Voilà trois jours qu’Adhara tournait en rond dans son appartement. Il cherchait en vain à s’occuper comme il le pouvait, ses pensées le tiraillaient et étaient inévitablement tournées vers Hedony. Son odeur semblait imprégnée sur sa peau, il sentait encore le goût mentholé de ses lèvres sur les siennes, la pression de son corps contre le sien. Il en devenait fou, elle s’était accaparée de sa santé mentale avec tant de facilité. Il devait la chasser de son esprit pour espérer recouvrer un semblant de stabilité.

Le tuahine noua ses lacets et se releva. Heureusement qu’il pouvait compter sur Aaron pour lui changer les idées. Ce métamorphe était ce qui ressemblait le plus à un meilleur ami, un binôme avec lequel il appréciait travailler et s’entrainer. Chaque semaine, ils se retrouvaient pour courir ensemble. Habitude qu'ils avaient prise depuis quelque temps.

Il le retrouva à l’orée du parc qui se trouvait à égal distance de leurs maisons respectives.

« Salut mon pote.
— Salut Aaron. »

Le jeune homme affichait un grand sourire, ses cheveux bruns en bataille lui donnaient un air semi-négligé. Ils se serrèrent la main pour se saluer puis se lancèrent sur le chemin asphalté qui sillonnait entre les arbres sans plus de cérémonies.

« Alors quelles nouvelles ?, demanda le métamorphe en courant.
— Pas grand-chose, et toi ? répondit Adhara en haussant le sourcil. »

Adhara commençait à bien connaître son camarade. En général, lorsqu’il parlait dès le début, c’était qu’il avait un sujet de conversation sur le feu. Au fond, Aaron était une vraie pipelette quand il s’y mettait, pire qu’une femme.

« Oh mon Dieu ! Journée de fou hier au boulot, je ne te dis pas ! »

Le tuahine resta silencieux. Le regard accroché au sol, il réfléchissait. L’évocation de son travail lui ramenait l’image de la succube en tête. Il refoula le souvenir de leurs ébats et se concentra sur son souffle.

« Il y a une nouvelle au CGCS et putain, qu’est-ce qu’elle est bonne ! »

Son sourire goguenard amusa Adhara.

« Ha ouais ?
— Ha ouais putain ! Plus sexy qu’elle tu meurs ! Même Connor a succombé à ses charmes, t’imagine ! »

Le tuahine fronça les sourcils. Cela ne ressemblait pas à son patron de céder aux avances d’une femme et encore moins que son personnel soit tenu au courant.

« Comment ça se fait ?
— Mec, c’est une succube et elle a un pouvoir de ouf ! »

Merde. Même quand il essayait de l’oublier, elle s’invitait dans leur conversation. Il n’avait pas fait le lien. Hedony était donc partout, mais l’allusion à son pouvoir le fit tiquer. Aaron parlait-il juste de son sex-appeal obsédant dont elle était naturellement bénie ou s’agissait-il véritablement de son pouvoir naissant ?

« Je suis rentré dans le bureau de Connor, j’ai levé mes yeux vers elle. Et là, elle m’a ensorcelée d’un seul regard. D’un coup, d’un seul, je ne pouvais plus me contrôler. Juste une putain d’envie de baiser ! »

Ses entrailles se tordaient dans son estomac au fur et à mesure qu’Aaron expliquait. Il serrait la mâchoire et les poings rien qu’à imaginer le métamorphe poser ses mains sur elle. C’était intenable.

« Je ne te dis même pas comme elle était bandante, elle faisait tout mais absolument tout pour nous rendre dingue !
— Vous ? Réussit à articuler Adhara alors que la colère le gagnait.
— Bah ouais, c’est parti en orgie avec Connor tellement ça nous dépassait ! On a saccagé son bureau, on l’a prise de toutes les manières possibles et imaginables cette traînée et comment on l’a fait hurler ! »

C’en était de trop, il voyait rouge. Il arrêta de courir et agrippa le tee-shirt de son ami pour le pousser contre un arbre avec fureur le coupant dans ses explications.

