Chapitre 37 :
Dès que j’avais vu l’expression de Lucas, je sus qu’il s’était passé quelque chose de plus ou moins grave. Il n’avait d’ailleurs pas tenté de me le cacher et m’avait tout expliquée. Je savais que je pouvais lui faire totalement confiance, et je l’avais cru lorsqu’il m’avait dit qu’il devait réfléchir pour m’échapper de cela. Je me demandais comme je pouvais faire pour mériter autant de gentillesse de sa part, et je ne trouvais aucune raison à cela : je l’avais repoussé et à cause de moi il aurait pu mourir. Je me sentais vraiment comme la dernière personne utile et méritante sur Terre. Comment pouvait-il m’aimer alors que je ne lui donnais absolument rien en retour ? Il était juste extraordinaire cet homme. Je l’aimais bien. Mais malgré tout, j’avais quand même tenté d’envoyer un message à Nathan mais les tentatives demeuraient infructueuses.
Je me réveillai vers neuf heures du matin. Je tenais à voir comment allait Pola aujourd’hui et Lucas voulait absolument m’accompagner pour mieux surveiller les alentours même si nous retrouver tous les trois dans la même pièce n’était peut-être pas une riche idée. Aux dernières nouvelles, mon amie avait toujours des vues sur Lucas… je ne savais pas si depuis elle s’était calmée. Linda avait tiré définitivement un trait sur cela et se concentrait exclusivement à sa relation avec Maëlle, et j’étais contente pour elle. Sauf que pour Pola, elle n’avait pas d’autre personne à qui s’accrocher. J’appréhendais légèrement sa réaction.
Juste après avoir éteins mon réveil, je reçus un appel. Un appel de Nathan. Je laissai sonner un moment en me demandant si je devais vraiment répondre. Pourquoi est-ce que je tentais de l’appeler déjà ? Je finis par décrocher en restant silencieuse au début, mais le problème, c’était qu’il l’était également.
— Tu m’as appelée, constatai-je amère. Je pensais que tu ne voulais plus entendre parler de moi…
— Je n’ai jamais dit cela, contesta-t-il d’une voix dure. Je voulais te parler.
— Me parler ? De quoi exactement ?
— De nous, mais de toi surtout.
— De moi ? Je ne sais pas… J’aimerais prendre du recul, Nathan. Je n’ai pas aimé la façon dont tu t’es comporté la dernière fois en débarquant chez mon frère pour me hurler dessus et pour avoir été à deux doigts de le faire contre Lucas. Tu n’avais pas besoin de faire cela. Ce n’était pas comme cela que tu pouvais régler les choses.
— Je te laisserai le temps qu’il faut pour réfléchir, promit-il. Mais je voudrais vraiment te parler, en face à face, et pas par téléphone.
— Bon, soufflai-je en baissant les yeux. OK, demain, quinze heures, non négociable. Mais je te préviens, si tu ne te tiens pas à carreaux, si tu ne réprimes pas ta haine et que tu exploses face à Lucas car il sera sûrement là, je te vire de la maison. Compris ?
— Oui, c’est très clair, fit-il la voix rouillée.
On raccrochait quasiment en même temps… quel timing ! Cette discussion me laissa bizarre. Pas un seul mot sympathique, ni aucune autre sensation de ce style. Je savais bien que l’on était séparé, mais de passer à une telle extrémité ! Même de mon côté, j’étais restée attristée par cette rupture, puis j’étais passée à la colère. Un peu rapidement peut-être. En colère contre Nathan, avant tout pour moi, car il m’avait laissé tombée mais aussi par son comportement envers moi et aussi Lucas qui n’avait strictement rien à se reprocher. Comme quoi, la rupture ne profitait pas toujours à celui qui le décidait. J’en avais la preuve !
Je laissai mon portable de côté et sortis de mon lit pour manger. Cette fois je m’étais levée trop tard et Lucas était déjà en train de préparer le petit déjeuner. Il avait tout sorti, et tout était quasiment terminé. Cela changeait bien de la colocation, à part quand tu étais malade, personne n’aurait eu l’idée de préparer le petit-déjeuner pour tout le monde sauf dans un élan de générosité extrême qui se faisait rare.
