Pseudo : Ocre Titre :Quand surgit l'explosif
*** CONTENU SENSIBLE***
La viande fraîche se vidait de son sang sous un ciel épais qui pesait sur les épaules déjà lourdes. Des dizaines de corps ensanglantés et raidis, débordant de vitalité et de désirs impétueux deux heures plus tôt, s’éparpillaient tels des pantins désarticulés dans la rue des Lilas. Les uns gémissaient des prières futiles du bout de bouches asséchées, d’autres se traînaient, se retournaient sur un sol terreux imbibé d’hémoglobine. Deux garçonnets s’enlaçaient pour toujours, projetés par l’explosion et embrochés ensemble contre un monceau de bois. La tête de l’un pendait, tout juste retenue par les dernières bribes de chairs juvéniles qui laissaient poindre un cou sans profondeur où bouillonnait un sang carmin.
Toïc s’approcha du second, le cœur et l’encéphale tressautant. Trois larges planches transperçaient le petit corps pendu qui saignait énormément et des vêtements poisseux collaient à une peau suintante. L’homme approcha un bras tremblant au visage de l’enfant et, avec délicatesse, abaissa les paupières sur des yeux horrifiés. Il pivota adroitement le visage livide. L’anneau d’esclave du garçonnet se libéra du lobe déchiqueté et le fer rougis teinta en frappant le sol. Du bout des doigts, Toïc dégagea le front tailladé de cheveux à la couleur méconnaissable, mélange noir de terre et de sang, puis caressa la joue encore lisse. Face à l’horreur, Toïc sentait remonter ses instincts. À la fois terrifié et terriblement excité, il suivit du bout des ongles l’ouverture béante qui voyait la disparition d’une partie de la mâchoire du jouvenceau. Il laissa le liquide poisseux goutter sur ses doigts d’abord, puis le long de sa paume ouverte et apprécia de trouver le fluide encore chaud. L’homme joua avec les peaux pendantes, tirant avec douceur sur les lambeaux, pressant et enfonçant les ongles dans la chair fraîche. Il renifla, se délectant de l’odeur juvénile. Tant de sensations remontaient à sa mémoire qu’il vacilla. D’un geste brusque, il dégagea le cou qu’un morceau de bois transperçait. Un peu de sang gicla et sa langue rugueuse trouva l’artère mise à nu. Puis la source se tarit ; le petit était vide.
Un cri le tira de sa torpeur orgasmique et, coupable, il se redressa. Un peu plus loin, une mère gémissait sur la charogne décharnée de son fils. Son époux blessé tentait de l’arracher des restes sanguinolents qu’elle écrasait contre sa poitrine rougie. Tout autour d’eux, les flammes et la poussière jouaient avec les ombres des cadavres et les cendres du bordel s’envolaient au vent. Les filles de joie pleuraient.
Des images plein la tête, Toïc s’éloigna, masquant avec difficulté le sourire humide qui cherchait à s’étendre sur ses lèvres empourprées.
*
La première vision le saisit à la nuit tombante. Quatre murs d’une pierre jaunâtre s’élevèrent autour de lui tandis qu’il coupait par les bois. Au centre, une ampoule sale et chancelante ne suffisait pas à dévoiler les dalles crasseuses de la minuscule pièce. Une porte sans âge grinça en s’entrebâillant, ne dévoilant qu’un noir abyssal. Tout s’évanouit aussitôt. Les yeux fous, Toïc haleta en tournant sur lui-même. Il tomba à genoux. Au loin, les dernières lueurs du jour disparaissaient et seules les hautes flammes du village meurtri éclairaient le dos des arbres. Il se trouvait seul. Toïc se redressa, maudissant son esprit qui lui jouait des tours. Ses mains débarrassèrent son pantalon de la terre humide et il s’appliqua à retrouver les émois qui le submergeaient l’instant d’avant. D’un pas décidé, il reprit sa route en s’enfonçant entre les troncs.
Au moindre craquement, il sursautait. D’habitude, l’homme cheminait les yeux clos tant il connaissait le bois par cœur. Mais la vision l’avait marquée, bien plus qu’il ne l’admettait. Il ne pouvait s’empêcher de s’interroger sur ce qui se trouvait derrière l’ouverture, effrayé par l’obscurité entraperçue. Toïc secoua la tête, que lui arrivait-il ? Soudain, le grincement d’une branche réveilla en lui un sentiment de terreur qui ne lui appartenait pas. Le son l’entraîna de nouveau dans la petite salle et il hurla tandis que son regard paniqué cherchait désespérément la petite porte. Fermée. Il anhéla, la poitrine serrée par la frayeur. Il chuta sur le derrière sans s’étonner d’y trouver un matelas ; ses yeux ne parvenaient pas à se détacher du mur. Face à lui, de courtes et fines traces d’ongles gravaient profondément les moellons. À côté, les roches tachées d’un sang desséché traduisaient l’horreur. Des pas résonnèrent et la poignée pivota. Toïc, affolé, s’écarta autant qu’il put, le dos s’entaillant contre les cailloux.
L’homme ressentit d’abord le froid de l’eau puis la boue. Il pataugeait dans le fossé, les bras écorchés par les ronces. Il n’arrivait même plus à crier. Son esprit paniquait, une peur inconnue l’assaillant de toute part. Rien ne s’avérait logique et ses propres pensées ne lui appartenaient plus. Il retrouva le chemin à quatre pattes et courut autant qu’il put. Bien qu’il s’éloignât du village, la lumière devenait de plus en plus vive dans les bois. Il trébucha, s’étala et hurla en distinguant son reflet dans l’eau trouble. La tête cadavérique d’un jeune garçon le fixait de ses grands yeux accusateurs et, tout autour de lui réapparaissait la crasse des murs. Toïc décampa. Il accéléra. Encore, et encore. Hurlant de toutes ses forces. Mais la pierre se solidifiait et bientôt, il se retrouva piégé. Il tournait comme un damé, se projetant contre les murs en beuglant son désespoir. Les pas retentirent et la poignée crissa. L’homme se rua sur le matelas, se réfugiant dans le coin le plus éloigné. Il tressautait.
Cette fois-ci, la porte s’ouvrit en grand et claqua contre la roche. Elle révéla une vague silhouette, immense. Face à elle, Toïc se sentait aussi minuscule et apeuré qu’un enfant. Il leva les mains pour se protéger, mais ses paluches d’homme n’étaient plus que des doigts courts et fins, inoffensifs. Il sanglota. La forme déboutonna sa chemise, puis son pantalon et s’avança.
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