« Ecoute-moi bien Aaaron. Tu vas gentiment fermer ta petite gueule de merdeux car j’apprécie pas du tout comment tu parles d’elle, c’est compris ? »

Le métamorphe ouvrait de grands yeux surpris, l’attitude d’Adhara le déroutait sans en comprendre la raison. Jamais il n’avait réagi de la sorte, peu importe qu’il parlât de femmes de manière grossière ou d’autre sujet épineux.

« Euh… Ou-ouais. » Balbutia le brun.

Le tuahine le fixa avec animosité quelques secondes.

« Tu ne parleras même plus jamais d’elle devant moi, d’accord ? »

Le métamorphe hocha vivement la tête. Le message était reçu cinq sur cinq.

« Je t’interdis même de poser à nouveau le regard sur elle, sinon je t’étripe !
— Mais Adhara c’est...
— J’veux rien entendre ! »

Il lâcha Aaron, le visage encore déformé par la haine qu’il ressentait au fond de lui.

« Putain quoi ! Tu viens de bousiller ma journée ! »

Il fermait encore les poings et inspira profondément. Du calme, tentait-il de se convaincre, mais cette histoire d’orgie l’assaillait. La belle Hedony en train de se taper Aaron et… et Connor ?! Il mit ses mains sur la tête comme pour chasser ces visions tenaces. Impossible ! Comment Monsieur Lynch avait-il pu perdre le contrôle comme un vulgaire débutant face à la succube ?

« Tu dis que tu t’es tapé Hedony avec Connor ? »

Non, il n’aurait pas dû poser la question, son sang bouillonnait déjà dans ses veines et il contenait sa rage avec peine. Aaron resta interdit, ne sachant quelle conduite adopter.

« Non, ne réponds pas. »

Adhara tira la tête en arrière et ferma les yeux. Il essayait de vider sa tête de toute pensée négative. Trouver le calme et la sérénité. Trouver le nirvana où plus rien ne l’atteindrait. Mais merde, il était humain et la jalousie le rongeait voracement.

« Mec, ça va ? Je suis désolé, je ne savais pas que…
— Non, c’est moi qui suis désolé. J’aurais pas dû m’emporter.
— Tracasse pas, j’ai bien vu que ça t’a marqué. »

Adhara soupira et alla s’asseoir sur un banc. Aaron prit place à côté de lui.

« Connor m’avait prévenu de faire gaffe. J’dois apprendre à relativiser, ça passera avec le temps. »

Beaucoup de temps même, pensa-t-il en constatant à quel point elle le hantait.

« C’est dingue, elle ne quitte pas mes pensées, moi. Son pouvoir m’a complètement retourné la tête, je ne sais même plus penser par moi-même. J’ai envie de la rejoindre, là, tout de suite. De la retrouver dans la chambre de dégrisement et de recommencer et… »

Aaron se tut en voyant le regard assassin du tuahine. Il fit profil bas, inutile d’en venir aux mains.

« On est dans la merde, déclara le métamorphe.
—Faut arrêter de penser à elle. »

Adhara le disait autant pour lui que pour Aaaron. Sa promesse de ne jamais tomber amoureux, il comptait la tenir. Il l’avait même assuré à Phéléna, il n’y avait pas si longtemps de cela. S’il ne la recroisait pas, il avait encore une chance de l’oublier.

Le tuahine se leva, prêt à courir. Faire du sport l’aidera à faire le vide, il le devait. Son ami l’imita. Ils reprirent leur course comme si de rien était. Le silence n’était coupé que par leur souffle régulier alors qu’ils trottinaient sur le gravier.

Simplement courir. Ne penser à rien d’autre qu’à sa respiration. Tenir le coup. Ne pas craquer. Penser à autre chose. Mais Hedony... Hedony, elle... Et merde.