— Cela va ? demanda-t-il en se retournant.
— Oui je… Nathan voulait parler, il viendra demain à quinze heures. Je voulais te prévenir au cas où tu ne souhaiterais pas le voir, ce que je comprends totalement. Je ne voulais juste pas te faire subir cela ou l’attitude de Nathan qui, je ne sais pas comment elle sera. Je…
— C’est OK Laurianne. Vous devez vraiment parler tous les deux. C’est nécessaire.
— Je ne sais pas si j’aurais dû… je ne sais même pas si je suis capable de lui pardonner.
— Lui pardonner quoi ? De t’avoir quittée ? Sans vouloir te vexer, tu as déjà réussi une fois.
— Oui, une fois, mais deux, je ne sais pas, admis-je. Puis, là c’est différent. Il reste quand même dans mon entourage. Il a un comportement envers moi, et envers toi aussi d’ailleurs et je ne le cautionne pas…
— Oui, bon là tu blablates. Qu’est-ce qui te tracasse dans le fond ?
— Je suis fautive sur toute la ligne, soupirai-je. Si on en est arrivé c’est parce que je ne lui ai pas dit que je t’avais vu et que j’étais en danger. Aussi parce que je doutais de moi… enfin de mes sentiments plutôt ! Je lui ai donné tellement de raisons de me quitter et il me donne des raisons pour ne pas savoir si je veux vraiment retourner avec lui alors que c’était déjà flou dans ma tête. J’aurais dû prendre les devants et lui parler de mes hésitations pour qu’il comprenne mon break sans que tout vienne de lui. Au final, il ne me perd pas encore plus mais je ne sais toujours pas quelle décision prendre. Ni si cela sera la bonne…
— Je ne crois pas qu’il y ait une bonne décision, déclara Lucas. Quoi que tu choisisses, il y aura forcément des conséquences que tu aurais préféré éviter. Mais il y en aura quoi que tu choisisses. Pour avoir vécu ce genre de situations, je te l’assure. Ce que tu dois faire, c’est prendre ce qui est le meilleur pour toi.
— Pourquoi est-ce que tu es si gentil avec moi ? Es-tu conscient que malgré tout je serais peut-être capable de retourner avec Nathan ? Je pensais que tu voulais être avec moi…
— Bien-sûr que j’adorais être avec toi, souffla Lucas en rougissant. Mais ce qui m’importe le plus, c’est que tu sois heureuse. Quoi que tu choisisses, même si ce ne sera pas moi.
Je sentais quand même dans sa voix que les derniers mots lui étaient difficiles à prononcer. Quand je pensais qu’au début, quand je l’avais connu, ce n’était qu’un dragueur qui passait de fille en fille comme Linda… comme quoi, il pouvait y avoir des façades bien cachées chez certaines personnes. Lucas en faisait partie, et je ne connaissais sûrement pas toutes ses facettes. Je m’approchai et le serrai dans mes bras en le remerciant.
+++
Lorsque l’on arriva dans l’immeuble de Pola, je fus soulagée de voir que la vieille dame qui guettait tout le temps ne soit pas là. Après ce que j’avais pu lui dire en plus… Lucas non plus ne semblait pas l’apprécier grandement, comme quoi, les avis ne divergeaient jamais sur elle. On montait rapidement devant chez Pola et enlevait nos casquettes et nos lunettes de soleils. On espérait ne pas être reconnus comme cela dans la rue. Je me demandais si c’était la meilleure solution, mais on n’avait pas vraiment le choix, il n’y en avait pas d’autres. Pola ouvrit la porte et me sauta littéralement dans les bras. À cette période, un câlin ne me faisait vraiment pas de mal. Elle s’écria lorsqu’elle aperçut Lucas avant de faire de même et de le serrer si fort qu’il me regardait avec un regard qui voulait dire : ‘‘Je t’avais dit de tenter de lui faire comprendre qu’elle ne m’intéressait pas’’. J’étais désolée pour lui, mais je n’avais pas vraiment eu le temps ces derniers jours. On rentra dans l’appartement mais on décida de rester debout même si Pola nous proposait de s’asseoir. Alors que j’allais demander des nouvelles à mon amie, elle me devança :
— J’ai appris pour toi et Nathan, encore une fois. Comment ça va ?
