Conseil

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En descendant les escaliers abrupts de la Tour Blanche, Vénérir se demanda ce que lui voulait le vieux gâteux. La dernière fois qu’ils s’étaient parlé, ils ne s’étaient pas forcément dit que des compliments, et ils ne s’étaient pas quittés bons amis.

Les mages de la Tour Blanche pouvaient communiquer avec le Palais des Runes, là où siégeaient le Grand Mage et le Conseil Runique qui donnaient les grandes décisions. En ayant assez de devoir faire galoper un cavalier pour annoncer les nouvelles, qui quelques fois étaient périmées de plusieurs jours, les mages décidèrent d’un nouveau moyen de communication. Ils insufflèrent de la mana dans des orbes, et gravèrent sur ces derniers les runes correspondantes. C’était par l’une de ces orbes que le Grand Mage donnait ses directives, et c’était cette dernière que Vénérir allait utiliser. Dans le grand caveau poussiéreux où se situaient les orbes, les pas des deux mages résonnèrent, comme si la sentence de Vénérir venait d’être décidée. Le vent soufflait par les interstices des pierres, semblable à une accusation de juges intraitables. Le guide indiqua l’orbe à Vénérir, et repartit aussi sec. C’est un peu inquiet, et les mains moites, que le mage prononça la rune. Celle-ci se mit à briller, et Vénérir fut transporté. Son corps restait à la Tour Blanche, et c’est en esprit astral qu’il arriva au Palais des Runes, devant le Conseil Runique au complet, et le vieux gâteux en personne. Ils étaient dans la Salle du Jugement, ce qui ne l’aidait pas à se rassurer. Les cinq Hauts Mages et le vieux gâteux le contemplaient de haut, se demandant probablement comment le pulvériser de la manière la plus amusante. Le vieux gâteux commença, d’une voix glacée :

- Enfin, tu nous as fait attendre.

- Désolé, Grand Mage, je finissais mon cours.

- Oui bon, ce n’est pas pour cela que je t’ai convoqué. Nous avons un problème.

Vénérir dut mettre ses mains dans son dos, pour éviter de montrer combien elles tremblaient. Lorsque le Conseil Runique avait un problème, et surtout lorsque le vieux gâteux faisait partie de ce Conseil, quelqu’un finissait généralement en petit tas de cendre, ou dans les geôles du palais à se faire chatouiller par les Mages-tortionnaires. Et Vénérir ne savait pas quelle solution il préférait. Lorsque le Grand Mage ouvrit la bouche, le professeur eut du mal à déglutir :

- Voire même, nous avons un gros problème. Inutile de te faire patienter, autant dire les choses comme elles sont. Mirnan est de retour.

Vénérir eut deux coups au cœur. Le premier, il allait peut-être sortir vivant de cet entretien. Le deuxième, c’est que l’un des plus grands mages noirs, ayant eu l’oreille du Nécromant, était bien vivant. Il bredouilla :

- Mais… Mais c’est impossible. Mes Flammes de Sang ont détruit les adorateurs du Nécromant, et lui-même fut renvoyé dans son monde. Il est fort peu probable que…

- Mirnan n’était pas à la dernière bataille. Il était caché à Tournor. Un espion vahnae a été capturé, puis libéré par leur princesse. Mirnan a fait ensuite une démonstration de force dans leur palais. Ils ont envoyé un petit groupe chez les éthérés en mission secrète. Cependant, Mirnan ne va pas gentiment attendre le prochain coup. Il prépare quelque chose. Nous savons qu’il a quitté Tournor, pour sa tour à Besingal. Vous allez y aller pour découvrir ses plans. Il semblerait que les éthérés connaissent un moyen pour arrêter Mirnan, mais ont besoin de plus d’information sur ses intentions. Nous pouvons légitimement penser qu’il va ouvrir la porte du Chaos pour faire revenir son maître, mais rien n’est sûr. C’est pourquoi nous t’envoyons à Besingal.

Vénérir eut du mal à comprendre les mots du Grand Sage. Une partie de lui-même se réjouissait de sa probable survie, cependant, l’autre partie qui écoutait le vieux gâteux lui envoya des signaux d’alerte. Quand, enfin, il réalisa ce que le Conseil voulait, il se figea. Il demanda :

- Vous m’envoyez, seul, espionner Mirnan ?

- Oui.

C’était pire que ce qu’il s’imaginait. Dans le monde du Chaos, le nom du professeur était synonyme de vengeance, et sa tête était probablement mise à prix. Mirnan devait le connaître, et probablement mijoter une torture spéciale pour Vénérir. La décision des mages du Conseil revenait à une exécution, sans même qu’ils ne se salissent les mains en prime. Il s’inclina :

- La confiance que me porte le Conseil m’honore, cependant je crains de ne pas être le meilleur choix pour…

- Vous n’êtes pas notre meilleur choix. Vous êtes notre seul choix. Vous seul, qui avez triomphé du Nécromant, êtes capable d’une telle mission. Vous partez demain, les dispositions ont été déjà prises pour votre voyage. Vos élèves seront également pris en charge.

Vénérir était piégé. Ils avaient tout prévu, même sa ligne de défense. Il ne lui restait plus qu’à accepter, refuser étant inconcevable pour le Conseil. Il hocha la tête, signant sa condamnation à mort. Le Grand Sage eut un sourire :

- Je préfère ça. Vous partez demain. Ne vous inquiétez pas, un Œil vous suivra.

De mieux en mieux. Non seulement ils l’envoyaient à l’échafaud, mais en plus, ils allaient lui coller un espion à ses basques pour vérifier qu’il se fasse bien étriper.

- Je crois que nous en avons fini, conclut le vieux gâteux.

Ce dernier fit un geste en direction de Vénérir, et avant qu’il ne puisse prononcer la moindre injure bien sentie à ses bourreaux, il se sentit aspiré vers l’arrière. De retour dans la salle des orbes, il reprenait peu à peu ses sens. Retrouvant la vue, ses mains continuaient de trembler, non plus d’appréhension, mais de terreur cette fois. Lorsqu’il avait combattu le Nécromant, il fut aidé de centaines de mages, invoquant en même temps le terrible sort Flammes de Sang. Il pouvait tout brûler, mais son prix en mana était exorbitant. Cette fois, il était seul, face à un Mage du premier cercle, connaissant et tutoyant le Nécromant. Il se demanda à quelle occasion il aurait pu être dans la mouise. Ne trouvant pas, il soupira, et remonta lentement les marches de la Tour.

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