11. Le pacte

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De retour à la base, Aaron et Scarlet se muèrent dans un silence pesant. Alors qu’il ne voulait pas tergiverser davantage sur ce qu’il s’était passé, elle, tentait de mettre de côté la colère qu’elle ressentait face à la situation. S’enfermant dans la chambre, elle s’écroula sur le lit, les yeux rivés sur le plafond. Qu’est-ce qui clochait chez ces humains ?

Elle n’eut pas beaucoup de répit. A peine habituée au confort de la solitude, quelqu’un vint toquer à sa porte. Elle se leva, ronchonna quelque chose, puis ouvrit. Maïa, le sourire aux lèvres, semblait particulièrement enthousiaste.

« Je suis contente que vous soyez revenus, lança-t-elle.

— Ça n’a pas duré longtemps. »

Lâchant un long soupir, Scarlet retourna s’asseoir sur le lit. L’humaine l’imita, inquiète.

« Tu n’as pas l’air ravie. Je peux en comprendre les raisons, bien sûr ! Charly est… un peu… (elle chercha ses mots), disons qu’il est normal de ne pas l’aimer.

— C’est bien pire que ça ! s’exclama l’Aldienne, de nouveau en colère. Quand vous l’avez évoqué l’autre fois, je n’imaginais pas que son arrogance puisse être aussi irritante. J’ai un mauvais pressentiment.

— C’est un con, je te l’accorde, lâcha Maïa avec franchise. Mais une chose est sûre : si quelqu’un peut retrouver rapidement ton amie et ton frère, c’est bien lui. »

Elle avait certainement raison. Pourtant, quelque chose clochait. Qu’est-ce qu’Aaron avait bien pu accepter pour que Charly consente à les aider ? Si cet homme était le diable, personne ne devait pactiser avec lui. Scarlet se tourna vers ce qui se rapprochait le plus d’une amie en ce monde. Maïa vivait avec eux depuis longtemps, et c’était une femme intelligente. Elle devait sûrement savoir ce qui tramait. Avant même que Scarlet n’ouvre la bouche, les yeux verts de l’humaine se tintèrent d’effroi.

« Oh non… gémit-elle. Ne me dit pas qu’il l’a fait !

— Fait quoi, au juste ?

— Est-ce qu’Aaron a laissé entendre quoi que ce soit durant l’échange ?

— Un tas de trucs à vrai dire. Il a dit qu’il acceptait quelque chose, je ne sais pas de quoi il parlait. »

Maïa se leva rapidement, tournant dans la pièce comme une dégénérée.

« Je n’arrive pas à y croire, murmura-t-elle. Quel abruti !

— Vas-tu m’expliquer, à la fin ? coupa Scarlet, agacée. »

L’humaine arrêta ses gigotements, et se planta en face d’elle.

« Je t’ai révélé comment fonctionnait cette ville, pas vrai ? Les gens font des marchés, des promesses, des vœux et des prières. Les plus mauvais pactisent avec les meilleurs, pour assurer leurs richesses et leur prospérité. Lorsque Aaron est allé demander de l’aide à Charly pour retrouver sa sœur, celui-ci à refusé son argent, prétextant qu’un service suffirait. »

Elle lâcha un rire bref, amer.

« Il aurait dû lui donner de l’argent.

— Viens-en au fait, s’impatienta Scarlet.

— Charly a toujours convoité cet immeuble, bien avant même que Darrel ne l’achète. Pour apaiser les tensions, il a promis qu’à sa mort il lui reviendrait en héritage, mais à la place, c’est Aaron qui l’a récupéré. Ça ne lui a pas plu du tout. Alors, lorsque le jeune et innocent neveu Haussman s’est pointé dans l’entre des chasseurs de tête, Charly a manœuvré pour qu’il lui soit redevable, et ce sans dépenser un seul sou.

— D’accord, donc si je comprends bien, en échange de sa sœur, Aaron doit lui donner son immeuble. Mais Nephtys est morte, pas vrai ?

— Oui, c’est pour ça qu’il a refusé. Seulement, même si elle n’est plus de ce monde, il devait payer ses hommes pour les recherches. Donc, il a proposé un échange. Cet immeuble contre son business.

— Ça n’a plus aucun sens, rétorqua Scarlet. Pourquoi lâcherait-il les chasseurs de primes contre cet endroit désaffecté ?

