Dégrisement (suite)

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Abel tourna la tête pour regarder son interlocutrice avec sérieux.


« Si c’est que tu veux, j’accepte. »


La femme aux grandes ailes noires afficha une mine surprise. Elle garda le silence, interdite. Elle comprit que sa décision était mûrement réfléchie et qu’il était prêt à aller jusqu’au bout.


« Je reviendrais avec Jacob, précisa Abel.
— Je te ferai souffrir de la plus atroce des manières, continua-t-elle comme pour le dissuader.
— Je serais prêt, fais-moi signe pour me dire quand ça t’arrange. »


Elle n’en croyait pas ses oreilles. Il partit pour de bon, sortant du temple pour rentrer dans une forêt épaisse à la moiteur dérangeante et sa silhouette disparut entre les arbres.

La porte de la chambre s’ouvrit dans un léger grincement et sortit Hedony de ses pensées. Le retour à la réalité fit manquer un battement à son cœur, mais celui-ci s’affola plus encore lorsqu’elle découvrit qui était à l’embrasure de la porte.


« Putain, mais qu’est-ce que je fous… »


Le souffle coupé, Hedony ne savait pas comment elle devait réagir. Elle hésitait à lui sauter au cou, heureuse de revoir son air renfrogné, ses sourcils toujours froncés dans une mine boudeuse, ses remarques acerbes. Adhara. Il était là. Il était revenu.


« Allez, grouille avant que je ne change d’avis, on n’a pas qu’ça à faire ! »


Elle remarqua le flingue dans sa main et son holster d’épaule. Cette image la saisit et enclencha une avalanche de diverses émotions dans sa tête. Entre plaisir de le revoir, excitation et le sentiment de danger. Il était bien là pour la sortir de ce maudit endroit.

Sortant de sa torpeur, Hedony hocha la tête et courut vers lui. Elle ne put s’empêcher de le prendre dans ses bras lorsqu’elle arriva à sa hauteur. Il lui rendit à peine son accolade, les sens en alerte.


« C’est bon, ça va, on n’a pas le temps ! » Grommela-t-il.


Adhara la poussa gentiment à sortir et ferma la porte derrière lui. Un corps gisait inerte à côté d’eux, assommé d’un coup de crosse. Hedony lança un regard inquisiteur vers le tuahine. Il se contenta d'hausser les épaules et d’avancer dans le couloir suivie par la succube. Il s’arrêta au coin, dos au mur, chargea son Browning.


« Qu’est-ce que tu fous ? lui demanda Hedony à voix basse.
— Figures-toi que je me pose la même question… »


Super ! pensa-t-elle en levant les yeux au ciel. Adhara jeta un coup d’œil au-delà du mur. La voie était libre, il s’élança silencieusement.

Ils défilèrent dans de nombreux couloirs, s’arrêtant à chaque nouvelle intersection pour ne pas se faire repérer et vérifier leurs arrières. À la nouvelle bifurcation, Adhara perçut des bruits de pas, il leva son arme pour la pointer sur le garde qui arrivait droit sur eux. Le vigile ne les remarqua qu’à la dernière minute, la surprise se lut sur son visage lorsqu’il remarqua Hedony à côté de lui.


« Adhara. »


Aaron leva doucement les mains en signe de reddition. Le tuahine le tenait en joue.


« Tu ne feras pas ça, dit le gardien en indiquant l’arme du regard.
— Oh, je n’hésiterais pas s’il le faut. »


Hedony avala sa salive, ses mains devenaient moites par le stress. Elle jetait des coups d’œil derrière elle par intermittence. Ils devaient se dépêcher, ça ne l’inspirait pas de traîner ici, mais les deux hommes se toisaient. Adhara ne mentait pas quand il disait qu’il n’hésiterait pas, il raffermit sa prise sur son arme.


