Amertume
En rentrant chez lui, l’humeur d’Adhara était morose. Il se savait en congé, enfin libre de faire ce qu’il désirait et pourtant, il ne ressentait pas cette joie qu'il aurait dû éprouver. La maison semblait étrangement vide. Ses murs blancs qui dégageaient une ambiance sereine apportaient désormais un sentiment de vide et de froid.
Adhara mis ses mains devant son visage, inspira profondément et expira dans un long soupir pour refluer toutes les pensées négatives qui s’enchevêtraient dans son esprit. Le téléphone sonna dans le salon. Il fronça les sourcils, rentra dans la pièce et alla décrocher.
« Allo ?
— Parraiiin !
— Heeey ! Phéléna, ma chérie, comment tu vas ?
— Trop bien, je suis en vacances avec maman ! On vient d’arriver ! On est à Tahiti ! »
Entendre la voix de sa filleule au bout de fil lui permettait de relativiser sur son propre sort. Il était heureux de savoir que Sarah avait pu trouver le temps de partir avec sa fille à l‘autre bout de la planète pour des vacances bien méritées. Sarah était une dryade fort occupée par son boulot, il savait qu’elle travaillait derechef pour limiter la déforestation de par le monde et aider à la préservation des réserves naturelles. Une vraie militante en somme et une grande amie à lui.
« Ah ouais ? Mais c’est trop cool ça. Vous restez combien de temps ?
— On reste dix jours.
— Waaw ! Je suis trop jaloux…
— Haha ! Maman dit que tu peux toujours venir, elle a loué une petite maison.
— Eh bien, tu pourras dire merci à maman.
— Tu vas venir alors ?
— Ce n’est pas prévu, mais je vais peut-être y réfléchir. Il y a du soleil chez vous ?
— Tout plein !
— La chance… Si tu savais, ici, on a que de la pluie ! »
Phéléna rigola et Adhara ne put s’empêcher de sourire derrière le combiné. Définitivement, cette petite nymphe avait le don de lui redonner la pêche même quand tout allait mal. Son innocence et sa spontanéité savait viser dans le mille.
« Alors viens parrain ! Ce serait trop chouette que tu sois là. On pourra aller à la plage ensemble !
— Ça va ma puce, je vais voir si je peux me le permettre d’abord. On se tient au courant, d’accord ?
— D’accord !!! »
Il lui souhaita de passer une bonne journée et de ne pas hésiter à le rappeler car cela lui faisait plaisir de parler avec elle et il raccrocha après plusieurs bisous baveux à travers le combiné. La réjouissance fut de courte durée et la réalité reprit le pas. Devant lui, il y avait encore les boîtes et les restes de pizza. Il ferma les poings alors qu’il repensait à la succube. Mais l’incertitude concernant son sort le mettait hors de lui. Il donna un coup de pied dans un carton et passa la main dans ses cheveux.
« Putain ! Fais chier ! »
Adhara savait que ce n’était pas de son ressort, pourtant, il ne pouvait s’empêcher de se sentir naze. Il lui avait juste dit « au revoir » et il s’était cassé comme ça, sans un regard ou un mot de plus pour affronter son sort douteux.
***
Le patron d’Adhara ne l’avait pas vraiment libérée. Hedony restait leur invitée au même titre qu’elle ne l’était chez Jacob et ses subalternes. Au moins avaient-ils eu la décence de lui offrir une chambre confortable, avec sanitaires et même une télévision pour faire passer le temps. Une prison dorée dont le verrou était fermé à double tour.
La succube se remémorait quelques bribes de la conversation qu’ils avaient eue…
« Vous avez demandé à ce qu'on la tue ! Et elle est morte ! »
Le manque cruel de réaction chez Connor face à son incrimination avait énervé Hedony. Il avait gardé son expression froide et dure, intouchable. Elle avait serré les poings. Les sentiments d’injustice que ressentait Abel dans ses souvenirs remontaient à la surface pour la tourmenter à son tour.
« As-tu seulement vu ce qu'il s'est passé avant ? lui avait demandé Connor.
— Non ! Mais... C'était tellement douloureux, répondit-elle avec une pointe de détresse dans la voix.
— C'est normal. Abel a perdu Liora, son âme soeur. Ils se connaissaient depuis plusieurs vies.
— Plusieurs vies ? »
Ce fut au tour de Saagaran de lui expliquer.
« Abel et Liora étaient des samsarans. Des créatures qui ont la capacité de se réincarner après leurs morts. Ils se retrouvaient pratiquement à chaque vie.
— Sauf que Liora a violé un de nos lois les plus sacrées, reprit Connor. Et nous ne pouvions laisser son crime impuni.
— Mais de là à la tuer pour de bon... ? »
Hedony avait les yeux humides, partageant la souffrance d'Abel. La douleur dans son coeur révélait l'immense vide que sa mort avait laissé.
« Liora aurait recommencé, c'était inévitable, au grand dam d'Abel. On ne pouvait plus rien pour elle. »
Hedony se leva de son lit et frappa le mur. Cette conversation ne lui avait pas permis de calmer ses tourments. Elle avait l’impression d’être une bête de cirque ; ils voulaient la surveiller qu’ils disaient. Pourquoi donc ? Ils avaient peur qu’elle ne commît les mêmes fautes que Liora ? Qu’elle rejoignît Jacob pour les aider dans leur mouvement et s'adonner à une mutinerie contre la sphère surnaturelle ?
Non !, pensa-t-elle. Jamais elle ne s’abaissera à ça. Elle ne prendrait ni le parti pour les uns ni pour les autres. Ils pouvaient tous aller se faire foutre. Pourquoi l’avaient-ils traîné dans cette querelle puérile ? Elle avait beau avoir des visions sur les anciennes vies d’Abel, ça ne faisait pas d’elle une criminelle. Pourtant, Connor Lynch la considérait déjà comme telle. C’était ce qui la mettait de si mauvais poil.
La jeune succube faisait les cent pas dans sa chambre, incapable de rester tranquille alors que tant de pensées bouillonnaient dans sa tête. Elle n’avait maintenant plus qu’une seule solution… S’enfuir.
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