12. Bad trip
La suite était belle et luxueuse. Pour ça, Adhara n'avait pas à y redire, l'ensemble des pièces dévoilait un décor élégant. Les meubles en bois lustrés étaient tous assortis, mêlant arabesques et volutes délicates. Le lourd drapé des tentures bordeaux, une fois fermées, érigeait un rempart contre le froid perfide qui traversait les fenêtres. L'anahera se hâta d'ailleurs de les tirer, sachant pertinemment bien qu'il serait gêné par la clarté du soleil au petit matin.
Il traversa ensuite le reste du salon pour s'affaler dans le canapé. Retirant ses chaussures, il s'allongea dans celui-ci et se perdit dans ses gros coussins. Ses paupières se fermèrent par automatisme, lui-même prêt à rejoindre les bras de Morphées. Il dût batailer contre sa fatigue pour attendre le retour de la jeune femme. Sans le vouloir, il pensa à elle...
Quelle idée avait eu Connor de demander à ramener cette fille en Angleterre. Adhara n'en comprenait pas l'intérêt, ni même la raison pour laquelle il l'avait envoyé en mission urgente ici. Son patron n'était pas du genre à exagérer les faits, mais cette fois-ci, il avait semblé à Adhara que l'affaire était de moindre importance. Cette succube valait-elle la peine de mettre fin à ses congés et lui faire prendre le premier avion pour Helsinki ? Pour la sauver de quoi ? De trois brigands même pas capables de se munir d'une arme ?
C'est que de la blague... pensa-t-il en fermant les yeux, au bord du sommeil.
Il lui manquait certainement des éléments, des informations qu'il n'avait pas. Il lui suffirait de regarder dans son sac, d'éplucher son ordre de mission. Connor ne lui avait sans doute pas tout dit, mais peut-être que des précisions s'y trouvaient. Sauf que son sac était à l'entrée et que l'anahera ne trouvait plus le courage de quitter le canapé pour le vérifier. Sa tête reposait déjà mollement sur l'accoudoir et son esprit vaqua vers d'autres sujets.
Lorsque la porte s'ouvrit, Adhara sursauta. La bouche pâteuse et les yeux fatigués, il se sermonna intérieurement pour avoir oser s'assoupir alors que sa "protégée" n'était pas encore revenue. Il se redressa vivement avant que la succube ne le rejoigne dans le salon. Peut-être arriverait-il à sauver les apparences, mais l'allure dédaigneuse de la jeune femme ne lui permit pas de s'en assurer.
Au lieu de cela, Hedony jeta son paquet de clopes sur la table basse et retira sa veste en cuir qui semblait bien trop grande et large pour être vraiment à elle.
Adhara la regarda s'installer en face de lui, ce qui lui donna entièrement le temps de lorgner sur sa tenue. Il devait bien avouer qu'il appréciait le look rock'n'roll qu'elle se donnait. Ses yeux maquillés de noir, ses joues rougies par le froid et ses cheveux qui avaient dû être décoiffés par le vent et la neige lui donnaient un petit air sauvageon... Lui-même renforcé par son caractère revêche.
La femme indomptable par excellence.
Cette dernière avait déballé son paquet pour en sortir une cigarette qu'elle alluma au bout des lèvres. Elle inhala ensuite une bouffée de nicotine avant de laisser la fumée s'évaporer dans la pièce. Quelques secondes, dans ce silence dérangeant... Jusqu'à ce qu'enfin, elle releva le visage pour fixer l'Anahera avec rancoeur.
Sans trop savoir pourquoi, Adhara retint son souffle. Pour le peu qu'il connaissait de la gent féminine, en admettant un jour qu'un homme en sache vraiment quelque chose, il avait l'étrange sentiment qu'une bombe lui exploserait bientôt à la figure.
Attention, collision frontale dans... trois, deux, un...
« Je leur dirai. »
Adhara resta abasourdi tandis qu'Hedony resta un instant comme ça, adossée contre le siège de son fauteuil en épiant la réaction de son interlocuteur.
« Pardon ? »
L'ange déchu ne comprenait pas où elle voulait en venir. Un petit rictus étira les lèvres de la jeune femme, ce qui agaça Adhara.
« À tes supérieurs... » précisa-t-elle en croisant nonchalamment ses jambes.
Adhara haussa les sourcils. Hedony soupira en levant les yeux au ciel. Elle en profita pour secouer sa cigarette au-dessus du cendrier sur la table basse.
