Chapitre 13 - Un traité de retraités

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*Bartavius

Assurément, je ne m'ennuie jamais avec lui ! Au pinacle de son amusement, ou étonnement, mais il ne saurait le dire, il observait le visage de Synnaï se changer en pierre face à cette révélation on-ne-plus inattendue ; Sharivari, le Fléau des Millonériens, le Guérisseur de la Main Rouge, et portant bien d'autres noms légendaires. Un visage creusé par l'âge et la sagesse, ou bien par la maladie au vu des tâches sombres éparses sur sa peau ? Mais le plus important, c'était que ce mage d'antan avait vécu à l'époque où le merveilleux élève de Bartavius était né. Ce qui lui fait, disons… 37 765 ans ? calcula-t-il distraitement dans sa tête.

— Eh bien, où sont mes manières ! fit Sharivari en se tournant vers lui et Béryl. Je suis l'Archimage Sharivari, mais j'imagine que vous savez déjà qui je suis…

— C'est assez difficile d'imaginer l'identité d'un mort – Synnaï avait enfin réagi, se frottant la nuque – Vous devenez quoi depuis le temps ?

— J'ai changé de localisation, et de vie par la même occasion, répondit l'archimage en ignorant Bartavius et Béryl. Il n'a d'yeux que pour lui, c'est suspect, pensa le premier. Je me suis reconverti à la vente d'immobilier ; savais-tu qu'on peut placer en garantie des objets que l'on ne possède même pas ? C'est fabuleux !

— Nous ne sommes pas là pour parler investissement (Béryl tendit sa main avec un geste sec) Béryl Kott.

Sharivari scruta la main présentée avec une moue d'hésitation, avant de l'agripper fermement. Et l'air changea ; la vibration auparavant fébrile se tonifia en un diapason inquiétant, l'Aura de l'archimage gonfla d'une puanteur de rat mort, faisant hausser les narines de Bartavius. Synnaï l'avait bien sûr remarqué, et s'avança avec un air menaçant :

— Arrêtez-ça tout de sui…

— Si je gagne ce duel, vous promettez d'écouter notre demande ?

Bartavius faillit lâcher un gloussement de surprise extatique, et Yannis stoppa son approche ; le visage de Béryl, tendu sous l'effort, avait prononcé ces paroles avec une telle détermination que si des flammes auraient jailli de sa bouche, le mournien n'aurait pas été étonné.

Sharivari sourit de ses dents écartées et jaunes telles la chair d'une pomme bien oxydée, et opina. Bartavius sentit la magie pulser à ses oreilles dans un rythme nauséeux et ébranlé. Scandant quelques formules de protection au vu d'un éventuel accident, l'instinct de Bartavius lui intimait de se faire la malle.

Sa curiosité, dévorante au toujours, le poussait à étudier cet affrontement jusqu'à son apogée.

Il dura exactement huit minutes, quarante-sept secondes et dix-huit centièmes. Et aucun des deux ne faillit ou ne tourna de l’œil ; le bras de fer magique s'arrêta brusquement, l'atmosphère lourde redevint normale et Sharivari éclata de rire :

— Et moi qui pensait qu'une humaine n'aurait rien à vendre !

— J'ai un nom, si je puis me permettre.

— Mille excuses, Mme Kott. Et comme promis, je suis à votre écoute.

Béryl lança un bref regard entendu à Synnaï, puis à Bartavius, qu'il pouvait traduire en un : « Je me suis débrouillé pour désamorcer le conflit, alors faites pas tout capoter. » ou quelque chose qui y ressemblait. Elle commença :

— Vous êtes conscient que vous vous trouvez sur un site protégé de la SEA ?

— Oui, je l'avoue.

— Bien – elle sortit de sa mallette une chemise bleue – J'ai ici les documents nécessaires concernant l'Accord de l'Or Bleu quant aux situations de résidence étrangère. Et j'imagine que vous comprenez pourquoi ils ne sont plus valables ?

— Oui, Mourn, quelle tragédie… Ah, qu'aurais-je aimé voir une dernière fois les Montagnes de Tyrminie sous le soleil couchant !

— Je suis navré de la perte de votre ancien foyer. La SEA a donc revu les traités pour que vous puissiez rester dans la manoir. Mais avant de nous consacrer aux lectures et signatures, j'aurais quelques questions à vous poser.

— Allons discuter autour d'un thé, si vous le voulez bien.

Béryl sembla hésiter un instant, et Bartavius coula son regard vers Synnaï ; il était tendu comme une corde d'arc, le regard tourné vers l'escalier. Intrigué, Bartavius étendit mollement son aura comme un longue appendice pour fouiller l'étage, et il trouva ce qu'il cherchait ; plusieurs… quatre personnes étaient présentes à l'étage. Leurs auras bouillonnaient avec une telle violence qu'on ne pouvait douter de leur état d'esprit. Ils attendent un signal, se dit-il en souriant.

