Pseudo: Mauvaise herbe Titre : Des roses et des choux
À six ans, je ne me posais pas la question, parce que je savais...
Ma grand-mère me l'avait expliquée : j'étais née dans une rose, comme toutes les petites filles, et mon frère dans un chou, comme tous les petits garçons. Et pour être tout à fait honnête, tout cela ne m'intéressait pas beaucoup.
Fille ou garçon, je ne voyais pas bien quelle importance cela avait. Avec mon frère, de onze mois mon cadet, nous partagions tout, notre chambre, nos jeux, nos idées, nos parents, nos bêtises et nos punitions. Alors effectivement, pour les jouets, les petites voitures étaient à lui et les poupées à moi. Mais comme nous nous amusions ensemble, soit avec le garage, soit au papa et à la maman, cela ne nous posait aucune limite.
Parfois, lorsque d'autres enfants entraient dans notre espace, certains garçons, souvent fils unique, essayaient de me reléguer à des rôles de fille. Toutefois, j'avais déjà mon caractère bien trempé et un allié : mon frère. Lui non plus ne voyait pas pourquoi je ne pourrais pas être un cow-boy plutôt qu'une esclave Comanche. D'habitude, nous combattions côte à côte, courant comme des cabris dans le jardin, juchés sur nos destriers imaginaires, et nous avions de nombreuses victoires à notre actif.
Dans mes souvenirs, je préférais les Playmobils aux baigneurs et autres poupons. Sauf Barby, qui bénéficiait d'une place particulière dans ma vie de fillette. Mais elle, ce n'était pas pareil : Barby n'était pas une poupée comme les autres ! Je ne sais pas si vous avez remarqué mais : Barby est une adulte.
Bref, à cette période tout va bien. En plus, les roses c'est quand-même plus beau que les choux. Et ça sent meilleur. Je trouvais cette explication à mon goût et l'adoptais d'emblée.
Seulement voilà, arrive toujours un moment où une de vos connaissances, un peu mieux informée, vous fait bénéficier de ses lumières. Alors, le doute s'installe.
Sur le moment, ce qui m'a le plus blessé, c'est de penser que grand-mère, papa et maman, soient des menteurs. Surtout que dans la foulée, ma nouvelle copine avait aussi anéanti un personnage important : le père Noël. C'est donc très en colère que, j'ai raconté la vérité à mon frère. Il fût bien plus inquiet au sujet du vieux barbu vêtu de rouge, qu'à cause de mes histoires de graines mises par papa dans maman.
Le jour où j'étalai ma science à table, entre le fromage et le dessert, les adultes ont souri et n'ont pas démenti. Mon grand-père était même hilare. Il confirma que c'était bien avec leur plantoir que les papas semaient la graine dans le ventre des mamans. Mon frère fut soulagé d'apprendre que des cadeaux arriveraient malgré tout au pied du sapin.
Moi, toutes ces découvertes sapèrent ma confiance dans les adultes. Je commençais à perdre un peu de ma naïveté et beaucoup de mon insouciance. Le monde venait de changer. Cela m'a rendu méfiante.
Mais bon cette fois, je savais : après la plantation, la cigogne livre un bébé mâle ou femelle.
La cigogne, ce n'est pas comme les choux et les roses, ni comme le père Noël, même si comme lui, elle dépose son paquet dans la cheminé. Non, la cigogne ce n'est pas un mensonge : c'est une image poétique. Ce qu'elle livre, c'est la bonne nouvelle de la naissance.
Maman m'a expliqué : il y a les bébés bleus et les bébés roses. Ah tiens, encore le rose, décidément... Elle a dit que l'un ou l'autre c'est bien. Mais je ne suis pas idiote, et surtout maintenant j'observe. Je ne prends plus pour argent content tout ce qu'on me raconte. Même avec la maîtresse, je fais gaffe.
