Chapitre 31

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Octobre 2035

  • Revenez tous par ici ! crie un voie féminine. Vous allez faire des groupes de trois maintenant. On va travailler le jeu dans les intervalles.

Sur la pelouse du terrain de rugby, les enfants stoppent l’exercice en cours pour se regrouper autour de leur entraîneur. Celle-ci souffle dans son sifflet.

  • Baptiste ! Mathieu ! Ça ne vous intéresse pas ce que je dis ? hurle-t-elle à l’attention des bavardeurs.

Les éléments perturbateurs n'osent pas répondre.

  • Si ? Alors, approchez et taisez-vous. Je veux cinq groupes qui se positionnent en défense là-bas entre les plots, et cinq autres groupes qui restent ici pour jouer en attaque.

Tous les mercredis, Marie Palant entraîne les minimes de l’équipe de rugby de la ville. Une belle brochette d'adolescents en proie aux hormones, dont certains n’ont pas peur de répondre avec désinvolture et d’autres, au contraire, qui sont paralysés par leur timidité excessive. Dans cet effectif hétérogène de moins de quatorze ans, il y a bien des impertinents, des discrets, il y en a qu’elle voudrait secouer, d’autres qui lui donnent envie de s'essayer à la couture pour clore leurs lèvres effrontées. Et le manque de respect ou d’écoute, ça elle ne le tolère pas. Fort heureusement, son tempérament et ses années d’expérience dans le milieu du sport lui assurent une autorité naturelle, si bien que les plus audacieux regrettent le plus souvent de l’avoir provoquée.

Quelques-uns sont tout de même vifs et disciplinés. Ce sont ses chouchous. Notamment Elïo, qui fait partie de la nouvelle fournée de cette année. Il a un an de moins que ses camarades, mais ses performances sportives lui ont valu de pouvoir jouer avec les minimes.

Jean avait convaincu le fils Sol de rejoindre le club à la fin de l’année scolaire précédente. Ce dernier n’avait aucune raison de refuser et s’était lancé avec enthousiasme dans le monde du rugby.

Le climat, lui, reste maussade et perturbé. C’est encore l’automne, mais quelques régions de France essuient déjà des températures négatives. Les saisons hivernales se sont étendues et la baisse des températures avec. Le coupable, tout le monde le connaît, il s’agit du soleil lui-même, vecteur de toute vie sur Terre et qui pourrait bien être le responsable du dépérissement de tout ce à quoi il avait participé jusqu’à présent.

Son déclin ne cesse de s’accentuer d’année en année et son activité actuelle est évaluée à soixante-quinze pour cent de ses capacités. Depuis la date du six novembre, deux mille trente-quatre, il n’y a pas eu de nouvelle extinction solaire. C’est une chance quand on sait qu’il a fallu de nombreuses semaines pour que l'ensemble du territoire français retrouve un accès à l'électricité et que toutes les routes redeviennent praticables. Aujourd'hui encore, les réparations continuent.

À ce sujet, les gouvernements du monde entier ont établi une enveloppe budgétaire commune, destinée à la communauté scientifique. Une première dans l’histoire. La prédiction des prochaines involutions brutales de l'étoile solaire est un des principaux objectifs de ce travail universel, tout comme la compréhension de son déclin accéléré et la recherche d’une solution pour la relancer si tant est que cela soit possible.

Aucune explication tangible n’a trouvé réponse à ce phénomène inexpliqué. La quantité d’hydrogène dans le cœur du soleil devrait être suffisante pour encore quelques milliards d’années. C’est à n’y rien comprendre se permettent de formuler certains scientifiques. Alors, les recherches se poursuivent, s’intensifient, les théories se bousculent, mais aucune n’est assez concrète pour élucider cette décadence solaire précoce. L’analyse de la vitesse de décroissance des activités thermonucléaires du soleil a tout de même permis de projeter un point de non-retour et la condamnation de toute vie sur Terre d’ici deux cent ans. D’aucuns diraient qu'ils ont le temps quand les autres voient cette échéance comme beaucoup trop proche. Le monde politique semble confiant quant à trouver une solution, du moins l'espère-t-il, et même si l’inquiétude générale s’est amoindrie avec les mois passants, la sensation d’une épée de Damoclès pèse dans l’esprit de la population. En attendant, la vie continue. Il a fallu s’organiser, se réorganiser, se réinventer pour retrouver une société commune après le cataclysme de l’extinction solaire.

Du côté des émissions de gaz à effet de serre, elles ne sont plus un problème puisque la Terre se refroidit en même temps que le soleil. Les activités humaines et l’industrie s’en réjouissent autant qu’elles continuent de se désintéresser de leurs autres impacts environnementaux.

Au bord du terrain de rugby, dans le froid et l’humidité de l’automne, Marie Palant finit de donner les consignes à ses joueurs. Des plots ont été utilisés pour délimiter la surface, mais aussi pour créer des espaces à traverser entre les intervalles des défenseurs.

L’exercice commence et les groupes se succèdent. Comme souvent, Jean et Elïo se sont mis ensemble. Ils ont recruté un troisième joueur pour former leur groupe de trois et les voici qui s’élancent à leur tour.

Le fils de Julie et Julien fait partie des plus petits de l’équipe, mais il n’en demeure pas moins le plus vif et le plus rapide, titre qu’il a soustrait à son meilleur ami.

