Chapitre 30

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Novembre 2034

L’Homme se souviendra du six novembre deux mille trente-quatre. Une date de cataclysme à l’envergure sans précédent. La première extinction solaire de l'histoire avait frappé.Elle avait été imprévisible, tout comme sa résolution le lendemain, aussi spontanée qu’inopinée.

Au matin du sept novembre, l'apparition des premiers rayons du soleil avait fait naître les prémices d’un soulagement au sein de l'humanité. L'espoir d’accalmie s’était confirmé au fur et à mesure de la matinée, la météo était redevenue clémente, l’astre solaire illuminait de nouveau la terre d’une douce tiédeur.

Si l’état d’urgence avait été maintenu par les autorités gouvernementales, l’interdiction de sortie avait été levée dès l'après-midi.

La perte d’activité du soleil n’était pas nouvelle. Elle sévissait depuis quelques années, mais c’était bien la première fois que l'étoile solaire avait chuté à moins de vingt pour cent de ses capacités de fusion. Il était entré en léthargie, transitoire certes, mais de manière brutale et l'arrêt soudain de ses réactions thermonucléaires avait eu plus de conséquences sur l’environnement terrestre que l’on n’aurait pu imaginer.

La France, comme la plupart des pays du monde, avait subi des dégâts considérables. Les tragiques pertes humaines s’élevaient à plusieurs dizaines de milliers. Quant aux dommages matériels, publics et privés, la facture des assurances n'avait cessé de croître jour après jour. Le réseau électrique avait lui été dévasté ; il faudrait de nombreuses semaines pour que l'ensemble du territoire retrouve l’accès à l’électricité.

Les véhicules ne furent autorisés à circuler que  l'après-midi du huit novembre. Le nettoyage des accès routiers avait nécessité plus de vingt-quatre heures de travail et l’acheminement des secours avait été la priorité. Sur les routes, branches, troncs et poteaux électriques occupaient les fossés des routes départementales alors que voitures renversées, poubelles ou morceaux de toitures jonchaient le trottoir des villes.

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En Camargue, la famille Sol, réunie depuis seulement deux jours, est attablée dans le séjour pour le dîner.

Comme pour beaucoup, leurs retrouvailles avait été marquée par la joie et les larmes. Julien, dont l'anxiété maladive n'était plus à démontrer, avait étreint son fils devant le portail du collège avec tant de force qu'il avait manqué de l’étouffer.

Leur maison, à l’image de leur secteur géographique, avait été épargnée par le gros de la tempête, si bien que le courant électrique fonctionne toujours très bien. Le jardin est certes saccagé, quelques tuiles manquent à l’appel, mais pas de dégâts matériels outre-mesure.

Elïo et ses parents écoutent l’actualité du journal télévisé. La une n’est pas surprenante, elle concerne l’extinction solaire. Des scientifiques et spécialistes tentent d’expliquer les phénomènes météorologiques qui sont survenus.

  • …d’ordinaire, une facette de la Terre est constamment éclairée et chauffée par notre étoile solaire, c’est le jour, tandis que l’autre face, côté nuit, la baisse des températures se fait de manière progressive avec le lent coucher du soleil. Donc pour faire simple, en permanence, une partie de la Terre est chauffée, ou du moins se réchauffe tandis que l’autre se refroidit petit à petit. Ce gradient de température séquenciel suit la rotation de notre planête et influence les courants aériens, est-ce clair pour vous ?
  • Jusque là, nous arrivons à vous suivre professeur Mira.
  • Très bien, alors je poursuis. Cette extinction solaire brutale a non seulement fait disparaître cette asymétrie de température entre les deux côtés de la surface terrestre, ce qui a rendu chaotique les circulations atmosphériques des différentes masses d’air, mais le plus gros problème a été cette chute très soudaine de la température de la face normalement ensoleillée, celle sur laquelle nous nous trouvions. La partie supérieure de l'atmosphère et donc des courants aériens en haute altitude se sont refroidis très vite tandis qu’à la surface de la Terre, grâce à la chaleur conservée par les sols, l’air est resté à une température, disons habituelle. Hors l’air froid est plus dense et plus lourd que l’air chaud. Ce refroidissement brutal de l’air en altitude a donc été responsable d'un plongeon soudain des courants aériens à l’origine de ces vents violents de trajectoire descendante et de surface, mais aussi d’une remontée rapide de l’air chaud ce qui a provoqué non seulement ces tornades exceptionnelles chez nous en France, mais aussi ces violents orages…
  • Ils n’expliquent toujours pas pourquoi cette extinction solaire. Et surtout, s’il pourrait y en avoir d’autres à l’avenir.
  • Patiente Julien, ils vont peut-être y venir.

