Repos
Bien encadrés par les gardes civils, les 6 compagnons ne pouvaient tenter quoi que ce soit. Leur escorte ne semblait pas particulièrement belliqueuse, mais était très vigilante. Les récentes émeutes les avaient mis en état d’alerte, et plusieurs patrouilles circulaient dans les rues, lances au clair. Les mérones avaient disparu des rues, sachant pertinemment que les gardes ne leur feraient pas de cadeau.
Le groupe arriva enfin à la caserne. C’était une petite structure en pierre grise, efficace et facilement défendable, entourée de murs solides dont une seule tour émergeait. Des soldats guidés par des sergents en sortaient au pas de course, allant probablement calmer des quartiers ou arrêter des émeutiers. Le capitaine les mena dans la cour intérieure, où un sergent debout sur une estrade clamait les affectations des différentes patrouilles. Ils franchirent une porte à la base de la tour, toujours encadrés par leur escorte. Le brouhaha extérieur fut étouffé, et après avoir monté deux étages, Leonnick s’arrêta devant une porte en bois. Tol eut un frisson d’appréhension. De trop récents et mauvais souvenirs se rappelèrent à lui. Le capitaine toqua deux fois, et une voix de stentor lui intima d’entrer. Leonnick fit signe au reste du groupe, et poussa la poignée.
Le commandant était assis derrière un bureau en chêne. De nombreux papiers y jonchaient, et il était plongé sur une carte. Deux étagères remplies de livres se faisaient face à face de chaque côté de la salle, et une grande baie vitrée se situait derrière l’officier. Ce dernier était complètement chauve. Au milieu des cicatrices cartographiant son visage, deux yeux respirant la détermination et l’autorité fixaient la carte comme s’il voulait modifier la disposition des bâtiments uniquement à l’aide sa volonté. Cette tête patibulaire était surmontée d’un cou de taureau, et lorsqu’il se leva pour accueillir ses invités, Tol se rendit compte qu’il était gigantesque. Le seul détail insolite était une bague sertie d’un lapis lazuli à son majeur droit. Le commandant soupira :
- C'est donc vous les fauteurs de trouble? Vous savez que j’ai deux hommes gravement blessés, plusieurs sérieusement commotionnés, une façade de temple ravagée, des moines qui demandent les têtes des émeutiers et des habitants paniqués ? Et je suis censé en prime vous remercier de nous avoir évité un bain de sang… Seigneur Von Valheim, princesse Tel-khan, pourquoi ne vous êtes-vous pas manifesté? Nous aurions pu vous protéger….
Mia s’offusqua :
- Nous protéger? Ben voyons… Nous souhaitions d’abord être le plus discrets possible, et ce n’est pas avec cinq gardes autour de nous que nous aurions pu passer inaperçus.
- Ni en ravageant ma ville…
- Nous n’avions jamais eu l’intention de faire quoi que ce soit. Nous étions en route pour voir votre préfet, mais il est enfermé dans une geôle de l’hôtel de ville en train de se vider de son sang! Et ces mêmes moines ont aussi tenté de nous assassiner! C’est uniquement à cause d’eux que la situation a dérapé.
Le commandant s’assit lourdement. Un poids s’était abattu sur ses épaules, et son regard défait indiquait que la situation était bien plus compliquée qu’il n’y paraissait.
L’autorité qui émanait à l’instant de ce vétéran avait subitement disparue. Il dit d’une voix éteinte :
- Cela se voit que vous n’êtes pas ici depuis longtemps. La situation en ville est pire qu’il n’y paraît. Le préfet El était élu depuis peu lorsque les moines ont débarqué. Il y avait alors une forte population mérone. Les adorateurs de Xutrev ont commencé à endoctriner les humains, en les incitant à ostraciser les mérones. Nous sommes alors intervenus plusieurs fois, mais les citoyens nous repoussaient à chaque fois, et les moines ont ajouté de l’huile sur le feu. Lorsque leur politique de lavage de cerveau était bien avancée, ils ont peu à peu infiltré les sphères de pouvoir de la cité. Chaque poste, chaque politique, juge, membre du conseil, ont été corrompu, remplacé ou assassiné. Et nous étions incapables de faire quoi que ce soit. Très vite, El a eu les mains liées. Il a alors pris une décision terrible. Il a décidé d’aller voir les moines au temple, de leur parler, de leur expliquer, voire de les menacer s’il le fallait. Escorté normalement, nous ne pensions pas qu’ils oseraient quoi que ce soit.
Quelques heures à peine après son départ, des émeutes ont éclatées un peu partout dans la ville. Nous étions débordés. Alors que la ville reprenait son calme relatif et que je revenais ici, une congrégation de moines m’attendait dans mon bureau et m’ont annoncé que le préfet El était hérétique, qu’il méritait une punition adéquate et que je ne devais rien faire. J’ai envoyé un messager à mes supérieurs qui m’ont répondu que je ne devais surtout pas intervenir et que j’étais tenu uniquement à la sécurité de la population. Je m’en tiens donc à faire respecter la loi et l’ordre, tant que je peux. Mais je n’oublierai jamais ce qu’ils ont fait subir à El.
Au fur et à mesure de son discours, le commandant recouvrait son autorité et son aura. Il s’était redressé, et semblait déterminer à affronter les moines. Tol songea que ce vétéran était bien plus qu’il n’en paraissait. Certes il avait, tout comme El, les mains liées, mais il n’allait pas se laisser faire ou laisser tomber les citoyens.
Les deux mérones étaient affalés sur le canapé dans le coin du bureau et Leonnick tentait de leur faire boire un peu d’eau. Karrorrogar était bien encadré par deux gardes, qui semblaient plus intimidés que lui. Mia s’était un peu calmée. Ludwig reprit la parole :
- Commandant, je comprends tout à fait votre situation. Cependant, comme l’a dit la princesse, nous ne souhaitons en aucun cas faire quoi que ce soit de nuisible à votre cité. Nous souhaitons simplement prendre du repos et repartir au plus vite.
L’officier soupira :
- Vous comprenez que je ne peux pas vous laisser vous reposer. Aucune auberge, ni habitant, ne voudra vous accueillir. Je ne peux pas non plus vous loger ici, nous serions probablement attaqués par des citoyens ou des moines. Je peux en revanche vous fournir des vivres. En échange, vous partez le plus rapidement possible d’ici.
Ludwig voulut protester, mais Tol l’arrêta. Le commandant ne pouvait rien faire d’autre. Gêné, le vétéran remercia Tol d’un hochement de tête. Il indiqua à Leonnick où il devait trouver les fournitures. Le second le salua, puis partit aussi sec. Le commandant ramassa quelques papiers puis partit faire une patrouille, les laissant se reposer dans son bureau, le temps que le capitaine aille chercher les provisions. Tol s’allongea sur la partie inoccupée du canapé. Ses yeux se fermèrent, sur une dernière pensée pour son apprentie secouée par l’ostracisme des moines.
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