Les quatre chaises du jury sont retournées.

À gauche est assise Mio, la gagnante de la première saison. Juste à côté, se trouve Amy, la star du r’n’b, en pleine forme depuis la fin de sa cure de désintox. La troisième chaise est occupée par Manu, l’ex-punk du groupe Puta Madre, reconverti dans la world music latino. Le rappeur controversé Cool-Yo squatte la quatrième, malgré ses récents propos misogynes qui ont failli lui coûter sa place dans le jury.

Les guitares saturées et la violence de la musique que j’ai choisie me mettent dans d’excellentes conditions. J’ouvre la bouche, inspire de l’air et émets un son rauque et caverneux qui semble provenir de mes entrailles. Une seconde plus tard, un bip retentit, une croix rouge s’affiche au-dessus de la chaise d’Amy. Un second bip et une nouvelle croix suivent dans la foulée, m’informant du rejet de ma prestation par Mio.

Sans prendre le temps d’estimer mes performances vocales, les deux femmes ont rendu leur jugement. Aux premiers rangs du public, certains soufflent, les yeux au ciel, leurs visages expriment une grimace de dégoût. Mon chant guttural ne plaît visiblement pas à tout le monde, mais je souris quand j'entends quelqu'un pousser un cri de joie au moment du refrain.

Qu’est-ce qui m’a pris de m’inscrire à ce concours de chant ? Pourquoi ai-je accepté ce défi lancé par ma copine ?

Je connais la réponse. Primo, je ne résiste jamais à l’envie de relever un défi. Secundo, mon amie a parié ses toutes nouvelles chaussures montantes qui me plaisent tant. Si je remporte la première sélection, elles sont à moi. Je kiffais à l’idée de lui chiper.

Mais, même si deux jurés n’ont pas rendu leur verdict, c’est mal barré.

La musique devient mélodique, je passe à un chant lyrique pour le second couplet. Les grimaces dégoûtées du public font place à l’étonnement. Sur la vidéo de ma prestation que je verrais plus tard, les deux femmes du jury regrettent leur décision hâtive et Manu lance aux autres : Hey, c’est une fille ! Le rappeur balaie sa remarque de la main. Pour lui, la musique est un truc d’hommes, les femmes n’ont rien à y faire. Ou alors, dans le gospel, à la rigueur.

Je l’emmerde. Oui, je suis une fille et je chante dans un groupe de metal !

Je secoue ma tête de haut en bas, dans un mouvement de balancier. Mes gestes sont rapides et saccadés, mais tout en souplesse. Mes cheveux volent dans tous les sens. Ils sont teints en bleu, comme ceux d'Alissa White-Gluz, ma chanteuse préférée. Poing tendu bien haut, index et auriculaire fièrement levés, j'envoie un clin d’œil à mon seul soutien déclaré dans le public.

Je retrouve mon chant guttural sur le dernier refrain. Nouveau bip, une croix rouge apparaît au-dessus du chanteur latino.

Ne reste que Cool-Yo. Vu ce qu’il pense des femmes, c’est mort pour ma sélection.

Plus que quelques secondes. Je ne me démonte pas et pousse un rugissement final, pour le plus grand plaisir de mon unique fan dans cette salle.

Unique ?

Contre toute attente, une bonne partie du public m’applaudit. La chaise du rappeur s’est retournée et je peux lire :

« Je vous veux ».

Je suis choisie pour la suite du concours.

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Les semaines suivantes, je remporte les sélections une par une, soutenue par un public de plus en plus enthousiaste. J’arrive en finale, la gagne et deviens la nouvelle star.

Comment ça, vous n’y croyez pas ?

OK, faut pas rêver. En France, une metalleuse n’a aucune chance dans ce genre de concours, ce n'était d'ailleurs pas mon but. Depuis, je nargue ma copine en portant, tel un trophée, ses ex-New Rock. Elle enrage. Le jeu en valait la chandelle, non ?