Pseudo :Fatras Titre : Candide
Il m’aura fallu longtemps pour réaliser que les naïfs ne rient que parce qu’ils n’ont pas encore tout compris. J’aurais préféré ne jamais en arriver à cette constatation. Ne rien comprendre ne me dérangeait pas, bien au contraire.
Nous formions un couple parfait, ma naïveté et moi. Mon exaltation s’exprimait sans se forcer, tout comme mon enthousiasme, mon admiration et même ma grande propension à m’émerveiller d’un rien.
Beaucoup me conseillaient d’ouvrir les yeux, me disaient que la naïveté est innocence et faiblesse. C’est faux et exactement l’inverse : elle était la force qui me tenait debout, elle m’offrait la vision d’un monde angélique, à l’ordre rassurant et sans défaut. Mais je l’ai perdue et depuis je me méfie de tout, et de tous.
Avant, je ne me plaignais pas de la vie qui file, vite, trop vite. Je croyais qu’elle avançait sans se préoccuper de moi, qu’elle se situait dans un espace-temps parallèle au mien.
Des trains bondés d’hommes et de femmes persuadés que la Terre court à sa perte, fonçaient vers leur destin, tandis que moi, paisible, je les regardais passer puis disparaître au loin, en riant.
Ça m’était égal si je ne devais jamais avoir le moindre sou de côté, ou de galérer pour payer mon manger et le loyer, parce que c’était sûr, ma situation s’améliorerait le mois d’après. Il serait de toute façon impossible que je ne trouve pas le moyen de me sortir des périodes difficiles, puisque je possédais l’arme absolue pour surmonter les épreuves : le rire.
Mon ignorance me permettait de rester en prise avec le présent et le présent seulement. Mon avenir n’allait pas au-delà du week-end suivant. Quant à mon passé, je l’avais vécu dans la plus grande insouciance, à part le remercier, je n’avais aucune raison de revenir dessus.
Dans mes très rares jours de déprime, durant lesquels me sautait à la figure que le monde tourne mal, que la pluie s’entête à ne pas tomber sur les terres arides, que nos libertés ne tiennent plus qu’à un fil, la pensée que tout ça finirait par s’arranger un jour surgissait aussitôt, comme une évidence.
Avant de comprendre, je m’en foutais de savoir que j’étais tout en bas de la pyramide, comme la grande majorité de l’humanité. À vrai dire, je n’avais même pas conscience qu’il en existait une de pyramide. Ni non plus que des maçons vivent en haut et s’activent jour et nuit pour fabriquer la muraille qui les séparera définitivement de ceux qu’ils dominent. Rien ne me laissait supposer que des gens tout-puissants puissent prendre leur pied à l’idée d’écraser les êtres faibles. Maintenant, je ne vois plus que la laideur de ces ordures dont le seul but consiste à mépriser les miséreux, à les enfoncer toujours plus profond.
Je me demande si j’ai compris tout ça depuis que je vis dans la rue. Ce qui est certain c’est que j’ai perdu ma naïveté en même temps que mes illusions, et je n’ai plus envie de rire.
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