surplombait un vaste endroit qui allait de la porte vitrée par laquelle Dimitri était entré jusqu'à des ascenseurs en acier. Au centre, le kiosque d'accueil, à gauche et à droite, l'espace était occupé par un groupement de sièges et de tables basses. La propreté des lieux n'avait d'égale que sa fonctionnalité, une ornementation dénuée de fantaisie (quelques statues abstraites déposées çà et là) et un carrelage blanc et froid. Une sorte de bourdonnement léger se faisait entendre. Il l'identifia comme une climatisation ; quant aux senteurs qui flottaient dans l'air, mis à part quelques relents de désinfectant, elles s'avéraient assez neutres.
Où se trouve donc l'énergie qui fait marcher tout ça et comment est-elle produite ?
Cette interrogation, légitime pour une personne réduite à la portion congrue depuis des jours, ne le préoccupa que l'espace d'un instant. Son regard examinait la mezzanine, là aussi, décorée de meubles à la facture simple. Cependant, autre chose attirait son attention : des genres d'armoires vitrées. Il s'avança et écarquilla les yeux de surprise en constatant ce qu'elles enfermaient : de la nourriture emballée sous-vide !
Cela lui enleva le poids présent sur ses épaules depuis son départ de la masure. Il se demanda bien qui avait mis ces denrées alimentaires à disposition et pourquoi. Mais, savoir si elles étaient encore comestibles le turlupinait davantage. Visuellement, elles ne semblaient pas périmées.
Qui se charge de les remplir ?
Une autre énigme pour lui. Puis, il se dit qu'il chercherait des réponses plus tard. Il décida de les tester. Restait un problème de taille ; ouvrir les armoires. Sur celles-ci, ni poignée, ni encoche d'aucune sorte. Dimitri, agacé, secoua la tête avec humeur. Son premier réflexe fut de frapper – il ne s'en priva pas – une brève douleur au poing le dissuada de persister : il dégaina son arme. Puis pensa au moment où l'entrée du bâtiment s'était ouverte. Ainsi rangea-t-il son artillerie et, sans réellement croire que cela marcherait, appuya ses paumes sur la transparence.
D'abord, il ne se passa rien, puis il y eut un déclic et le panneau coulissa ; la nourriture maintenant à portée de main, il s'apprêta à se servir !
— Ah ! Vous y êtes parvenu ! Parfait !
Au son de cette voix, L'homme sursauta. Ses automatismes se mirent en route, et sortant son arme, il pivota et la braqua sur ... un humain !
*
B810 profita du moment de repos des nocturnes pour rassembler et effacer les restes de la soldatesque d'acier. Ceux-ci, détruits par le couple puis mis à mal par 6A42 avaient été éparpillées un peu partout dans les conduits rocheux du sous-sol. Heureusement, les cavernicoles n'étaient pas tombés dessus à l'improviste. C'est ce que se disait la nouvelle « Mère » envoyée par l'entité du bunker. Elle effectua rapidement ce travail, puis silencieusement sillonna les habitats. Le calme était revenu au sein du nouveau peuple, même si leur sommeil s'avérait moins serein ; leurs agitations étaient visibles, palpables, surtout celles des mères. La mort des enfants les avait particulièrement touchées.
B810 espéra qu'après la neutralisation des diurnes tout rentrerait vraiment dans l'ordre. Elle savait également que cet épisode marquerait l'esprit collectif du peuple et renforcerait leur méfiance envers tout ce qui vivait sous le brûlant. À court terme, c'est ce qu'il y avait de mieux. Pour le long terme, il allait falloir semer des graines pour atténuer cette aversion. Le « plan » n'était pas compromis, il prenait juste un peu de retard sur les prévisions. B810 cessa d'y penser, c'était là la responsabilité de l'entité principale. La robote s'engagea dans un autre boyau, celui qui conduisait à la caverne commune à toutes les tribus, lieu emblématique de la Genèse des nocturnes et surtout lieu où les premiers éléments du « plan » avaient été mis en place…
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