L'introduction
Depuis les premiers récits contés par l’humanité, la Nature et la Culture se sont entremêlés, ces deux notions ont été sans cesse questionnées et nous nous sommes demandés quelles étaient les limites, les similitudes et les différences entre l’homme et l’animal. Nous pouvons penser, pour cela, de la relation entre Gilgamesh et Enkidu dans l’Épopée de Gilgamesh, mais nous pouvons penser aussi à l’Odyssée d’Homère, qui questionne sans cesse ces notions. Ainsi, ces questions (et réponses) évoluèrent avec les différentes sociétés et ces notions furent grandement présentes lors du siècle des Lumières, le XVIIIème, lors d’une grande remise en cause des dogmes, lors d’une expansion du monde du point de vue de l’Europe avec des îles comme Tahiti, lors d’un chamboulement dans la vision de l’autre…
C’est aussi pendant cette période qu’il y eut une grande utilisation des utopies, un terme inventé par Thomas More en 1516 dans son ouvrage Utopia (pouvant être traduit par « en aucun lieu ») désignant un endroit idéal au niveau moral, religieux, politique, et caetera… Les utopies étaient ainsi grandement utilisées lors de cette période comme idéal mais aussi et surtout comme un objet critique de la société dans laquelle vivait l’auteur et le philosophe, comme un moyen de faire passer des idées, des réflexions, des rêves. Nous pouvons alors penser à cette utopie que fut celle de Tahiti, à l’époque, à cet idéal de revenir proche de la nature, comme chez Rousseau, pour qui « l’homme est naturellement bon ».
Mais une utopie est toujours relative à la personne qui l’écrit et la décrit. Cela fait que toute utopie est alors critiquable et, comme le remarque Keith Booker, professeur à l’université d’Arkansas et essayiste, en 1994, dans Dystopian Literature: A Theory and Research Guide : « l’utopie de l’un est l’anti-utopie de l’autre ». Ainsi, toute utopie amène sa satire ainsi que son contraire : la contre-utopie, donc une critique de l’utopie, une utopie à première vue mais beaucoup plus sombre, donnant une critique de celle-ci, se cachant même en elle, pouvant être la société dans laquelle vit l’auteur (puisque l’utopie est un instrument critique) ; et la dystopie, l’inverse total de l’utopie, l’inverse de l’idéal, du rêve. Les deux décrivent ainsi un lieu fictif, une société pire que la nôtre, montrant une animalisation de l’homme, une déshumanisation, ou bien une humanité bien trop ordonnée, bien trop humaine, tellement humaine qu’elle en devient déshumanisée aussi.
La dystopie, ainsi, est aussi ancienne que l’utopie, non au niveau du terme (celui de dystopia naissant bien plus tard, grâce à un discours de John Stuart Mill en 1868) mais au niveau des lieux imaginés et des idées. Nous pouvons, en effet, trouver un exemple des deux chez Dante lorsque celui-ci écrit l’utopie qu’est le Paradis et la dystopie qu’est l’Enfer. Mais nous pouvons aussi voir une utilisation de la dystopie chez Rabelais, dans son Quart Livre, avec l’île des Papimanes, mais aussi, au siècle suivant, chez Joseph Hall (Mundus Alter et Idem) ainsi que chez Savinien Cyrano de Bergerac (L’Autre Monde), ce dernier questionnant les notions de Nature et de Culture avec les hommes-bêtes de la Lune ainsi que les Oiseaux du Soleil.
Tout ceci nous amène donc au siècle suivant, celui des Lumières, dans lequel naquirent plusieurs utopies questionnant les liens entre les notions de Nature et de Culture mais aussi dans lequel naquirent des critiques de l’utopie, des contre-utopies ainsi que ce que nous appelons aujourd’hui des dystopies, celles-ci questionnant aussi les même notion.
Nous tenterons alors de voir de quelle façon ces deux notions sont questionnées dans ces œuvres. Nous définirons d’abord la place que tinrent la contre-utopie et de la dystopie au XVIIIème siècle avant de traiter de la Fable des Abeilles de Mandeville puis des Voyages de Gulliver de Swift. Enfin, nous verrons le cas de l’écrivain Sade et de deux de ses dystopies : le Royaume de Butua et l’École du libertinage.
C’est ainsi cela qui nous intéressera ici :
Quand le Paradis devient un Enfer.
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