« T'es sensé me protéger et tu m'accompagnes même pas pour aller chercher des clopes ! On me dit que des terrorristes en ont peut-être après moi, et toi, la seule chose que tu trouves à faire, c'est juste me filer l'argent et me planter là, à l'entrée de l'hôtel ! »
Le ton de sa voix avait monté au fur et à mesure que sa colère croissait. Piqué au vif, Adhara n'attendit pas son reste pour lui répondre du tac au tac :
« Holà ! Mollo l'asticot ! On m'a envoyé ici pour te retrouver et te ramener à Manchester, pas pour faire du babysitting ! »
Hedony lui lança un regard noir et croisa les bras sur sa poitrine. Si seulement ça l'atteignait, Adhara n'avait cure de sa crise existencielle.
« Je m'en fous, je parlerai de tout ça avec ton patron et je lui ferai part de ton insolence, dit-elle mesquine.
— Et elle ose parler de mon insolence ! se formalisa Adhara en posant une main sur son front.
— Tu es sensé veiller à ma sécurité jusqu'à Manchester ! Ca dit bien ce que ça dit ! C'est limite si tu ne m'avais jetée en pâture aux lions !
— Parce que tu t'es peut-être blessée entre temps ? Tu es morte en chemin ? Non ? Alors cesse donc de geindre comme ça ! »
La jeune femme se refrogna dans son fauteuil, ramenant ses jambes contre elle. Elle détourna la tête en marmonnant d'inintelligibles paroles, probablement quelques insultes finlandaises. Adhara la laissa faire, qu'elle boude si elle veut, tout ce qu'il voulait, c'était de retourner en congé dès qu'il se serait débarrassé d'elle. Il se passait fort bien des missions, comme celles-ci, où il devait faire preuve de démagogie alors qu'il n'en avait tout simplement pas.
Hedony tirait une nouvelle bouffée de cigarette quand, soudain, elle se mit à tousser. Adhara ne put s'empêcher d'afficher un petit sourire en coin en la voyant s'étouffer.
« On appelle ça le karma... » l'informa-t-il.
Elle leva sur lui un regard noir tout en reprenant contenance.
« Bon, c'est pas tout ça, mais il est minuit passé depuis bien longtemps. Je pense que madame-la-princesse-Cendrillon devrait aller se coucher pour ne pas se lever une nouvelle fois du pied gauche... »
Ravi de sa petite boutade, l'ange déchu ajusta le plaid sur ses jambes. Une fois la finlandaise couchée, il pourrait enfin se reposer.
« J'ai pas sommeil. » le contraria-t-elle.
Les épaules d'Adhara s'affaissèrent dans un soupir.
Un peu de diplomatie, mon cher... Tu risques de ne pas t'en sortir indemne sinon... enfin, toi ou elle... mais ce serait tout de même fâcheux qu'il lui arrive quelque chose.
Le jeune homme inspira profondément avant de reprendre la parole, de manière plus posée cette fois :
« Tu devrais aller dormir... La journée sera...
— J'ai dit que j'avais pas sommeil, le coupa-t-elle.
— Ca veut dire que je peux prendre la chambre pour moi ?
— Si tu veux. »
L'alarme interne d'Adhara vira au rouge. Elle avait dit : si tu veux. Le terrain semblait glissant. Il arqua un sourcil.
« C'est un piège, c'est ça ? » demanda-t-il à moitié badin, histoire de tâter le terrain.
Hedony lui renvoya une expression exaspérée. Adhara se pinça les lèvres en baissant les yeux, mine de rien.
« Bon... Je vais la prendre alors, si ça ne te dérange pas... »
Il reprit les quelques affaires à lui qui traînaient à ses côtés : chaussures, veste, pull... Les bras chargés, il se dirigea vers la chambre avant de s'arrêter sur le pas de la porte. Il se tourna vers la jeune femme qui lui faisait dos.
« Pour demain... euh enfin, tantôt... On prendra le premier avion pour Manchester dès notre réveil. Mais j'imagine que tu voudras d'abord passer chercher des affaires chez toi ? »
Pas de réponse.
J'imagine que ça veut dire oui...
« Est-ce que ça ira ? s'enquit-il avant de la laisser pour de bon.
— Oui, c'est la descente, c'est tout, répondit-elle d'une voix atone, toujours sans prendre la peine de le regarder.
— La descente ?
— Il y a deux phases quand on prend des drogues... La montée, c'est l'euphorie, la joie, tout est beau, tout est joli... Puis après, on entame la descente... tout devient morne, gris, les idées sont toutes plus noires les unes que les autres...
— Tu veux dire que tu es en plein bad trip ?
— En gros... ça me file parfois de sales hallucinations. Du coup, je préfère rester éveillée. »
Pantois, Adhara resta quelques secondes à contempler le dos de sa chevelure. Il ne savait pas quoi répondre. Le sommeil cependant le rappela à l'ordre.
« Je vais dormir, mais si tu as besoin de moi... tu sais où me trouver.
— Ouais.
— Bonne nuit... »
La jeune femme ne répondit pas, mais Adhara se faufila dans la chambre pour s'assoupir en moins d'une minute.
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