— Eh bien… ce sont des choses qui arrivent, dis-je amèrement. Comme tu l’as dit, c’est loin d’être la première fois, que les séparations soient longues ou courtes. Donc, je pense qu’on a tous les deux l’habitude avec le temps.
— Cela a l’air d’être aussi sérieux que le jour où il est parti, remarqua-t-elle.
Je hochai la tête, sa remarque, m’ayant bien déprimé tout de même. Elle m’adressa un sourire triste avant de me reprendre dans ses bras. Je ne réagissais même plus et je m’excusai dans ma tête envers Lucas qui devait être un peu gêné de se retrouver au milieu d’une conversation comme cela entre amies de longue date alors qu’il ne nous connaissait pas depuis longtemps. Puis, cela avait toujours été à Pola que je parlais le plus de mes problèmes, de couple ou non d’ailleurs. Elle avait ce rôle en elle, et c’était vice-versa la même chose.
— Je savais que vous vous connaissiez tous les deux, mais je ne pensais pas que je vous verrais ensemble ! Comment cela se fait-il que vous débarquiez ensemble pour me voir ?
— J’habite chez mon frère, et comme Lucas devait s’éloigner de ses parents pendant un moment, je lui ai proposé de rester quelques jours, déclarai-je.
Je ne pouvais pas parler du monde des gangs à Pola. Sa place n’était pas dans ce milieu, et même si elle le devait être un jour, ce n’était pas le bon moment pour elle. Certes elle allait un peu mieux, mais je ne savais pas si elle serait prête à encaisser. Surtout avec ses vues sur Lucas. En même temps, peut-être que cela la dissuaderait de sortir avec lui et qu’il se sentirait mieux. Je ne préférais pas risquer.
— Attendez… ne me dites pas que vous êtes en couple ! s’écria-t-elle alors que je fermais les yeux en soupirant.
— Non, répondit Lucas à ma place. Tu vois, je pense que Laurianne a surtout besoin de temps et d’espace en ce moment. Cela ne serait pas une riche idée pour l’instant.
Je remarquai bien dans sa voix que cela le coûtait un peu de dire cela même s’il me répétait qu’il était prêt à attendre. J’étais peut-être bien en train de martyriser son pauvre petit cœur même s’il ne le disait pas et qu’il préférait me faire passer d’abord. Je m’en voulais, mais le pire c’était que ce n’était pas nouveau cela. Pola semblait soulagée par cette nouvelle et son regard me faisait bien comprendre une chose : ‘‘s’il y a quelque chose qui se passe entre vous, dis-le-moi’’. Même si je me confiais facilement à elle, pour cette situation, cela ne me paraissait pas aussi simple. Je ne voulais pas la blesser non plus même s’il fallait m’ajouter dans l’équation… c’était compliqué la vie d’adulte, je ne pouvais pas retourner à mes années de primaires où tout allait bien ! Tous les trois, on discuta un moment. On ne voulait pas trop s’éterniser non plus. Pola nous informa qu’elle s’était excusée auprès de son ex-belle-famille et que cela allait mieux même si elle avait dû mal à voir Mallo et Dylan ensembles. Ce qui était totalement normal. Je la remarquai nous observer, moi et Lucas pour voir exactement le genre de notre relation. J’étais quand même heureuse de la voir et cela me rassurait énormément qu’elle aille mieux car elle ne méritait pas de se sentir mal. Lucas, lui, essayait de se faire le plus discret possible, n’étant clairement pas à l’aise. Même si les regards de Pola nous gênait, nous étions rassurés qu’elle aille mieux. Elle remontait doucement la pente, et j’espérais que cela continue ainsi.
