Chapitre 43

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Février 2037

  Ballon ovale pressé contre le pectoral, le jeune rugbyman court à vive allure. Derrière lui, à plat ventre se relèvent maladroitement trois joueurs de l’équipe adverse qui ont échoué dans leur tentative d’interception. Une silhouette véloce, c’est tout ce qu’ils ont pu entrevoir en croyant plaquer leur opposant.

Le lièvre, tel est son surnom, attribué par ses propres coéquipiers. Léger et vif, petit mais rapide, il a toutes les caractéristiques pour pouvoir assurer le rôle d’ailier. Pourtant, il joue au poste de demi de mêlée. Il ne pouvait en être autrement, Marie Palant, son entraîneur, avait rapidement vu la vision de jeu de ce jeune prodige aux réflexes hors normes. Anticiper les mouvements, orienter le sens du jeu, prendre la meilleure option sont autant de prérequis dont il dispose pour assumer ce rôle. Du haut de ses douze ans, c’est une graine de champion et il compte bien le prouver lors de ce match à domicile.

Un énième obstacle s’élance pour l’empêcher de franchir l'en-but. L’arrière ennemi tente avec naïveté de couper sa trajectoire, mais comme ses camarades, sans qu’il n'ait eu le temps de comprendre ce qu’il se passait, il roule sur la pelouse humide après son intervention manquée. Il redresse la tête, ahuri et impuissant, pour apercevoir son adversaire se rapprocher de la ligne de but.

Le ballon est aplati, le sifflet retentit, Elïo a marqué un essai.

Ses coéquipiers accourent pour le féliciter. Un des plus grands, jouant au poste de trois-quarts centre, donne une tape chaleureuse sur son casque blanc.

  • Bien joué, Elïo, le félicite Jean, essoufflé.
  • C’est grâce à ta percée, concède Elïo en lui rendant sa frappe amicale sur les reins.
  • Ne sois pas trop modeste. Si j’avais su, je t'aurais proposé de nous rejoindre bien plus tôt.

Les deux camarades trottinent vers le centre du terrain pour laisser leur tireur convertir les points. Au loin, des cris de supporters se font entendre et bientôt les paroles d’un hymne se répètent : Elïo n’est pas grand, mais il est fulgurant ! Elïo est petit, mais il ébahit !

L’intéressé adresse un sourire en direction des tribunes, lève un poing en l’air triomphant puis secoue la main à la vue de son père agitant le bras avec énergie au bord de la pelouse.

Le reste de la confrontation se poursuit sur la même lignée. L’ambiance est chaleureuse et l’équipe de Marie domine, portée par leur chef d’orchestre agile.

À la frontière du terrain, les parents d’Elïo l'encouragent derrière leurs doudounes rembourrées. Julien ne manque pas de crier, remuer, hurler, s’agiter dès que son fils à le ballon, au grand dam de Julie qui peine à contenir son effervescence extatique. Pourtant, à ses débuts, il y a un an et demi, le père de famille avait eu quelques réticences, arguant avec inquiétude que la stature de son fils était insuffisante et qu’un risque de blessure était élevé. Il n’en est rien, Elïo assume les contacts, plaque aussi bien que ses camarades arrières et malgré les heurts répétés, il n’affiche jamais de stigmates corporels.

Aux côtés de la famille Sol, sous une écharpe en laine jaune, Emma se réjouit de la prestation de ses camarades de quatrième et se permet mêm, de temps à autre, de petits sauts exaltés.

Quatorze mois se sont écoulés depuis l’incendie du gymnase, dont la reconstruction vient de s’achever. Tout comme les plannings des cours d’EPS, la catastrophe infernale avait bouleversé nombre de collégiens. Certains furent choqués, découvrant avec stupeur que leur établissement scolaire, lieu qu’ils croyaient intouchable et protecteur, ne l'était pas tant au regard des bouts de tôles carbonisés amoncelés sur les ruines de l’ancien bâtiment sportif. Pour d’autres, cela ne leur avait fait ni chaud, ni froid.

  • Le collège brûle, et alors ? Les professeurs arrêteront de faire les malins, se permirent-ils de fanfaronner.