Plusieurs passages sont réalisés en alternant poste offensif et défensif. C’est le troisième tour d’attaque pour le groupe d’Elïo. De l'autre côté du terrain, en défense, l’équipe de Baptiste leur fait face. Jusqu’à présent, leur inimitié est passée inaperçue. Bien que le fils du maire saisisse toute opportunité de remarques désobligeantes dès qu’elle se présente, ils évitent de se parler la plupart du temps.

Le coup de sifflet lance la prochaine offensive. Jean et son groupe courent en direction de leurs adversaires, la balle passe de bras en bras. Une fois arrivés proche des plots de la ligne défensive, c’est Elïo qui détient le ballon pressé contre lui. En face, la consigne n’est pas respectée puisque, dans un excès d’engagement, deux défenseurs se jettent en simultanée sur la jeune recrue. L’un lui plaque les jambes quand l’autre le percute de toute sa masse, épaule en avant, dans l’abdomen. La force du coup courbe le corps d’Elïo qui part à la renverse alors que sa nuque se plie vers l’avant sous la cinétique du choc. Ils finissent tous les trois à terre, le ballon n’a pas quitté les bras du petit garçon. Le son strident du sifflet retentit une nouvelle fois.

Baptiste et Mathieu se redressent sans difficulté. Le premier expectore un crachat sur la pelouse avant de s’adresser à sa victime.

  • Tu as fait le malin en classe toute l'année dernière et tu croyais que j’allais te laisser faire pareil ici ? Je te l’ai déjà dit, tu es haut comme trois pommes, tu ne tiendras pas longtemps.

Après une course effrénée, Madame Palant surgit. Elle se met à genoux aux côtés d’Elïo, resté allongé sur le dos, pour faire un bilan de son état. Il est conscient, les yeux grands ouverts, sa respiration est calme, il n’a pas lâché le ballon.

Elle se tourne vers les deux autres.

  • Mais qu'est-ce qu’il vous a pris bon sang ? postillonne-t-elle avec colère. Vous êtes complètement frappés du ciboulot ?
  • Désolé madame, il a voulu passer entre nous alors on a chacun essayé de le plaquer sans qu’on ne se voie mutuellement.

L'entraîneur se relève. C’est une grande femme d’une quarantaine d’années aux épaules carrées. Le contact, elle connaît, elle avait évolué plusieurs années au niveau fédéral un et elle aimait ça, mais protéger les jeunes licenciés est une priorité pour elle comme pour la fédération. Sa tenue sportive décontractée et sa queue de cheval relâchée pourraient laisser croire qu’elle est transigeante ; c’est pourtant tout l'inverse. Son indignation se lit dans ses yeux exorbités et son articulé dentaire serré.

  • Ne me prends pas pour une imbécile, Baptiste ! Fils du maire ou non, si tu as besoin que je te rappelle les règles de plaquage, qui plus est à votre âge, je n'hésiterai pas à te mettre sur le banc pour plusieurs matchs le temps que tu retiennes la leçon. Maintenant vous allez me faire le plaisir de courir dix tours de terrain et si l’envie de faire une pause prend l’un de vous deux je vous garantis qu’il aura affaire à moi. Allez-y ! Tout de suite !

Les deux rugbymans s'exécutent en maugréant quand Marie relève le petit Elïo par le bras.

  • Tout va bien mon grand ?
  • Ça va aller, merci, Marie.
  • Tu as besoin de te reposer ?
  • Non ça ira, je vais bien merci.

L'entraîneur sonde son élève. Son œil est vigilant, il ne titube pas et semble cohérent. Pourtant il a pris un sacré tampon comme elle pourrait dire dson jargon.

  • Tu es sûr ?
  • Oui, oui !

Des éclats de voix se font entendre au loin derrière eux. Les autres joueurs de l’équipe, qui s’étaient tous arrêtés après l’incident et le coup de sifflet de Marie Palant, courent tous dans la même direction, tout au bout du terrain. Un regroupement se forme.

  • Mais c’est pas vrai, ils vont me rendre fou aujourd’hui.

Elle s’élance vers l'amoncellement qui forme un cercle. À proximité, des obscénités sont balancées dont elle reconnaît la voie du propriétaire. L'entraîneur bouscule ses joueurs pour se retrouver au centre de la scène. Au sol, Jean et Baptiste se battent. Ce n’est pas une simple échauffourée, les poings sont lancés avec hargne. L'ami d’Elïo mène la danse. Il se tient à califourchon sur son adversaire et lui assène des coups violents.

Marie se rue derrière Jean pour le soulever en l’attrapant sous les bras. Le cercle se disperse alors qu’elle le tire pour l’écarter de son opposant. Elle le laisse choir lourdement à quelques mètres. Son courroux verbal ne tarde pas. Elle le congédie au vestiaire avec fureur avant de s’attarder sur le cas de Baptiste. Une belle ecchymose gonfle sur son arcade et du sang coule sur ses lèvres. Il n'interrompt pas ses injures et se fait taire rapidement par Marie qui ne manque pas de lui lancer un soufflon à lui aussi.

Elïo, spectateur lointain, devine l’incident qu’il vient de se jouer. Il n’ a pas lâché le ballon des mains et suit des yeux la retraite de son ami dont la démarche est penaude. Pas un regard ne lui est accordé. Il le voit disparaître dans le bâtiment sportif. De l’autre côté, Marie tire par le maillot Baptiste pour le faire asseoir sur le banc de touche. Il n’échappe pas à la réprimande lui non plus.

Elïo se sent responsable. D’une part, il est à l’origine de cette animosité avec Baptiste et d’autre part, il n’a pas su prédire cet évènement.

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