Pseudo : Loupiotte Titre : Perséides
***Contenu sensible mais pas trop***
7 août, nuit des étoiles filantes. Michel a proposé de monter vers l’observatoire du coin. Claire a opiné sans rien dire. Elle pourrait sourire quand il essaie d’être romantique quand même. Il grommelle en s’installant dans l’auto. La radio crachote son émission de libre antenne sur le silence conjugal. Nathalie ne se remet pas de son burn out et Patrick désespère d’obtenir la garde de son fils après son divorce. L’animatrice rassure, conseille et envoie platement de bonnes ondes radiophoniques. Michel, lui, ricane doucement. Il n’est pas vraiment méchant, si le malheur des autres le fait sourire c’est seulement que ça l’aide à se sentir supérieur. C’est important pour lui, presque une drogue, que les médias sont trop heureux de lui fournir en quantité. Il jette un coup d’œil sur Claire qui, penchée contre sa vitre, semble rêvasser face au paysage nocturne. Sourire de fierté, ce n’est pas sur eux qu’il y aurait de quoi faire un Tellement vrai. Une vie normale, quelconque, parfaite, voilà ce qu’ils ont partagé. Des crédits remboursés, des vacances en croisière, une fille majeure et envolée, des orgasmes bissextiles et un chat obèse et asthmatique. Que peut-on demander de plus ?
Rêve-t-elle aussi à leur petite vie rangée et confortable ? Ou bien d’autre chose ? De ce qu’on ne partage pas. Comme sa liaison avec Sophie de la compta, sa passion pour le poker en ligne ou ses inquiétudes érectiles de vieux quadragénaire. A-t-elle un amant, elle aussi ? Non, il tente de rire à cette idée, elle ne sort pas, ou si peu, puis elle n’a jamais été portée sur la chose. Même lui doit insister pour qu’on subvienne à ses besoins, alors un amant, pensez donc. Il tend la main vers sa cuisse pour une caresse mais, sans le regarder, mue, peut-être, par un instinct né de l’habitude, elle replie sa jambe sur l’autre, semblant se réfugier contre la portière. Il se renfrogne et sa main, maladroitement, s’attarde sur le levier de vitesse, comme si… Le silence rôde dans l’habitacle avec des manières de démangeaison floue. Michel monte le son et écoute un instant Virginie parler de son cancer du sein, de sa mastectomie et de la rupture qui a suivi. L’animatrice s’indigne et Michel s’interroge, après tout, c’est quand même important les seins non ? Quelque part il comprend le type, même si lui, bien sûr, n’aurait jamais fait ça. Enfin, il croit.
Ils ne sont pas les seuls à avoir eu des envies de firmament. Michel trouve une place et se gare. La nuit est douce, sans nuage, la lune en fin croissant semble heureuse de laisser aux étoiles le premier rôle. Ils marchent côte à côte, le gravier des allées crisse sous leur pas. Quelques grillons et, parfois, le murmure d’un observateur invisible, seuls, viennent troubler l’immensité du silence. Ils s’éloignent du parking, sans un mot, le nez en l’air, à la recherche d’un coin rien qu’à eux. Il s’allume une cigarette. La lueur rouge semble presque criarde et vulgaire à cet instant. C’est là, elle étend le tapis de pique-nique et s’allonge. Il s'assoit près d’elle, la tête pleine de fumée, d’étoiles et de banalités qu’il préfère taire. L’élégance du ciel ne lui sied pas, il se sent perdu face à la cartographie des constellations, face à ces émotions qui veulent le submerger et qu’il ne sait pas accueillir. Si encore il en connaissait de nom, il pourrait camoufler son absence de poésie derrière l’étalage bien ordonné de son savoir. Il ne lui reste que le silence.
