En traversant les rues de la ville, le groupe fut étonné de voir la vie reprendre aussi rapidement. Les magasins rouvraient déjà leurs portes et des badauds se promenaient tranquillement. Arrivés devant la somptueuse auberge, ils s’aperçurent que leurs montures avaient été déjà amenées dans l’écurie. Ils entrèrent, et le tenancier, un bonhomme chauve et ridé comme une pomme blette, les accueillit très respectueusement. L’entrée était ornée de statues de créatures mythiques, tandis que des carrés de mosaïque tapissaient le sol et les murs. Un grand escalier montait vers les étages, et la salle était éclairée par de nombreux orbes luminescents. Les chambres étaient spacieuses, et très bien aménagées. Il leur montra les leurs, dans un couloir décoré de tableaux.

Tol rentra dans la sienne, défit ses armes, enleva sa chemise trempée de sang et médita. Quelque chose clochait. Cela faisait cinq jours qu’ils étaient partis. Si tout se passait bien, ils seraient chez les éthérés dans une semaine. Pourtant, ni Mia ni lui ne savaient grand-chose sur leur but. Sachant pertinemment qu’une mission mal préparée était une mission échouée d’avance, Tol appréhendait sa rencontre avec les éthérés. Alors qu’il réfléchissait à leur itinéraire, il ouvrit brusquement les yeux et courut jusqu'à ses armes. Il dégaina son épée et la porte de sa chambre vola en éclats, projetant des copeaux de bois à travers la pièce. Tol resta silencieux, caché derrière une table. Des pas lourds et traînants se firent entendre, puis une bruyante respiration. Tol, en se relevant, lança une rune de projection contre le monstre. Celui-ci vacilla mais se reprit très vite. Il s’agissait d’un ogrobelin, une race supérieure aux gobelins, plus forte, intelligente et très résistante à la magie. Tol asséna un coup de taille à la créature, mais il esquiva. Il empoigna son énorme espadon, et l’abattit à une vitesse inimaginable sur Tol. Ce dernier roula à gauche, laissant le coup se fracasser contre la table. Celle-ci se brisa en deux sous la force de l’impact. L’ogrobelin, furieux, chargea en poussant un hurlement. Tol esquiva une nouvelle fois, et le monstre termina sa course dans le mur. Il se retourna avec un revers dévastateur mais hors de portée de Tol, qui s’était reculé. Déséquilibré, sa lame plantée dans le bois du mur, l’ogrobelin était sonné, et tentait vainement de dégager son arme. Tol en profita pour l’embrocher. La créature eut un dernier spasme, et s’effondra. Tol ne prit pas le temps de vérifier s’il était bien mort, et sortit de sa chambre précipitamment. Il enjamba le cadavre du tavernier, une lance dépassant de sa poitrine, et se rua dans les chambres de ses compagnons. Il dût réveiller les mérones, mais Ludwig et Mia étaient déjà debout. Karrorrogar était en bas dans la salle commune, ferraillant avec trois adversaires. Mia lança une rune de feu sur le reste des ogrobelins vivants, les carbonisant sur place. Ils se ruèrent tous dehors vers les écuries de la ville. Les rues étaient étrangement silencieuses, et leurs montures toujours là. Ils se dépêchèrent de grimper sur les chevaux, et partirent au triple galop. Sortis de la ville sans encombre, ils s’arrêtèrent alors qu’ils voyaient au loin la cité. Mordran descendit de poney et se mit à hurler sur Tol :

- Et vous appelez ça une ville sûre?! Moi je vois juste un taudis bon à être envahi par des gobelins! Un gruyère qui laisse passer des ogrobelins!! A croire que les gardes avaient laissé des flèches indiquant notre taverne! De plus, c'est votre soit-disant ami de préfet qui nous a logé !

Mia lui rétorqua :

- Comment Tol aurait pu deviner que Moos allait nous trahir?