Et j'ai bien vu, même si dans les deux cas la joie est au rendez-vous, les parents ont tout de même une préférence pour le bleu.
Il faut les comprendre, le bébé bleu transmettra le nom de famille. Il est le gardien de la prestigieuse lignée des Durand, des Martin, des Béthencourt. Dans une fratrie, petite remarque en passant : sœurerie reste inconnu au dictionnaire, non que la nécessité de nommer une telle catastrophe n'existe pas, mais les malchanceux préfèrent que l'on n'en parle pas, c'est déjà assez douloureux... Dans une fratrie donc, la préférence se porte automatiquement sur le ou les garçons : se sont incontestablement les chouchoux. Tiens, on en sort pas de nos roses et de nos choux, comme quoi il n'y a pas de fumé sans feu.
Les chouchoux de leur maman surtout, ce qui semble étonnant, mais en fait pas tant que ça... D'abord parce que si la femme est sur terre c'est pour donner des enfants à son mari. Celle dont le ventre restera plat sera considérée comme une moins que rien, peu importe sa gentillesse, son intelligence et sa beauté, quoi que ça encore cela pourrait lui servir. Non, une seule chose compte : qu'elle fasse de beaux enfants. C'est sont destin !
Dans un deuxième temps, on attend qu'elle fasse un garçon, c'est la moindre des choses. Sinon, c'est comme si elle prenait un malin plaisir à emmerder tout le monde. On ne lui demande pas de ne mettre au monde que des bébés bleus, mais au moins un.
Finalement, les bébés roses ne sont là que pour perpétuer l'espèce et amuser la galerie. C'est mignon les petites filles, et papa va enfin jouer à la poupée sans passer pour une tapette. Parfois, ça dérape grave : il existe des poupées brisées par leur père, leurs oncles, ou d'autres hommes... Cela commence souvent par « À dada sur mon bidet, quand il trotte il fait des pets... » et ça se termine par jouer à sucer le tuyau de pépé. Ces petites princesses n'accéderont jamais au bonheur d'être reines.
Et oui, le bleu est la couleur des rois, du ciel, de l'océan. Le rose n'est que celle des fleurs, fragiles, que l'on cueille et qui se fanent. Déjà là, symboliquement les filles sont rouler dans la farine. On les endort avec du chou qui se transforme en monarque, alors qu'elles, ne resteront que des roses. Sois belle, sens bon, et fais des choux !
Vu sous cet angle on comprend que les mamans préfèrent avoir des bébés bleus. Une mère souhaite toujours le meilleur pour ses enfants.
C'est aussi la raison pour laquelle, depuis toujours, la mère apprend à ses filles à servir le père, chef incontesté de la cellule familiale, mais aussi ses frères. Une bonne habitude, prise très tôt, devient une qualité. Tous ces bébés roses, il faudra bien les caser. Croyez-vous qu'une féministe ça soit facile à placer ?
Mais depuis quelque temps, le rose et le bleu se mélangent, et nous voilà avec des bébés parmes, mauves, violets... Et un bébé violet, c'est un bébé qui respire mal, tout le monde le sait ça.
Si seulement les bébés roses devenaient des bébés jaunes. Tout serait bien plus facile ! Le jaune c'est le soleil, c'est l'or, c'est beau et c'est chaud.
Le jaune c'est aussi fort que le bleu, et quand les deux se mélangent ça donne du vert. C'est l'espoir le vert !
Si dès le départ, les filles étaient nées dans des boutons d'or, cela aurait tout changé...
Heureusement, il n'est jamais trop tard !
Laissons les garçons dans les choux et remplaçons seulement la rose dans cette histoire. Après tout, tout le monde peut se tromper, et puis ça reste une fleur...
Mesdames et messieurs, je vous invite à raconter à vos enfants cette nouvelle version. Qui sait...
De plus, le bouton d'or colle mieux à la réalité, puisque nous en sommes toutes équipées.
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