Il écrase sa cigarette dans l’herbe sèche et s’allonge près de Claire. Un vertige le saisit. Il n’y a plus que les abysses illuminées. Il cherche à tâtons, dans le noir, une main à laquelle se raccrocher, il ne trouve qu’un coude. Elle a joint les siennes sur son ventre, ne lui laissant aucune prise. Il se résigne à plonger seul dans l’espace. Comme un gosse, il guette l’étoile filante. La voilà ! Si vite qu’il en est surpris et cligne des yeux, ahuri. Il en oublie de faire un vœu. Est-ce que ça marche après coup ? Il n’a pas d’idée, sa vie le satisfait comme elle est, au fond. Peut-être de l’argent, c’est toujours utile. Il pourra offrir un collier à Claire et des boucles d’oreilles à Sophie, ou l’inverse. Penser à Sophie lui donne envie d’elle, il voudrait partager ce moment avec elle. Une étoile passe. Est-ce que ça comptait comme un vœu ? Un sentiment de culpabilité lui remonte dans la gorge et serre, serre. Il sent la présence de Claire à ses côtés qui lui brûle le flanc comme un coup de soleil. Il l’aime, pourtant. Pourquoi tout n’est jamais aussi simple que ces quelques mots ? Sont-ce les années, l’habitude, un besoin de se prouver quelque chose ou une curiosité d’herbe verte ? Est-ce juste lui, ou elle ? Quand la flamme s’est-elle éteinte ? Était-il présent ? Serait-ce si compliqué de la rallumer, là, ce soir ? Il a encore envie d’elle, cette vérité le percute comme le naturel au galop. L’obscurité semble propice, les étoiles complices. La nuit est chaude, capiteuse, le parfum de ses cheveux remonte jusqu’à lui. Sa main se tend vers sa cuisse, s’y pose, s’impose. Il lui demande quel vœu elle a fait. Sa voix est suave, équivoque, la question dénuée d’innocence. Elle semble hésiter, tente un si on veut qu’il se réalise, il ne faut pas le dire. Il prend ça pour un encouragement, un jeu taquin du chat et de la souris. Il ne lâchera pas sa proie. Elle peut s’y cacher tant qu’elle veut, il compte bien, lui aussi, rentrer dans son trou de souris. Sa main, déjà, gratte à la porte. Il se tourne vers elle, le ciel peut bien pisser des étoiles, il ne l’intéresse plus.
Ses yeux luisent faiblement dans le noir, fixés sur lui comme ceux d’une biche dans les phares d’une voiture. Les doigts contre son entrejambe, il penche vers elle son haleine de tabac froid dans un je t’aime sincère. La déclaration est gauche, brute, dépolie par des années d’oublis et d’acquis. Il l’embrasse, tente d’y mettre cette fougue qu’il s’est redécouvert pour Sophie de la compta, mais sa partenaire actuelle semble peu réceptive à ses efforts de secouriste pour raviver la flamme morte. Pire, elle se met à trembler et éclate en sanglots. Il s’éloigne, désemparé, son désir balayé par la douche froide de ses larmes. Elle se redresse, le menton sur les genoux et les mains sur les yeux, elle étouffe ses pleurs et ses hoquets. Elle s’excuse, se lève, veut les clés pour prendre un mouchoir dans la voiture, elle est désolée. Il lui tend et elle s’éloigne dans un courant d’air sombre. Michel lance un regard vers le ciel étoilé, lâche un soupir et se rallume une clope. Il attrape son téléphone et écrit à Sophie qu’elle lui manque. Elle ne lui manque pas vraiment. Il veut juste qu’elle lui réponde un mot gentil, une marque d’affection. Il attrape le tapis, le replie sommairement et reprend le chemin du parking. Sans Claire près de lui, la chanson du gravier sous ses pas semble incomplète, un crissement orphelin. Et puis, devant lui, le bruit d’une voiture qui démarre, un bruit qu’il connaît par cœur, c’est la sienne. Il accélère, le parking est en contrebas, et, sur la route derrière, deux feux rouges qui s’éloignent.
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