Le couple fixe l’écran télévisé. Ils ne cessent de se tordre la nuque pour capter toutes informations qui pourraient s’avérer capitales.

  • Je ne crois pas qu’il s’agisse de quelque chose de prévisible ou qu’un prochain événement de la sorte le soit, soupire Elïo. Je crois par contre que les scientifiques avaient imaginé ce type de scénario.

Ses parents délaissent la télévision.

  • Qu'est-ce qui te fait dire ça mon grand ? demande son père.
  • Je ne suis sûr de rien. Mais il y a moins d’un mois, une rubrique scientifique du JT avait déjà évoqué les répercussions qu’aurait un refroidissement soudain de l'atmosphère.

Le ton d’Elïo est monotone, son visage impassible. Julie et Julien se jettent un coup d’œil mutuel.

  • Tout va bien, Elïo ? demande sa mère. Te sens-tu toujours fatigué ? Tu as encore le teint un peu pâle.
  • Oui, encore un petit peu, mais je me sens mieux tout de même.

Elïo contemple l’assiette posée devant lui. Il n'y a presque pas touché.

  • Tu n’as rien mangé… déplore Julien.
  • Je n’avais pas très faim, mais c’était très bon.

Quelques secondes de silence s’installent. Le père de famille fronce les sourcils.

  • Tu as de petits yeux. Est-ce que tu veux nous parler de quelque chose ? De quelque chose que tu as vécu mercredi au collège ?

Le garçon se tait. Il a traversé des situations inédites, c'est vrai. Tout comme une multitude de sentiments. Il y a un élément pourtant qu’il ne souhaite pas confier, pas même à ses parents. Il ne veut pas les inquiéter. Pourtant il y a plusieurs points dont il voudrait leur parler. Il s'adosse sur le dossier de sa chaise.

  • J’ai eu une vision.

Le journal télévisé qui se poursuit n’a plus aucun intérêt pour Julie et Julien. Ils mastiquent en silence.

  • Un grêlon de grande taille a traversé une vitre de ma classe. Il a détruit une chaise et cassé le carrelage. Si je n’avais pas pressenti cet événement, je n'aurais pas bousculé deux de mes camarades qui se trouvaient sur la trajectoire et elles auraient été grièvement blessées.

Les parents déglutissent. Leur fils ne leur avait plus parlé de ce type de prémonition depuis de nombreux mois et même quelques années. Et voilà qu’une récidive lui avait permis de sauver deux élèves de sa classe.

  • Tu peux être fier de toi mon fils, si tu ….
  • Pourquoi suis-je le seul comme ça ? Pourquoi n’y a-t-il que moi qui aie ces visions ?

Le couple se fixe à la recherche de réponses qui ne viendront pas.

  • Si je n’étais pas intervenu, peut-être seraient-elles mortes, s’exclame Elïo en regardant ses parents à tour de rôle.

