Dégrisement
Enivrée. Hedony avait beau être couchée à même le sol, dans une pièce vide de tout mobilier, qu’elle se sentait bien. Un sentiment de plénitude la comblait. Une ivresse que même la drogue la plus dure n’avait pu lui procurer jusqu’alors. Le pouvoir, le sexe, la vie.
Ca avait été primitif, sauvage, brutal. Jamais dans sa vie la succube avait vécu un moment si fort, si violent et intense que son corps se tordait encore d’envie. Elle revoyait la scène en boucle. Cette manière dont elle avait pris le contrôle, qu’elle avait évoqué l’envie chez Connor puis l’effervescence chez le jeune homme qui les avait rejoints par la suite.
Ils avaient marqué son corps. Le jeune avec son comportement très bestial avait labouré son corps : des traces de griffes et de morsures sillonnaient désormais sa peau opaline. Quant au patron de la CGCS, il s’était fait violence pour la combler de plaisir. La rage contenue dans ses yeux prouvait qu’il était conscient de ce qu’il faisait sans pour autant pouvoir s’arrêter, mû par une irrésistible attraction attisée par l’aura persuasive d’Hedony. Cette perversion avait provoqué une tempête dans son esprit et il l’avait prise sans ménagement, avec toute sa force, marquant toute la rancœur et la fureur qu’il éprouvait dans ses gestes rudes.
Ce contrôle dont elle avait pu jouir, cette prise de pouvoir terrifiante et cet état comparable à l’ébriété qui s’en était suivi... Hedony avait perdu toute raison. Animée par une flamme qui dépassait son entendement et avait embrasé son corps avide de caresses, de contacts et de relations charnelles. Le feu s’était propagé, avait atteint les autres comme de la poudre aux canons et leur avait explosé en pleine figure.
Cette bacchanale avait dépassé tout entendement, les réduisant à l’état de simples pions sous la candeur de son pouvoir naissant. La colère d’Hedony avait tout enclenché, avec ce souhait de pouvoir asseoir une autorité même fugace sur monsieur Lynch. Ce simple caprice avait tout dévasté. Et Saagaran y mit un terme.
Dès l’entrée de la panthère noire dans la pièce, le charme se rompit. Le pouvoir de la succube n’eut plus aucun effet sur Connor, tant et si bien qu’il signa la fin de cette débauche. Direction le cachot pour la belle Hedony.
Ils l’appelaient la chambre de dégrisement, mais même après plusieurs heures, elle ressentait toujours l’extase de leurs corps contre le sien, de ces étreintes dures, de ce curieux mélange entre douleur et plaisir.
Hedony soupira d’aise. Elle passait ses mains sur son corps pour se souvenir de ces caresses, le dos cambré. Parfois, elle riait sans raison. Son pouvoir rendait certaines perceptions étranges comme s’il déformait la réalité tel un psychotrope.
Elle perdit la notion de temps et divagua dans ses pensées. Elle tangua entre les phases de sommeil et de réveils, sans jamais descendre de ce nuage.
Au bout d’une durée considérable qui pouvait se compter en heures ou même en jours, elle se releva. Les effets de sa magie se dissipaient et elle recouvrait sa lucidité.
Elle s’avança vers la fenêtre, unique ouverture sur le monde extérieur, mais au lieu de porter son regard sur la vue offerte à travers la vitre, son attention se porta sur son reflet. Les sourcils froncés elle s’avança encore.
L’image reproduite semblait différente. Elle amena sa main à sa bouche, mais son double ne suivit pas son geste. Hedony reconnut son sourire mutin, mais son reflet avait des yeux bleus, une chevelure d’ébène et une silhouette plus voluptueuse. Ce n’était pas elle.
Sa bouche s’ouvrit sans qu’elle ne le voulût.
« Je t’ai enfin trouvée, après tant d’années. »
Abel.
Le décor changea et Hedony fut projetée dans un temple face à la créature.
La femme eut un léger rire, cristallin, enchanteur, ensorcelant. Ce rire provoqua de profonds frissons chez Abel, comme si la seule perception de sa voix trouvait un écho à travers son corps et l’électrisait.
« J’ai entendu parler de toi. »
Même le son de sa voix harmonieuse résonnait en lui, mais Abel garda ses distances. Immobile et le visage sombre, il tentait de déchiffrer la répudiée. Née de la nuit et du vent, cette femme était la source de bien des légendes. Celle qui était à la source de tout, mère de plusieurs créatures, tout aussi belle que volubile.
« On dit que tu as tué de nombreuses personnes dans une vie… Toutes de manière atroce. »
Sur ces mots, des ailes noires se déployèrent dans son dos. Elle descendit les quelques marches qui la séparaient du samsaran, l’œil brillant.
« Ce n’était pas la meilleure période. » Conclut Abel, mal à l’aise de la voir se rapprocher.
Elle afficha un sourire en coin. Ses doigts se posèrent sur l’épaule de l’homme et elle en fit le tour pour l’examiner sous toutes les coutures.
« Je la préfère à celle où tu as sauvé tant de monde.
— Je viens te voir pour une raison précise, annonça-t-il.
— Je sais. »
Elle s’arrêta face à lui, sérieuse.
« Je sais qui tu es, ce que tu veux et pourquoi. »
Il avala sa salive et attendit.
« Et tu as réussi à me trouver, ce n’est pourtant pas chose aisée.
— Il m’a fallu plusieurs vies, concéda-t-il.
— Cependant, commença-t-elle, je ne vois pas ce que j’aurai à gagner en acceptant ta requête. »
La créature ailée croisa les bras sur sa poitrine. Son menton relevé, elle jaugea Abel avec insolence. Son statut et son pouvoir le lui permettait. Puissante, rebelle, insaisissable.
« Je sais qu’il y a une personne qui compte à tes yeux. »
Elle haussa un sourcil, intriguée. Une lueur vacilla dans ses yeux d’un bleu glacial.
« Je sais aussi qu’elle est maudite… » Continua Abel prudemment.
Son interlocutrice éclata de rire.
« Lui ? Penses-tu sincèrement que je ferai des sacrifices pour lui ? »
Elle se retourna, hilare.
« Elle est bonne celle-là…
— Il y a un moyen de lever la malédiction. »
Son hilarité s’envola, l’arrêtant dans sa lancée. Impossible, pensa la créature.
« Pourquoi voudrait-il faire cela ? demanda-t-elle. Il est devenu immortel grâce à ça.
— Je dis juste que je connais le moyen. »
Un vent puissant souffla dans le temple trahissant le tumulte des pensées de la femme. Elle revint sur ses pas.
« À quoi bon ? Je suis sûre qu'il apprécie son statut et le pouvoir qu'il en tire. Ta proposition n'a pas de sens. »
Abel restait inébranlable.
« C’est toi qui voit. » Dit-il dans un soupir.
Elle l’observa, tiraillée par des sentiments contradictoires. Il tourna les talons pour s’en aller. Abel savait que s’il voulait donner une chance à son plan, il lui fallait être patient. Une vie de plus ou de moins, il n’était plus à ça de près.
« Tu sais que si je dois accepter, ce ne sera pas suffisant, le retint-elle.
— Hmm. »
Il posa une main sur le mur à côté de lui, le regard porté au loin.
« Que voudrais-tu alors ?
— Si je le fais, je veux aussi ta vie en échange. »
Elle jubilait, persuadée qu’il s’en irait en refusant. Dos face à elle, elle le vit baisser la tête. Elle devinait qu’il était prêt à abdiquer, mais ne se doutait pas qu’il souriait, victorieux.
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