Chapitre 19
Août 2030
- Ces quelques mots sont pour toi.
Je relève le menton par delà le pupitre, mais je ne vois pas l’assemblée assise devant moi. Ce n’est pas à elle que je m’adresse. Mon regard se perd dans le vide. Les formes se mélangent, les couleurs sont fades, les peintures, les statues insignifiantes. Je ne vois rien pour ainsi dire. La lumière des vitraux obscurcit les expressions de ces visages en contrebas, des expressions qui reflètent ma douleur. Julie et Elïo sont là. Mon larynx est serré, ma chemise noire si lourde que mes jambes flageolent. Je sais que ma mémoire ne sera pas à la hauteur de cet événement, alors j’attrape le bout de papier replié dans ma poche. Le déplier me coute, mes mains crispées le froissent.
- Depuis tout petit, tu n’as cessé de me protéger… de m’encourager, de me rassurer. Et… tu as réussi. Tu as toujours été là. Avec maman, vous m’avez permis d'évoluer, de grandir, de faire mes propres expériences, d’affronter mes premiers échecs, mes premiers déboires. Mais surtout, vous m’avez appris à relativiser, à me relever, à faire de mes différences une qualité.
Quelques images remontent à la surface. L’émotion me gagne un peu plus. Je déglutis avec difficulté, les mots à venir ne voulent pas sortir.
- J’ai le sentiment que dans notre société on ne cultive pas assez la différence, alors que chaque individu est singulier de naissance. Pour ma part, je suis naïf, spontanée, parfois, souvent crédule, mon imagination déborde et mon esprit se perd fréquemment dans la lune si bien que je ne saisis pas toujours les subtilités des interactions sociales de notre société.
L’air me manque. J’inspire pour reprendre ma respiration.
- Pourtant, vous m’avez construit sur ces bases là qui me distinguent de tout un chacun et je vous en remercie.
Je retourne ma feuille de papier.
- Tu étais mon pilier. Celui sur lequel me reposer, celui sur lequel m’appuyer, celui à qui je pouvais me confier et… à tes côtés, j’ai beaucoup appris. Tu étais pédagogue, tu étais patient. Il t’arrivait d’être bougon et parfois même têtu mais qu’est-ce que tu étais rayonnant. Tu étais mon modèle. Ta bonne humeur restera gravée dans ma mémoire. Tout comme ton humour. Cet humour si simple, mais si efficace. Je crois en avoir hérité… je l’espère. Je ne perdrai pas cet héritage que tu m’as offert.
Ma voix s’éraille. Je ne dois pas craquer.
- Tu m’as toujours donné le peu que tu possédais. Tu étais la définition même de la générosité. J'aurais voulu te rendre le dixième de tout ce que tu m’as apporté…
Des taches apparaissent sur ma feuille de papier. Mes paupières débordent. Je ne peux retenir cet afflux et je sanglote car mon discours touche à sa fin. Il clôture cet acte de ma vie, met un terme à cette commémoration que j’ai peiné à écrire sur mon support froissée. Les larmes ruissellent sur mes joues.
- Aujourd’hui tu rejoins Maman. Je sais que vous continuerez de veiller depuis le ciel, mais ne vous en faites pas pour moi. Profitez du repos éternel.
Je lâche mon discours et mes bras me tombent quand je délaisse le pupitre pour me diriger vers le cercueil. Ma main s'aggrippe sur son rebord en bois. Mes doigts se resserrent et je lance une dernière fois mon regard vers mon père défunt. Il est serein.
- Au revoir Papa. Merci Papa.
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