Julie et Julien posent leurs couverts. Ils toisent leur garçon accaparé à nouveau par son assiette. Ses yeux bougent dans tous les sens. Il est troublé, son expression sérieuse. Ce n’est pas du tracas, ce n’est pas du dépit, ce n’est pas du désarroi qui se lit sur son visage, mais ce sont bien des réponses qu’il cherche dans l’impénétrable dîner servi juste sous son nez. Ses parents n’auront pas les explications qu’il attend, il le sait. Savoir qu’il a pu intervenir à temps pour sauver ses camarades le réjouit, mais un poids pèse sur ses épaules. Pourquoi lui ? Pourra-t-il prévoir d'autres incidents de la sorte ? Se sentira-t-il fautif si ce n’est pas le cas ?

Il se lève de la table à manger.

  • Je n’ai plus faim.
  • Tu pourrais attendre qu’on ait…

Une main ferme s'appuie sur celle de Julien. Il regarde sa conjointe qui l’invite à se taire.

  • J’ai besoin de prendre l’air, je vais dans le jardin, ajoute Elïo.

Les parents restent interloqués. Leur fils ne les a pas habitués à ce genre de comportement. Ils le regardent s’éloigner, se chausser, se couvrir d’un manteau et sortir par la porte d’entrée. Les doigts de Julie reposent toujours sur celle de Julien. Ils se sondent mutuellement du regard.

  • Je vais aller le voir.
  • Non, laissons-lui quelques minutes, réplique le père de famille.

Dehors, la nuit est tombée depuis plus d’une heure et bien que l’obscurité soit dense, Elïo se repère sans difficulté.

Il contourne la maison. Si le domicile de la famille Sol a été relativement épargné par la tempête, l'extérieur du domicile n’a pas réchappé au péril des vents tranchants et au déferlement de grêlons. Tout autour, le garçon contemple les conséquences des forces surnaturelles de ce mercredi six novembre. Un saccage sans sommation. À gauche, à droite, devant ou derrière, tout a été détruit. Où qu’il regarde, il ne voit que les ruines de son cher jardin fleuri. Chrysanthèmes, anémones sont en charpie. Même le jeune magnolia planté l’année dernière n’a pas résisté à l’offensive, son tronc faible pour supporter la puissance déchaînée s’est rompu sous la pression des assauts venteux incessants.

Elïo s’avance vers le potager. Il connaît déja l’ampleur du désastre, mais peut-être arrivera à se changer les idées. Toutes les plantations de courges ont été arrachées, les blettes ont été réduites en bouillie et les poireaux n’ont pas plus belle allure. Ce spectacle désolant devrait miner son moral et pourtant non. Il n’est pas ravi, loin de là, mais il travaillera dur pour remettre en ordre son havre de paix. Il se le promet.

La météo est capricieuse, sa volonté indomptable, ce n’est pas nouveau. Elle peut être une force créatrice tout comme une arme de destruction. La domestiquer serait illusoire, mais tenter de s'y accommoder est à la portée de l'humanité. Pourtant, cette fois-ci, ce six novembre deux mille trente quatre, il avait été impossible de ne serait-ce qu’espérer mettre un cheveu dehors. La Terre n'avait pas été frappé par une simple débâcle métérorologique. Cela avait été plus bien préoccupant. Une extinction solaire.

Le jeune garçon slalome entre les plantations sur les restes de son potager. Rien n’a survécu. Il poursuit le tour du jardin en se remémorant la nuit de cette catastrophe. Son attention se porte soudain à ses pieds. Il s'accroupit pour soutenir avec délicatesse le bouton d’une fleur. Ses doigts glissent avec délicatesse le long de la tige avant qu'Elïo ne susurre quelques mots.

  • Tu es bien intrépide, jolie fleur.

L’être végétal n’émet aucun son. Aucun son audible pour le commun des mortels, mais le garçon sourit.

  • Je suis comme toi.

Toujours aucune réponse.

  • Un ami m’a dit un jour que j'avais un petit truc en plus.

Quelques secondes s’écoulent dans le calme de la nuit.

  • Toi aussi, tu le penses ?

Elïo relève le menton pour admirer le ciel nocturne. Une multitude d’étoiles brillantes s’offrent à lui. Des cousines de leur l’astre solaire.

  • Peut-être que vous avez raison.

