JOAO
Je rentre chez moi, heureuse d’avoir passé une bonne soirée avec mes amis. Ma maison est à quelques pas. Je reste un instant devant le perron à regarder les étoiles. J’entends au loin les vagues d’une marée haute.
Une fois dans le salon, j’allume la lampe sur le guéridon, pose mon châle sur le sofa. J’ôte ma première boucle d’oreille, je cherche à tâtons la seconde. En vain.
Je vois mon reflet dans le miroir au-dessus de la cheminée. Mes cheveux sont parsemés de mèches grises et mon regard est inquiet. Fébrile, j’ouvre le tiroir du vaisselier, m’empare d’une lampe torche.
La porte d'entrée grince quand je l'ouvre. Je dirige le trait de lumière sur le chemin. Je peste d’avoir égaré cette boucle d’oreille. Sur mes épaules dénudées, je sens un léger souffle.
Mon regard se dirige sur le potager. Au milieu de mes cultures de salades, de haricots et de framboises, ton visage se dessine dans mon esprit. J’ai la sensation que tu m’appelles. Je respire un grand coup. Quelques instants suffisent pour que mes pensées m’emportent jusqu’à notre première rencontre. Ici même dans ce potager.
Sous la lumière d’une journée radieuse, je pose ma main en visière sur le front. Tu viens à moi. A l’extérieur, je suis immobile, tandis qu’à l’intérieur c’est le chaos.
- Bonjour, j’espère que je ne vous dérange pas.
Que pouvais-je répondre ? Oui vous me dérangez. Je n’ai pas lavé mes cheveux. J’ai d’énormes valises sous les yeux. Je porte le plus hideux de mes pantalons avec un tee-shirt tout délavé. Je suis une abomination. Je m’abstiens de te répondre. Je ne te quitte pas des yeux. Ton regard est clair. Tu as une assurance tranquille dans la voix. Ta peau est hâlée. Tes cheveux sont épais et sombres. Tu es grand. Tu me montres l’horizon.
- Je cherche le phare aux anneaux noirs.
- Quel est votre nom ?
- Joao
- Moi c’est Céleste. Ça vous dirait de boire une bière ?
Jamais je n’ai fait preuve d’autant d’audace avec un homme. Tu acceptes comme si tout était dans l’ordre des choses.
Me souvenir de ce moment me prend à la gorge. J’évite le sanglot de justesse. Je reviens momentanément à l’instant présent. Je dois retrouver la boucle d’oreille. Je quitte le potager. Je m’engage sur la lande. Je suis seule. J’ai l’impression de naviguer entre deux mondes. Et je reviens vers toi dans un autre espace-temps.
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