Plan
En se réveillant, Vénérir se demanda pourquoi il faisait toujours noir. Il comprit lorsque l’Œil globuleux, surmonté de deux ailes rachitiques, voletait autour de sa tête. Lorsqu’il était remonté, il avait trouvé ce petit compagnon dans sa chambre. Le Conseil avait probablement profité de son absence pour le téléporter. Il s’était affalé sur son lit, et s’était endormi immédiatement, malgré sa nervosité.
L’Œil se posa sur l’une de ses étagères, ses pattes minuscules griffant le bois. Vénérir soupira, et se leva, la tête pleine de soucis. Son sac était déjà prêt , et le petit espion le regardait d’un air moqueur. Le mage ouvrit sa porte et descendit. Il ne pouvait croire qu’un jour il regretterait sa classe, mais il s’était attaché à ses petites têtes blondes. Arrivé dans la cour, il leva la tête. Il put apercevoir ses élèves à travers la fenêtre du deuxième étage, griffonnant sur des parchemins. Son remplaçant demeurait cependant invisible. Il hocha la tête, et se retourna. Personne pour lui souhaiter bonne chance ou l’encourager. Sauver Hirgalia une deuxième fois ne semblait être une bonne raison pour se déranger. Il avait certes été désagréable avec ses collègues, méprisant avec les élèves, voire injurieux envers le vieux gâteux, mais Vénérir sentit tout de même une pointe de déception devant cette cour presque vide. Il ricana intérieurement. Le Conseil avait probablement tu la raison de son départ, à moitié pour éviter les fuites, à moitié aussi pour l’humilier. Il réinstalla son sac sur son dos, et se dirigea vers l’écurie. Le jeune paysan, illettré et recueilli par les mages pour les tâches ménagères, pointa du doigt un hongre lorsque Vénérir lui demanda sa monture. Il grimpa dessus, et se dirigea vers les portes du mur entourant la Tour Blanche.
Durant les premiers kilomètres, Vénérir laissa sa monture aller à sa guise. Il n’y avait qu’un seul chemin menant à la Tour Blanche, cahoteux et pleins de gravillons. Arrivé à la prochaine ville, Vénérir devrait penser à des détails plus matériels pour son voyage. Il y avait plusieurs jours de trajet avant d’arriver à Besingal, et il allait devoir mettre ce temps à profit pour monter un plan pour dénicher les informations de Mirnan et revenir entier. Ce qui le rassurait à moitié, c’est qu’un autre groupe de voyageurs allait dans la même direction que lui, et était aussi plongé dans les problèmes jusqu’au cou. Il réfléchit. Tout camouflage ou intervention magique était proscrite, Mirnan devait avoir une légion de runes de protection, de détection et d’anti-runes protégeant sa tour. Il pouvait aussi utiliser des moyens plus traditionnels, mais la perspective d’escalader une tour ne l’enchantait guère. Utiliser un garde comme pantin était aussi impossible, la spécialité de Vénérir étant plus la destruction violente que la manipulation mentale. Et Mirnan devait aussi avoir protégé ses soldats contre ce genre d’agression. Vénérir se découragea. Seul, il ne pouvait pas grand-chose, mis-à-part compter sur un improbable coup de chance. Voire deux, un pour rentrer, et un pour sortir. Et Vénérir se savait suffisamment malchanceux pour ne pas compter sur deux coups de chance coup sur coup. Il devait trouver un plan, et vite.
L’Œil continuait de voler de-ci de-là. Vénérir lui jeta un regard menaçant :
- Tu n’aurais pas un plan pour nous sortir de là toi ?
L’Œil le regardait d’un air interrogatif, si un œil globuleux volant sur pattes pouvait en avoir un.
- Si je me mets à parler tout seul, on n’est pas sortis de l’auberge toi et moi.
L’espion reprit son vol, muet comme une tombe.
Arrivé en fin de journée à Monlim, la ville la plus proche de la Tour Blanche, Vénérir se sentait plus démuni que jamais. Abandonné par ses pairs, en chemin pour une mort certaine, sans aucun plan ni secours, le mage s’arrêta à l’auberge Le Poney Pimpant, le moral dans les chaussettes. Il salua à peine l’aubergiste, un habitué des mages qui recevait volontiers ces derniers, et monta dans sa chambre réservée généreusement par le Conseil. L’ancien professeur s’effondra sur son lit, et, une nouvelle fois, malgré les soucis, il s’endormit comme une masse.
Le lendemain, plus frais, il se réveilla de bonne heure. Revigoré par la nuit de sommeil qu’il avait passée, il descendit s’excuser de son impolitesse. L’aubergiste, derrière son comptoir essuyant un verre, le rassura :
- Vous inquiétez pas, si j’devais m’renfrogner à chaque maudite fois qu’un client m’dit pas l’bonjour, j’serai tout l’temps d’maudite humeur.
- Merci beaucoup.
- Buvez quequ’chose ?
- Non, merci, pas le matin. Des nouvelles ?
L’aubergiste secoua la tête :
- Pas grand’chose. Comme d’habitude, les maudits brigands, deux-trois maudits incendies, et bien sûr des maudits racontars de voyageurs ayant abusé d’la vinasse.
Vénérir fut rassuré. La grande nouvelle qu’un mage du Chaos était de retour n’avait filtré. L’aubergiste reprit :
- Ah ouais, y’a aussi un maudit ogroloup qu’a dévoré des poules, et qu’on a pas réussi à capturer. C’maudit cabot ! C’est qu’c’est intelligent c’bestiau. Y s’est déguisé en grosse poule, et pouf ! Il fait comme s’il en était une, et y s’est rempli la panse c’te maudit saligaud !
- Il s’est déguisé en poule ?
- Ouaip, il en a dépecé quequ’unes, et s’est recouvert avec. On en croirait pas capable hein ? On y a tous vu du feu. En plus, y faisait noir.
Vénérir sourit. Il ne compatit absolument aux pauvres paysans incapables de faire une différence entre un ogroloup et une bande de poules. Sans le vouloir, l’aubergiste lui avait fourni un plan. Plein de panache en plus. Vénérir le remercia, et sortit faire quelques achats. C’était vraiment une belle journée.
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