Un faisceau de lumière qui zigzague dans le jardin tout autour de lui attire tout à coup sa vigilance. Ce sont ses parents qui le cherchent avec une lampe torche.

  • Elïo, où es-tu ?
  • Je suis là, papa.

Les rayons lumineux se posent sur lui. Le couple, emmitouflés dans de larges manteaux, se rapprochent.

  • Qu'est-ce que tu fais dans le noir, fiston ?
  • Regardez, dit-il en pointant son doigt vers le sol.

Julien fait quelques pas et se baisse pour entrevoir de plus près l’objet d’intérêt. Julie s’avance aussi, mais reste debout en éclairant le sol avec la lampe torche.

  • C’est un aster. Elle a survécu au déluge, précise leur fils.

Le père de famille examine le bouton végétal. Comment est-ce possible ? Cette fleur est si petite, si fragile et pourtant si vaillante pour avoir résisté à la tempête. C’est bien la première qu’il se sent ému en regardant l’une d’entre elles. Elle est unique.

Il reste accroupi, se tourne vers Elïo et attrape d'une main son épaule.

  • Mon fils… tout à l’heure… tes questions, elles sont légitimes. Je dois te le dire. Tu n'es pas comme tous tes camarades ni comme nous.

Ses paroles résonnent dans les oreilles du garçon. Le végétal à ses pieds continue de l’accaparer.

  • Tu es capable de voir des choses que nul autre ne peut voir. Tu as un don. Ce don-là, nous ne pouvons te l'expliquer avec ta maman. Il est singulier. Il pourrait t’être bénéfique autant qu’il pourrait t’être préjudiciable.

Julien fait une pause pour évaluer le retentissement de ses paroles, mais rien. Son fils ne réagit pas.

  • Ce pouvoir-là, il ne faut pas l’ébruiter. Tu dois le garder pour toi, car dans notre société tu pourrais être très vite stigmatisé, qualifié de déviant, de monstre ou susciter la peur chez autrui. C’est comme ça, la nature humaine a peur de ce qu’elle ne comprend pas et j’en suis le premier désolé, mais nous, nous serons toujours là avec maman. À chaque fois que tu le souhaiteras, nous serons à ton écoute et nous t’aiderons si tu en ressens le besoin.

Elïo qui n’a pas bougé, pense à son ami Jean.

  • Pourquoi moi ? demande-t-il sans redresser le front.
  • Je n’ai pas la réponse. Mais tu n’es pas le seul si différent. Ton grand-père, lui aussi, avait un superpouvoir.

Elïo relève la tête pour sonder son père.

  • Oui, parfaitement. Il pouvait faire rire même l’être le plus déprimé du monde. Et il m'a enseigné comment faire.

La main de Julien glisse sous son manteau de son fils. Il l’attrape avec force par la hanche de son autre bras. Une guerre de guilis est déclarée.

  • Arrête papa ! s’esclaffe Elïo.

Il rit, se débat, s’échappe de l’emprise et sourit avec amusement. Julien se redresse, s’avance à nouveau et attrape son fils par les deux épaules cette fois.

Julie, qui a laissé la lampe torche au sol orientée vers la scène, se rapproche à son tour pour se tenir derrière Elïo. Elle croise ses bras autour de son buste pour le presser contre elle.

  • Nous n'avons pas le même don que toi avec ton père. Notre seul pouvoir, c’est d’essayer de te rendre heureux, susurre-t-elle.

Le garçon oriente sa nuque d’avant en arrière pour regarder ses parents l’un après l’autre. Son corps est chaud, toujours, pourtant la présence de ses parents le réchauffe et annihile ses doutes. Il se colle contre son père et, blotti entre ses deux parents, il ferme les yeux.

Cette étreinte est silencieuse, tout comme le ciel de nuit qui les surplombe de ces mille étoiles.

  • Papa ? Maman ?
  • Oui ? répondent les parents en simultané.
  • Comment sait-on si on est amoureux ?

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