11. Mésaise (2/2)
Quelques minutes plus tard, la voiture s'immisça dans une place de parking. Hedony sortit du véhicule non sans jeter un regard hautain sur son chauffeur. Pourquoi la police ne l'avait pas faite accompagnée par un autre agent, plutôt que cet anglais imbu de sa personne ?
Derrière sa tignasse brune, l'agent Faraday aurait pu avoir l'air mignon. Ses yeux d'un gris bleuté donnait de la profondeur à son regard sceptique et son expression renfrognée alimentait son petit air rebelle, un air qui plaisait à Hedony d'habitude. Sauf qu'il avait tué Kalevi. De sang froid. Comment les forces de l'ordre pouvaient-elles la croire en sécurité avec un assassin tel que lui ? Elle ne se remettait pas de la mort de l'innocent, de tout ce sang qui avait coulé de sa blessure... L'image de son ami - c'était ce qui lui semblait être le plus proche - agonisant semblait être imprégnée derrière sa rétine.
Hedony frissonna, autant secouée par ses émotions que par la brise qui s'engouffrait dans les artères du quartier et lui cingla le visage.
L'hôtel occupait le coin de la rue qui donnait sur l'esplanade, elle-même à deux pas de la mer. Sa proximité ajoutait au vent une désagréable sensation d'humidité et un vague parfum salé. La jeune femme resserra les pans de sa veste en hâtant le pas vers le bâtiment.
Le Kämp était probablement l'hôtel le plus luxueux de la ville. Ses façades, bien que modestes, étaient éclairées par une kyrielle de luminaires, lui conférant ainsi une ambiance raffinée.
Le hall d'entrée enveloppa les deux arrivants dans une chaleur délicieuse. Sans perdre de temps, l'agent Faraday s'approcha de la réceptionniste derrière son comptoir en bois sculpté. Hedony en profita pour le détailler, cherchant chez lui les failles de son masque d'homme inaccessible.
« Bonsoir, on aimerait deux chambres communicantes pour cette nuit » déclara-t-il.
Le jeune homme affichait un air exaspéré, qu'Hedony trouva agaçant. Trop désinvolte, trop impatient, trop vite excédé, comme s'il gardait un enfant dans les pattes et que cela le dérangeait. Sauf qu'elle n'était pas une enfant et détestait être traitée comme tel. Tout au plus conservait-elle l'esprit rebelle d'une adolescente en quête d'elle-même... Ou cela faisait-il simplement partie de son caractère affirmé et trempé.
Hedony se revit d'un coup transportée dans un autre décor, perdue dans une forêt, dans la moiteur de l'automne. Des arbres colorés de rouge et d'orange tombaient de grosses gouttes, s'écoulant alors sur la robe des deux chevaux attachés non loin de ce sentier qui faisait office de route. Ils renaclaient, désemparés face au spectacle que leur offrait leur humain.
« C'est hors de question ! Tu m'entends ? Je te l'interdis ! » s'entendit Hedony dire avec sa voix d'homme.
Elle serra ses poings qui n'étaient pas vraiment les siens. Des larmes inondèrent les joues de la dame en face d'elle, déformant son visage si charmant par une grimace de désespoir. Une rage sourde cependant tenaillait l'hôte d'Hedony et l'empêchait de s'émouvoir face à sa tristesse. Ils se disputaient, comme il leur arrivait souvent.
« Je t'en supplie... » tenta encore la dame.
L'homme préféra l'ignorer, car s'il répondait, il savait qu'il s'emporterait et ça, il ne le voulait pas. Il aimait sa femme, mais ne comptait pas changer d'avis pour autant. Peu importe les simagrées qu'elle serait capable de faire, il resterait sur ses positions. De toute manière, ce qu'elle désirait était tout simplement impossible, irréalisable, jugea-t-il en revenant près de son destrier. Comment pensait-elle pouvoir faire...
Un raclement de gorge ramena Hedony dans l'hôtel. Elle cligna des yeux avant de se rendre compte que l'agent et la réceptionniste la fixaient étrangement.
« Est-ce que tu peux traduire ce qu'elle vient de dire ? demanda Adhara avec une légère suspicion.
— Euh oui... Pardon, s'excusa-t-elle, complètement perdue. Je euh... Pouvez-vous répéter ? » continua-t-elle en finlandais pour l'hôtesse.
Cette dernière réexpliqua leur léger souci qu'elle avait été incapable de relater en anglais. Hedony blêmit, ferma les yeux pour inspirer un bon coup et reprit contenance.
« Presque toutes les chambres sont occupées à cause de l'Opéra de demain soir... »
Elle jeta un regard dégoûté vers Adhara, recouvrant son attitude suffisante.
« Mais bien sûr, grommela-t-il. Avec la chance que j'ai en ce moment... Qu'est-ce qu'il lui reste alors ?
— Apparemment, il ne lui reste que deux suites "royales" pour deux personnes. »
La jeune femme croisa les bras sur la poitrine, le défiant du regard. Ils se jaugèrent ainsi quelques secondes. Adhara souffla, visiblement au bout du rouleau.
« Tant pis, je dormirais sur le canapé. On prend une suite. Mettez-le sur le compte de la CSCI, s'il vous plaît. »
La réceptionniste et l'agent s'occupèrent des détails alors qu'Hedony se perdit à nouveau dans ses songes... Pourquoi ces flashs lui revenaient-ils sans prévenir ? Et d'où venaient-ils exactement ? Pourquoi toujours être dans la peau d'un homme ? Elle se posait tellement de questions auxquelles aucune réponse ne semblait convenir.
« Hedony, la héla Faraday, on y va... »
La jeune femme secoua la tête pour se ressaisir. Le jeune homme lui montra furtivement la clé de la chambre et se dirigea vers l'ascenceur.
« Oui euh... Et mes clopes ? » se plaignit-elle en s'immobilisant sur place d'un air revêche.
Nouveau soupir de la part de son garde du corps. Il sortit son portefeuille de sa poche et lui tendit un billet en s'approchant d'elle.
« C'est bon, va te chercher ton satané paquet et je t'attends en haut. »
Hedony fronça les sourcils. Adhara, en voyant son manque de réaction, lui planta l'argent dans sa main et effectua demi-tour.
« Mais... Mais vous êtes sensé... »
Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'il rentrait dans l'ascenceur qui venait d'ouvrir ses portes.
« Je sors comme ça toute seule, alors ? » dit-elle en haussant la voix.
L'agent acquiesça avec un petit sourire et les portes se refermèrent sur lui, la laissant à l'accueil, seule. Comme une idiote.
Il n'était pas sensé veiller à ma sécurité ? grommela-t-elle en son for intérieur. Quel plouc... Vraiment. Il va me le payer...
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