Mage
Vénérir secoua la tête de dépit. Les jeunes mages qu’on lui avait amenés étaient vraiment décevants. Aujourd’hui, ils étaient incapables de comprendre la vraie nature de leur mana. Le professeur reprit, sur un ton excédé :
-Bon, reprenons. Non, Enélial, il ne suffit pas de prononcer les mots runiques pour agir sur le monde, tout crétin dégénéré serait capable de répéter les mots de pouvoir sans faire le moindre pet magique. De même, Sachmir, il est inutile de beugler comme un veau ces mêmes mots. Vlalar le Muet était bien un des mages les plus puissants de son temps. Aliénor, il serait intéressant de se connecter à la Source, qui est, sans mauvais jeu de mots, une source importante de mana, mais seuls les Moines de Tibér en sont capables. Les autres, le manque de suggestion me déçoit et me fait douter de votre enthousiasme et de votre investissement.
Il fit une pause. Il contempla les murs de sa salle de classe. Les portraits des mages le fusillaient du regard, lui faisant comprendre que son cours était aussi utile qu’un cheval à un unijambiste. La poussière elle-même, recouvrant les livres et les bocaux dans le fond sur les étagères, était un aveu de son échec. Il était incapable d’enseigner. Il répéta ce qui lui semblait être les bases :
- La magie runique repose sur des mots. On peut les tracer, les prononcer à haute voix, les dire dans sa tête, les chanter sur un air paillard, peu importe. Pour modifier le monde, il faut leur insuffler la mana, cette énergie qui circule autour de nous et dans nous. Les mots sont uniquement des réceptacles, des capteurs de cette énergie. Ils sont à la fois des catalyseurs, mais aussi permettent de modifier cette énergie pure, et en faire ce que l’on souhaite. A présent, quelqu’un sait comment capter et insuffler la mana ?
Les huit petites têtes blondes le regardaient comme s’il leur avait demandé de réciter les 128 composants de la potion de Bravoure en mois d’un quart de tour de clepsydre. Il secoua la tête une nouvelle fois. Les huit futurs mages n’étaient pas idiots, loin de là. Certains d’entre eux étaient même capables de petits tours, qui souvent leur avaient causé beaucoup de problèmes. Les parents avaient pris peur, et les avaient amenés ici, à la Tour Blanche, pour qu’ils maîtrisent leur don. D’autres avaient été repérés par les hérauts, des mages en formation qui sillonnent les routes pour trouver les futurs grands noms de l’histoire. Vénérir était en charge des deuxièmes années. En soit il avait de la chance. Il ne devait pas supporter les pleurs et les jérémiades des premières années, ni la suffisance et l’orgueil des années suivantes. Non. Il devait juste leur apprendre les bases, leur faire maîtriser leurs pouvoirs pour qu’ils ne soient pas dangereux, et trier entre les vrais potentiels, et ceux qui avaient juste un grain de pouvoir. Ce n’étaient pas eux le problème. C’était lui.
Ancien mage combattant ayant participé aux Grandes Guerres des 5 peuples, pyromant expert et dompteur de grands démons, lui, Vénérir, avait été relégué au second plan. Soi-disant qu’on avait plus besoin de lui, qu’il fallait qu’il œuvre pour les générations futures, qu’il prenne du repos ! Lui, le grand Vénérir ! Tout cela était politique. On l’avait écarté, de peur qu’il prenne la place du Grand Mage, le chef de tous les magiciens d’Hirgalia. Sa carrière était pourtant toute tracée. A la fin des Grandes Guerres, son rôle avait été décisif pour la victoire des Peuples libres. Sans son intervention, le Nécromant, puisse-t-il pourrir dans le monde du Chaos, serait toujours sur les Terres d’Hirgalia, à massacrer joyeusement son prochain. Lors de la cérémonie qui suivit la victoire finale, le Grand Mage en personne l’avait félicité et Vénérir avait senti le vent tourner en sa faveur. Quelques jours suivants cette cérémonie, le Grand Mage l’avait convoqué, et il y était allé en se frottant les mains. Il n’avait pas prévu la proposition du vieux gâteux de jouer les nourrices à la Tour Blanche. Il ne pouvait pas refuser.
Une proposition du Grand Mage, ça ne se rejette pas. Ça s’accepte, et avec le sourire, sans quoi il n’est pas sûr de sortir de la salle vivant, en un seul morceau et sain d’esprit. Il fut interrompu dans sa rêverie par une petite quenotte levée en l’air. Vénérir baissa les yeux, et ne fut pas étonné de découvrir le possesseur de la quenotte en question :
- Oui Aliénor ?
- Eh bien… il faut méditer ?
Les autres ricanèrent. La petite était douée, mais était la seule fille du groupe. Vahnae, en prime. Son don était celui qui était le plus développé, ce qui n’aidait pas l’intégration. Bien décidé à fermer leurs clapets, Vénérir eut un sourire :
- En effet, la méditation est un moyen efficace pour capter la mana. Elle est aussi source de réflexion et de mémorisation, ce qui ne ferait pas de mal à certains.
Les ricanements se turent immédiatement.
- Cependant la méditation n’est pas spécialement pratique. Au cours d’un combat de mages, il est difficilement possible de demander à son adversaire de faire moins de bruit et d’attendre sagement que l’on puisse capter la mana. Non, d’autres suggestions ?
Un silence de tombeau lui répondit. Il soupira.
- La mana est présente dans tout mouvement, intérieur comme extérieur. Le vent, le cours d’un ruisseau, le galop d’un cheval, un tremblement de terre, la chaleur d’un feu. Votre respiration, bien que facile à utiliser, très volatile, et non Sachmir, respirer comme un veau n’augmente pas la mana fournie. Le sang qui circule dans votre corps également, bien que dangereuse à utiliser. Vous voyez…
Il fut interrompu par un importun qui toquait à la porte.
- Entrez !
L’importun en question ouvrit la porte, et Vénérir n’en crut pas ses oreilles :
- Maître Vénérir ? Le Grand Sage vous demande.
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