— On n’a pas tout compris non plus, au tout début. Puis, j’ai remarqué que depuis quelques années, ils ne faisaient plus autant fortune. Les dettes ont dû s’accumuler, entre ceux qui ne pouvaient pas payer et ceux qui quittaient la ville. Renvoyer sans explications des hommes dévoués créerait une rébellion, Charly serait vite mis à découvert et décapité pour sa lâcheté. Donc, le meilleur moyen pour lui de tirer sa révérence et de s’accorder une retraite sur des lauriers est de refourguer tout ça à quelqu’un, de garder ses hommes pour s’assurer protection, et de rénover un vieil immeuble en plein essor pour continuer à s’assurer fortune. »

Ça paraissait logique. Un homme comme lui avait forcément tout planifié, mais si Aaron avait connaissance de ce qui tramait, comment avait-il pu être assez stupide pour accepter ce marché ?

« Il a fait ça pour moi… » murmura Scarlet, ne sachant si c’était stupide ou émouvant.

Maïa se mit à rire, coupant la scène dramatique qui prenait place dans son esprit.

« Je ne veux pas paraître méchante, mais je ne crois pas que ce soit la raison qui l’ait poussé à dire oui.

— Alors qu’est-ce qui lui est passé par la tête ?

— Il est seul à pouvoir répondre à cette question. »

Sans demander son reste, elle s’échappa à grand pas de la chambre. Scarlet hésita à la suivre, mais s’y résigna. Si quelque chose de pire se tramait là-dessous, elle voulait être mise au courant.

Aaron, en pleine conversation avec Mouse, lui-même le nez fourré dans un amas de papiers, se retourna en apercevant les deux jeunes femmes demander après lui. Un soupire s’échappa de ses lèvres, et il s’excusa auprès de son second pour leur accorder une minute. Il prit soin de refermer la porte derrière lui.

« Qu’est-ce que vous fichez là ? interrogea-t-il.

— Il faut que j’en sois certaine, répondit Maïa, est-ce que le gars qui est venu la dernière fois au Q.G. est un des sbires de Charly ? »

Il se mordit la lèvre, hésitant, puis céda :

« Ce n’était pas le seul. Ça fait des mois qu’il nous envoie ses hommes pour me faire plier, et j’ai toujours fait ne sorte que vous ne soyez pas au courant de ce qui se passait. J’ai reçu des lettres, des colis empoisonnés, des prostituées envoyées pour tuer nos membres.

— C’est pour ça que t’as essayé de me tuer quand je suis arrivée ? s’étonna Scarlet.

— Habituellement, on évite que quiconque traverse notre territoire, mais dans les faits, ce n’était effectivement pas le meilleur moment.

— Ça n’explique toujours pas pourquoi tu as capitulé face à lui, reprit Maïa. On aurait su comment gérer toute cette merde.

— Je sais, mais j’ai discuté avec ton frère. C’est lui qui reprendra les rênes des chasseurs. Pendant qu’il s’occupera de récupérer de l’argent là-bas, je trouverais un moyen de buter cet enfoiré.

— C’est n’importe quoi, s’exaspéra l’humaine. On va crouler sous les dettes et on aura plus aucun moyen de se protéger. Ton oncle a toujours fait en sorte qu’on puisse vivre convenablement ici, et tu vas tout foutre en l’air !

— Ce n’est pas aussi simple ! vociféra Aaron. On ne peut pas attendre que quelqu’un meure pour trouver une solution. J’ai fait des conneries, je vais les rattraper. Contente-toi de me faire confiance. »

Sous la colère, Maïa partit en trombe à l’étage et claqua la porte de sa chambre. Seule avec lui, Scarlet suggéra :

« Je peux toujours le brûler vif. »

Il esquissa un sourire.

« Mort ou vif, Charly a des hommes derrière lui, sans compter quelques clients qui font encore quelque fois appel à lui. S’il n’est plus là, ils vont tous te chasser jusqu’à ce que tu sois torturée par vengeance. »

Il avait raison. Quelque part, bien qu’elle fût persuadée qu’elle pouvait trouver un moyen de faire appel au feu pour lui venir en aide et réduire toute une ville en cendres, elle ne connaissait pas encore assez ses ennemis pour s’y risquer. Qui sait quelles étaient leurs armes et leurs moyens de défense. Puis, il était encore trop tôt. D’abord, il fallait qu’il retrouve Halia et Garett. Ensuite, elle ferait en sorte qu’il soit dévoré par les flammes. Parce qu’elle le savait : tôt ou tard, Charly lui demanderait aussi un service. Seulement, elle se fit la promesse qu’elle ne le laisserait jamais vivant assez longtemps pour prononcer sa requête.

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