+++
Avec Lucas, on réfléchissait déjà avant que Maëlle et Linda arrivent chez mon frère. Puis quand elles arrivèrent, on s’installa tranquillement dans le salon, sur le canapé même si l’heure était grave. On resta d’ailleurs un moment avachie sans rien dire. Soit perdu dans nos contemplations, soit perdu dans nos pensées. C’était idiot de notre part, je l’avoue.
— Quelqu’un a une idée ? questionna enfin Lucas qui se redressait sérieusement.
— Il n’y a pas trente-six mille solutions même si on doit se creuser le ciboulot, rétorqua sa petite-sœur en l’imitant. Soit il faut cacher Laurianne, ou qu’elle parte très loin. Ce qui n’est, franchement pas cool et logique. Soit il faut mettre David hors d’état de nuire. C’est la seule autre option.
— On ne le tuera pas, balança Lucas en secouant la tête. Je refuse qu’on s’abaisse à commettre un crime, même si c’est pour quelque chose d’important… on serait incapable de vivre avec cela sur la confiance en plus !
— A-t-il des relations tendues avec d’autres personnes dans votre gang ? me renseignai-je en restant affalée.
— Je ne sais pas, avoua Lucas. À part avec Jimmy. Ils s’entendent bien, mais David lui a demandé de tuer son frère. Et même si leur relation n’est pas au beau fixe, il s’y refuse même s’il ne l’a pas dit à David. Il a eut raison de faire cela, il aurait pu avoir plus de problèmes qu’il en a déjà…
— Attends ! Jimmy est censé tuer Nathan ? s’effara Maëlle alors que Lucas secouait déjà la tête.
Bon… dans le genre personne en danger de mort, je n’étais pas la seule à l’être ! Cela aurait pu faire de nous un couple maudit avec si on l’était.
— Si on trouve des hommes pour, on pourrait séquestrer David pour le forcer à arrêter la guerre et les menaces sur Laurianne et Nathan, proposa Linda.
— Je ne sais pas si cela pourrait être aussi simple que cela. David est coriace, répliqua Lucas.
Mon téléphone sonna plusieurs fois avant que je me lève pour aller voir. C’était un numéro inconnu. Cela m’arrivait souvent de raccrocher au nez, mais je ne le fis pas. Sûrement parce que je n’avais aucune proposition à faire et que cela m’arrangeait un peu d’être occupée. Je décrochai donc.
— Laurianne, commença-t-on.
— Jimmy, fis-je. C’est toi ?
— Attends tu parles à Jimmy ! hurla Linda en se retournant.
— Je crois que j’ai besoin de parler, souffla-t-il alors que je fis signe à Linda de se taire.
Je changeai de pièce pour ne pas être dérangée et m’enfermai dans la chambre de mon frère.
— Qu’est-ce qui se passe ? Lucas m’a dit ce que votre chef t’a demandé de faire.
— Je ne peux pas faire cela Laurianne, murmura-t-il. Et je ne sais pas comment je peux me sortir de là. Si je ne le fais pas, David serait prêt à nous tuer tous les trois. Toi, moi et Nathan. Cela fait des années que je n’ai pas vu mon père et je ne peux que deviner dans quel état il finirait. Cela serait trop injuste qu’il perde deux fils en même temps ! Je sais que tu ne peux pas m’aider mais je devais tout déballer. Je suis désolé…
— Non… tu as eu raison de faire cela. Est-ce que tu peux venir, là tout de suite ?
— Non, je travaille bientôt.
— OK… viens demain, chez mon frère. Lucas ou Maëlle t’indiquera l’heure et l’endroit. On t’expliquera là-bas… d’accord ?
— D’accord. Merci Laurianne. Merci de m’écouter.
— Je t’en pris. Si tu as besoin de te confier, appelle-moi dès que tu peux. Cela fait toujours du bien.
— On doit cesser cette guerre des gangs.
— On le fera, promis-je sans trop y croire.
Était-ce vraiment possible d’arranger tout cela ?
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