Pseudo : C'ptain Jack Le titre : Le cavalier des sept océans
Nous avons appareillé en dix minutes et débordé la pointe qui nous abritait. Dès que les hautes roches s’effacèrent, le vent hurla dans les agrès et le navire bondit en gémissant. Seul le Fortune naviguait dans la zone, l’unique bâtiment à faire route quand tous les autres s’abritaient ou fuyaient.
Nous longions la côte sud de l’île, la plus rude, dont le capitaine connaissait chaque caillou. Les lames, immenses, portaient le navire dérobé par l’arrière et le propulsaient sur plusieurs miles avant de le tirer dans les creux, la vague suivante menaçant d’engloutir le corsaire. Le bois souffrait, pliait, mais tenait bon dans la tourmente. La mer, aussi vive qu’un chien fou, aussi hargneuse qu’une hyène, roulait de tous ses muscles. Elle prédateur, nous proie. La crainte se mélangeait à l’adrénaline, mais aucun d’entre nous n’osa s’en plaindre. Dans pareil cas, chacun contenait son excitation.
Nul vaisseau ne symbolisait aussi bien que le Fortune, toute la malice de l’équipage pirate. Affublé du pavillon royal, une lettre de marque intacte dans la cabine du capitaine, le corsaire volé ouvrait toutes les portes. Et nous nous apprêtions à percer la plus belle d’entre-elles. Une nouvelle fois, l’immensité nous appartenait et nos voiles tendues hurlaient, gonflées de vent malicieux. Debout sur le gaillard avant, face à l’écume, le capitaine aboya ses ordres. Pas un regard en arrière, rien que l’assurance du succès à venir. La mer avait beau se cabrer, son cavalier la chevauchait avec habileté.
Les heures s’écoulèrent, mais la tempête ne faiblissait pas. Régulièrement, les paquets d’eau recouvraient l’embelle et, sans la grâce des cordes, nombre de marins se seraient laissés surprendre par la mer. Les sifflements du vent couvraient les cris de l’équipage. Aussi, lorsque le forban qui s’évertuait à serrer les lambeaux de la misaine sur sa vergue s’envola, nul ne s’en aperçut. On dénombra bientôt trois disparitions et la tension à bord augmenta. Pourrons-nous tenir ?
Alors que la puissance des déferlantes accroissait, Elle apparut.
La déesse se dressait d’au moins dix mâts au-dessus du corsaire. Celui-ci brisa les dernières lames en pénétrant la mer d’huile qui baignait les chevilles de la divinité. Ses longs cheveux émeraude ondulaient sur ses épaules fines, vêtues d’un fin lin qui lui tombait à la taille. Chaque marin retenait son souffle, effrayé à l’idée de briser l’instant. Même la prestance du capitaine semblait écrasée par l’aura magique. Elle caressa l’air de ses doigts d’or et le navire obéit sous le souffle d’un vent léger. Les pirates respirèrent, elle reconnaissait le corsaire dérobé. Celui du plus valeureux guerrier des six océans. Celui qu’elle surnommait, son amant.
La légende ne mentait pas. Depuis des millénaires, le Fortune se targuait d’être l’unique bâtiment à survivre aux attaques de la mer. Ceint d’une aura magique, il répondait aux commandes de la déesse. Quiconque parvenait à se saisir du Corsaire, s’assurait prospérité et pouvoir. Encore fallait-il la dompter.
Elle pencha la tête.
Tout le poids de son regard emprisonna le navire et son équipage. Autour du corsaire, le souffle de la divinité blanchissait les eaux et gonflait les voiles. Tout dans son attitude inspirait la méfiance. Le capitaine, plus que quiconque, savait qu’un mauvais geste les enverrait toucher le fond. Il s’avança sur le pont avant, souleva son chapeau et abaissa les yeux, un instant. Elle apprécia. Le respect en bouclier, la létalité par les mots.
D’une voix forte, il lui conta d’abord sa naissance sur le gaillard arrière d’un majestueux brigantin dont les lambeaux de la grand-voile lui servirent de couche. Il assura que sa perception des navires découlait d’un temps ancien, passé à ramper nu sur des planches altérées. Il loua son enfance à grimper les misaines, à jouer dans les hautes voiles et à combattre avec acharnement les marchands des îles. Le capitaine narrait ses souvenirs sans bouger, laissant à sa voix le plaisir de séduire. Elle écoutait, les paupières closes, imaginant probablement le goût des embruns et du sang. L’aventure la saisissait tout entière, elle, incapable de se mouvoir.
Jamais il ne lâcha sa prise. Le capitaine séduisait, puis prenait de la distance. Tantôt mari, tantôt valet.
Ses paroles s’accompagnaient d’un ample sourire, qui s’allongeait au fil de son charme. Il pressentait la victoire percer d’entre les soupirs et humait l’odeur du corsaire bientôt sien. La déité riait maintenant, bercée par ses émotions. Tout son corps irradiait, répandant une aura bienfaisante. Le capitaine s’en trouvait réceptif et il se détendit, certain maintenant de sa victoire. Maître du corsaire, maître des sept mers, son destin lui tendait les bras. Comme une cascade sucrée, ses mots coulaient jusqu’à la divine poitrine frissonnante dont le soulèvement lui tournait la tête. Bientôt, il cessa de lutter. La lumière emplissait son esprit et, soumis, il s’adonna aux charmes de la déesse. Le plaisir, le bois et la mer.
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