Durant les semaines qui suivirent, l’incident fut au cœur des conversations tout comme l’incroyable survie d’Elïo qui s’était ébruitée. Dans les couloirs scolaires, différents échos avaient circulé à son sujet. D’un côté, les exploits du miraculé étaient embellis et de l’autre la responsabilité du drame lui était imputée. Corentin, le grand frère de Baptiste, ainsi que sa bande, n’avaient cessé de relayer cette seconde hypothèse, qualifiant leur cadet de pyromane ou dégénéré du citron. Malgré tout, après son hospitalisation, le retour du survivant fut ovationné par la majorité de sa classe ainsi que par ses partenaires sportifs bien contents de retrouver leur meneur de jeu. Au fil des mois, les rumeurs se sont éteintes et aucun nouvel événement n’est venu perturber le quotidien des jeunes collégiens.

La nouvelle année scolaire avait débuté sous le signe de l'optimisme. Au cours du mois de septembre dernier, quelques nouvelles éruptions solaires s’étaient manifestées au cœur de l'étoile en déclin. Le regain d'espoir fut malheureusement de courte durée, la promesse d’une continuité avait rapidement avorté.

La recherche continue et les premières sondes, SOVAR- I et HELIVE- SI, lancées il y a quelques années, débutent tout juste leur travail d’exploration en orbite autour du soleil. Leurs premières mesures rapportent avec paradoxe que si les réactions thermo-nucléaires du soleil diminuent, le champ magnétique de l’astre, à l'inverse, s’étend en périmètre.

De son côté, le garçon aux yeux ambrés ne cesse de grandir, s’émerveiller de petits riens, passer du temps avec ses amis, du temps à prendre soin de ses cultures potagères ou à s’instruire en astronomie, science de son cœur. Il commence même à s'intéresser au concours de sapeur-pompier. Jean, sous l’influence de son ami, a révisé ses choix et opte lui aussi pour cette orientation professionnelle. Ils se renseignent tous les deux sur le cursus, s’encouragent et se motivent mutuellement. Pour leur plus grand bonheur, ils sont d’ailleurs à nouveau dans la même classe ce qui donne lieu à quelques bavardages à ce sujet aussitôt réprimandés. Quant à Baptiste, leur ancien camarade antipathique, il a non seulement changé de club de rugby, mais aussi de collège, à la demande de son père.

Une belle année se profile.

Le match se termine sous les applaudissements des spectateurs. L’équipe à domicile remporte une large victoire. Les coéquipiers se regroupent au centre du terrain, forment un cercle, s’attrapent par les épaules avant de pousser leur cri de motivation avec ferveur.

La ronde se disperse, Elïo enlève son casque de protection puis court vers les rambardes du bord du terrain, où se situent ses parents et Emma. Les compliments, remarques et suggestions pleuvent. Son père le serre dans ses bras en le félicitant une dernière fois.

L’adolescente, la tête enfoncée sous son étoffe de laine, les mains recroquevillées sous son long manteau n'a pas lâché Elïo des yeux. Ce dernier se défait comme il peut de l’étreinte de son père et s’approche pour se tenir tout près d’elle. Il caresse le tissu qui lui couvre la nuque.

  • Cette écharpe te va bien, la complimente-t-il en clignant d'un œil.
  • Merci. Celui qui me l’a offert a de très bon goût, répond-elle d’un sourire.
  • Je ne te le fais pas dire.

Les deux collégiens s’avancent l’un vers l’autre. Leurs lèvres se collent, partagent un court instant leur tiède humidité avant de se désunir. Les beaux yeux bleus d’Emma examinent son cupidon de la tête aux pieds.

  • Tu as fait un bon match.
  • Merci. Je savais que tu étais là, alors je me suis donné à fond.
  • Oui, je vois ça. Tu as de la terre partout sur le visage ! se moque-t-elle en plaquant une main sur sa bouche.

Le garçon incline la tête et tire sur son maillot pour constater les dégâts avant de s’adresser à Emma d’un air provocateur :

  • Ne rigole pas trop, je pourrais te la faire partager !

Les deux adolescents gloussent.

  • Elïo ! Sapristi, viens mettre ton manteau ! Tu vas attraper la tuberculose ! s’agace son père qui lui tend son pardessus. Il ne fait qu’un tout petit degré !
  • Oui, oui, papa, s’exaspère Elïo.

Au moment où le garçon attrape son vêtement, un son pénétrant envahit le stade. Sa tonalité cinglante alterne. Les spectateurs, les joueurs, tout le monde la reconnaît. La sirène d’alerte aux populations retentit.

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