« Pas besoin. Je… Je comprends tout à fait, avoua le métamorphe. J’aurai été prêt à faire de même.
— Pas de ça avec moi, Aaron. Passe-moi ton flingue.
— Si, je te jure. »


Le garde retira néanmoins son pistolet de sa ceinture sur ces mots et le fit glisser au sol vers son ami. Il lança un regard inquiet autour de lui avant de le poser sur la succube, compatissant.


« Je ne peux pas sortir ce moment de ma tête, ça me hante, lui avoua-t-il. »


Adhara s’avança vers lui pour lui porter un coup mais Aaron leva les mains pour le retarder.


« Non attends ! Je peux vous aider ! »


Le tuahine laissa son geste en suspens, toujours méfiant.


« On a attrapé la salamandre qui faisait tant parler d’elle en Italie… Elle est dans une cellule de l’aile Sud. Si on la laisse s’échapper, ça vous donnera une chance supplémentaire de vous enfuir. Ou au moins ça vous donnera cinq minutes de répit. »


Le temps resta en suspens quelques secondes.


« Une salamandre ça fait des dégâts.
— D’énormes dégâts, confirma Aaron d’un air entendu.
— Pourquoi te faire confiance ? »


Le métamorphe se pinça les lèvres.


« Entre potes, on se serre les coudes. Puis… Elle ne mérite pas d’être enfermée ici. »


Il lui lança un regard conquis, conscient de ce qu’il était prêt à faire pour une femme qu’il n’avait qu’entraperçu le temps d’un instant. Pas n’importe quel instant, aussi bref soit-il il restera gravé dans sa mémoire.

Adhara serrait la mâchoire. Hedony posa une main sur son bras et il baissa son flingue. À deux, sans alliés, ils n’iraient pas loin.


« Fais lui confiance, lui conseilla Hedony d’une voix douce.
— D’accord. Va libérer la salamandre alors, Aaron.
— C’est comme si c’était fait ! »


Aaron afficha un grand sourire, il amena sa main à son front dans un geste militaire. Ils s’apprêtaient à partir chacun de leur côté, mais le métamorphe s’arrêta dans son élan.


« Adhara.
— Oui ?
— Je préviendrais Monsieur Lynch dans cinq minutes, quand je serais sûr que vous êtes partis… Je tiens quand même à ma place. »


Le tuahine hocha la tête. Aaron croisa le regard d’Hedony qui lui rendit un sourire bienveillant.


« Merci, chuchota-t-elle.
— Tout le plaisir était pour moi, répondit-il en repensant à leurs déboires. »


Le métamorphe effectua une légère courbette. Adhara émit une sorte de grognement. Jalousie ?, se demandait la succube en scrutant le tuahine, mais elle n’eut pas le temps d’y penser plus longtemps.


« Allons-y ! »


***


Aaron passa entre les flammes de l’aile Sud. Comme prévu, la salamandre saccageait tout sur son passage. Le feu léchait les murs à une vitesse extraordinaire comme mû par leur volonté propre. Il leur faudrait des semaines pour réparer les dégâts et plus encore pour rattraper la créature désormais libérée.

Le jeune homme courait jusqu’au bureau de Monsieur Lynch, plusieurs minutes s’étaient écoulées depuis son entrevue avec le tuahine et il ne doutait point qu’il devait être déjà loin à l’heure qu’il était. Au fil de ses foulées, il se pencha en avant, ses jambes et ses bras se transformèrent en pattes. Le chien accéléra l’allure pour retrouver son patron.

Arrivé devant la porte, Aaron reprit forme humaine et ouvrit le battant. Ce qu’il découvrit le glaça sur place. Dans un coin de la pièce, un homme le fixait avec ses deux yeux glacials. Un frisson parcourut l’échine du métamorphe qui n’osa pas se détourner.


« Monsieur Lynch, la succube s’est enfuie. » Réussit-il tout de même à articuler.


Il lui lança une œillade, il se tenait droit dans son fauteuil, la main devant sa bouche dans une mine songeuse.

« Je sais. »

Connor Lynch sait tout.

« À toi de jouer. » Lança le patron vers son invité hostile.

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