Colère
Les dernières brumes de la nuit se dissipaient sur Monlim. Le ciel était rosé, et quelques filets de nuages résistaient au soleil levant. Vénérir resserra sa cape de voyage. Le froid matinal lui gelait les os, et son hongre refusait d’avancer plus vite. Étant un piètre cavalier, il laissait l’animal décider du chemin. Cela lui permettait de finaliser son plan pour survivre à Bésingal. Il n’aurait pas le droit à une deuxième chance. A la moindre erreur, Mirnan le pulvériserait en un haussement de sourcil.
Retenant un ricanement, il songea qu’il n’avait même pas pensé à essayer de se dérober. Il leva les yeux vers l’OEil. Une simple boule de feu le réduirait en cendres. Il pourrait alors s’enfuir au triple galop, libéré de ses obligations, du vieux gâteux et du Conseil. Il sourit un instant à cette perspective utopique, puis revint sur terre lorsque son hongre fit un écart. Plusieurs caravanes allaient dans la direction opposée. Étonné par leur nombre important, il interrogea un conducteur sur leur motif. Il semblerait qu’il y avait une série de meurtres à Boos, et que de nombreuses émeutes avaient éclatées. Motivés par peur, ou par opportunité, les habitants avaient décidé de quitter la ville pour trouver un refuge, le temps que les choses se calment. Reprenant sa route, il réfléchit. Bésingal était loin, mais Mirnan pouvait avoir envoyé un émissaire pour traquer le professeur. En effet, Vénérir préférait envisager le pire, c’est-à-dire que le sorcier était au courant de sa mission, plutôt que de compter sur l’improbable naïveté du suppôt du Nécromant. De plus, il serait bien idiot de la part de Mirnan d’envoyer un être massacrer tout le monde en priant de tomber sur le mage. Cette créature pouvait tout à fait n’avoir aucun lien avec le mage noir, ou avoir été assigné à une autre mission.
Sa prochaine étape était un couvent de moines de Xiap. Assez discrets, ils recevaient avec joie les mages de la Tour Blanche. Vénérir ne les appréciait pas trop, principalement à cause de leur austérité. Il fallait se coucher tôt, se lever aux aurores, travailler à la communauté, respecter un silence absolu, et aucune distraction n’était autorisée. Seuls les repas étaient agréables. Certes il fallait manger en silence, mais les invités avaient le droit à double ration, et étaient autorisés à boire jusqu’à un verre d’excellent vin rouge. Ce fut sur ces pensées qu’il aperçut la première tête. Horrifié, Vénérir dut la regarder quelques secondes, avant de comprendre la terrible vérité. Une tête d’un vahnae, la langue pendante, les yeux crevés, les cheveux tondus, était recouverte de métal fondu pour la conserver. Elle était plantée sur une pique en bois sur le bord du chemin. Vénérir eut un haut-le-cœur, avant de se rendre compte avec incrédulité que d’autres têtes étaient alignées le long de la route. Chaque tête était recouverte de métal, et appartenait à une race étrangère. Il fit galoper son cheval, une boule d’appréhension dans le ventre. Les têtes défilaient, telles des bornes monstrueuses. De plus en plus inquiet, il continuait ventre à terre, les chefs décapités ne voulant s’arrêter. Arrêtant son cheval, Vénérir ne voulut y croire. Les têtes menaient au couvent, semblant lui indiquer leur meurtrier. Le mage dut se reprendre quelques secondes, puis fit avancer son hongre. Ces pauvres mérones, vahnae et drak n’avaient rien fait pour mériter cela. Tant de morts, pour rien. Peu à peu, la tristesse dans son cœur s’était transformée en colère. Il comptait bien rayer ce couvent de la carte du continent. Arrivé devant les portes du monastère, il frappa les portes. Un moine entrouvrit la porte, et laissa échapper une exclamation de surprise devant l’air furieux du mage, et avant que le bonhomme ait eu le temps de prévenir les autres, Vénérir prononça des runes de vent. Une bourrasque violente fit valdinguer les portes dans la cour, et trois moines furent écrasés. Vénérir ne prit même pas le temps d’admirer le cloître qu’il avait devant lui, et tonna d’une voix tonitruante :
- Qui a osé faire cela ?!
Un silence lugubre lui répondit. Un moine gémissait, un éclat de bois planté dans son avant-bras. Une flaque de sang grandissait en-dessous des restes des portes, coulant entre les pavés, semblant remplacer le ciment. Vénérir incanta une rune de boule de feu, et la projeta sur le mur de gauche. Dans un grondement sourd, les plinthes en bois prirent immédiatement feu, et un moine hurla, sa bure brûlant sous l’effet de la mana. Vénérir hurla :
- Où est-il ? Où est le père supérieur, que je lui crame sa toge, et lui avec !!
Un petit homme chauve et ridé, le dos courbé par l’âge et les responsabilités, se dégagea de la foule des moines apeurés. Il annonça d’une voix faible :
- C’est moi. Qui êtes-vous pour troubler le calme et la paix de ce lieu ?
Vénérir vit rouge. Il traça dans l’air une rune de peur, et d’une voix modifiée par la colère et la mana, mugit :
- LE CALME ET LA PAIX ? ET LES TÊTES DEHORS ? ELLES FONT PARTIES DE VOS PRIÈRES ??
Le pauvre père fut projeté à terre par la force de la voix du mage. Plaqué au sol, il ne put se relever uniquement lorsque Vénérir daigna tracer une rune d’annulation. Tremblotant sur ses vieilles jambes, il peina à s’expliquer :
- Nous ne sommes pas responsables de ce massacre…
Un peu calmé, Vénérir ne décolérait cependant pas complètement :
- Pardon ?
- Non, jeune et impudent mage. Nous n’avons rien fait. Nous sommes pacifistes. Comment voudriez-vous d’ailleurs que nous ayons décapité ces pauvres hères, et que nous les ayons ensuite plantés sur ces affreuses piques ? Nous n’avons pas de lames, ni ne savons les manier d’ailleurs, si ce n’est pour éplucher et tailler les légumes.
- Qui alors ?
Le père sembla s’affaisser. Un air sombre lui passa sur le visage, et Vénérir crut également voir une terreur sans nom luire au fond de ses prunelles. Très vite cependant, il se redressa, et annonça d’une voix claire :
- Des imposteurs, se faisant passer pour des serviteurs de Xiap. Une nouvelle fois, mon fils, nous ne sommes pas de dangereux, et nous souhaitons vivre en paix. Je comprends votre colère, et je la ressentirais également si je n’avais pas renoncé aux péchés. Je n’en sais pas plus, et nous n’avons pas osé enlever ces monstruosités, de peur qu’ils ne reviennent nous attaquer. Allez-vous en, et laissez-nous en paix.
Vénérir se calma, et constata l’étendue des dégâts : une porte défoncée, trois morts, deux blessés graves, et une partie du mur en flammes. Il soupira. Il était encore allé trop loin. Grâce à une rune de réparation, les portes se soulevèrent et se remirent en place, révélant une bouille sanglante, reste des trois malheureux. Il éteignit ensuite les flammes grâce à une rune d’eau. Revenant à la mare rougeâtre, il ne pouvait rien faire. Il se retourna, ouvrit les portes et partit sans un mot d’excuse, ni de pardon. Il ne pouvait le prouver, mais le moine lui avait menti. Ses sens développés grâce à la mana lui hurlaient que le couvent cachait autre chose. Cependant, il avait suffisamment provoqué de bazar pour ne pas en rajouter. Il ne voulait pas énoncer ses soupçons à hautes voix, de peur que quelqu’un d’autre soit là pour l’écouter.
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