Ils continuèrent ainsi jusqu'à ce qu'ils se rendent compte que Tol ne leur prêtait aucune attention. Il était plongé dans une profonde réflexion. Cela semblait illogique que Moos travaillait pour l’ennemi. Et si c'était le cas, pour quel ennemi? Le Chaos, ou Mirnan? Les deux? Cependant, faisant appel à son instinct, la solution n’était pas là.

Cela semblait trop facile, trop évident. De plus, pourquoi diable étaient-ils toujours en vie? Il n’y avait qu’une poignée d’ogrobelins à l’auberge. Connaissant les pouvoirs de leurs ennemis, les moyens mis en place pour les éliminer semblaient bien dérisoires. Et par-dessus tout, le sentiment qu'il lui était venu à l’auberge lui hurlait que tout n’était pas encore révélé. Se retournant, il vit que le groupe attendait sa décision.

- Nous partirons donc vers Garlac. La zone est plus sûre et le chemin direct. Nous arriverons d’ici deux jours. Ensuite, il faudrait que l’on décide du chemin à prendre. En route !

Les autres le suivirent sombrement, plongés dans leurs pensées. Le chemin se fit de nouveau en silence, mis à part les mérones et du drak, qui discutaient du prix du houblon. Tol chevauchait en tête, au côté de Mia, qui semblait plus triste que jamais. Tol essayait bien d’engager la conversation, mais elle répondait que cela ne le concernait pas. Ludwig restait en arrière, formant l’arrière garde. Après deux jours de chevauchée sans incident notable, ils aperçurent enfin les tours de Garlac. Cette ville était bien moins protégée que Boor. De simples palissades de bois entouraient la ville et deux gardes regardaient distraitement la route. Après avoir passé les portes, le groupe constata que les passants étaient principalement des hommes. Ils ne passèrent cette fois pas inaperçus. Les mineurs de cette ville les dévisageaient avec méfiance, et les gardes leur demandaient fréquemment de s’identifier. Après que Ludwig ait menacé de décapiter proprement le prochain qui oserait les importuner, les gardes les laissèrent tranquilles, de peur que ce seigneur humain ne mette sa menace à exécution. Mia et Tol mirent leurs capuches, Mordran et Fildran rentrèrent leur barbe dans leur ceinture, et Karrorrogar murmura une rune de discrétion. Alors qu’ils passaient devant l’église de la ville, un prêtre brandissait un livre couvert de sceaux et haranguait les badauds :

- Mes chers amis, je suis Moralx, un humble prêtre du dieu Xutrev. Priez et repentez-vous, car il ne tolère pas les pécheurs. Les races inférieures seront éliminées, tout comme les hommes inférieurs, ceux qui prônent la décadence de leur race en frayant avec les xénons!

Tol ne lui prêta que peu d’attention, mais Mia tourna la tête vers lui. Elle ralentit, et murmura une rune. Avant que Tol ne puisse l’arrêter, le prêtre se tut, poussa un gémissement, se plia en deux une grimace de douleur sur le visage. Il eut une dernière convulsion, et s’effondra. La foule, médusée, regardait partout pour connaître l’origine de ce mal. D’autres se précipitèrent au chevet du prêtre pour le secourir. Tol, furieux, prit la main de Mia pour la mener vers une ruelle adjacente. Il fit signe au reste du groupe de continuer à avancer, et se tourna vers elle :

- Non mais à quoi tu pensais? Tu veux nous faire tuer ou quoi? Pourquoi tu as fait ça?

- Cet homme les endoctrinait, il faussait leur jugement avec de belles paroles, et après il les persuade que nous, vahnae, sommes la source du Chaos, lui répondit-elle, au bord des larmes.

Plus calme, Tol se pencha vers elle :

- Tu comprends cependant que nous ne pouvons pas nous permettre d’assassiner tous les prêtres.

Essuyant ses yeux, elle hocha la tête. Inspirant un grand coup, elle se redressa :

- Ne t’inquiète pas. Nous y allons?