Ils passèrent à travers les couloirs pour rejoindre un salon poussiéreux aux canapés rouges et élimés. Un feu bleu ronflait dans l'âtre, alimenté par la magie du lieu pour libérer l'énergie thermique optimale. Ils s'assirent sur un canapé et Sharivari sur un fauteuil en face, ce dernier fit un geste de l'annulaire, et un service de thé aux tasses fumantes apparut sur la table entre eux. Les tasses décollèrent ensuite pour flotter jusqu'à leurs mains.

Bartavius engloutit la tasse de Runes invisibles, les formules inévidentes de la mathématique supérieure, pour sceller toute forme de poison. Il suivit du geste le vieux mournien et but ; un Cheschire au jasmin, un très bon choix, rare qui plus est. L'ancien directeur n'était pas un amateur de thé, mais en boire un aussi bon lui apporta le réconfort nécessaire pour affronter ce dur entretien.

Ces deux joyaux firent l'erreur de faire de même, et burent une gorgée. Dès lors, Bartavius remarqua l'étincelle allumée dans le regard chassieux en face d'eux, et le sourire léger caché derrière la tasse. Ils posèrent leurs tasses dans leurs assiettes, et le Fléau de la Main Rouge planta la première graine :

— Délicieux ce thé, n'est-ce pas ?

— Plutôt fade, répondit Synnaï avec un ton dégoûté.

— J'adore ! s'exclama Béryl, une expression étonnée sur le visage.

Ils se tournèrent l'un vers l'autre, surpris du phénomène. Et Sharivari se tourna vers Bartavius, qui, d'une voix posée, ajouta :

— Exquis.

Les yeux traversés de veines colorées s'étrécirent, qui furent la dernière ligne de calcul au modèle, dévoilant la réponse : une tasse de thé, tout à fait bénigne… Avec une dose non mortelle de Safakal, on pouvait droguer le cerveau pour désactiver certaines zones, notamment celles qui permettent de mentir. Le dosage était extrêmement délicat, et dans le pire des cas, les effets secondaires allaient d'une totale disparition des inhibitions, ou une dégénérescence cérébrale.

Mais la Nature de Bartavius lui permettait de façonner des Runes sans avoir besoin d'y réfléchir et de les écrire au préalable, permettant une palette de sortilèges quasi-infinie pour n'importe quelle situation. Et aujourd'hui, son pouvoir lui avait octroyé une immunité au poison du Safakal. Sharivari avait dû comprendre qu'il avait déjoué son petit stratagème, mais le plus amusant, c'est qu'il ne savait pas comment.

Synnaï lâcha une injure, et Béryl se couvrit la bouche, avant de prendre un air furieux :

— Vous pensez sérieusement que l'on peut discuter de façon diplomatique si vous nous forcez la main ?

— Et si je le réduisais en cendres ? gronda Synnaï, ses yeux s'enflammant brièvement.

— Ne nous énervons pas pour une telle trivialité (il tourna sa tête vers Bartavius, qui l'ignora pour s'adresser directement à Sharivari) J'imagine que c'était une forme d'amusement de votre part ? Les racines de Safakal ne durent pas très longtemps.

— Oh, alors vous avez deviné ! Je suis impressionné… Votre nom ?

— Lenistoler. Bartavius Lenistoler. J'étais le dernier directeur de l'Académie du Typhus en lice.

— Lenistoler… Oui, je me souviens de cette famille ; « toujours opportuniste, jamais empathique », n'était-ce pas leur devise ?

Le concerné tiqua ; personne n'avait parlé de sa famille depuis des lustres, et surtout pas de cette manière. La vraie devise était par contre : « Nul poids mort ne sera toléré, nulle chemin ne se saura oublié », mais l'idée générale était la même, et malgré son indestructible envie de s'écarter du giron familial, le benjamin avait construit ses défenses sur cet adage.

— L'important est surtout de savoir si vous êtes en mesure de négocier ou non.

— Je ne pense guère avoir le choix ; dans le cas d'un refus, les forces humaines et néo-magiques déferleraient ici pour me neutraliser de quelconque façon.

— Ce n'est pas vrai ! (Tous se tournèrent vers Béryl, qui avait prit une voix furibonde) Ne traitez pas les humains comme des sauvages assoiffés de sang !

— C'est ce que vous êtes !

— C'est ce que nous étions ! (Elle se tourna vers Synnaï, qui acquiesça doucement) Notre population s'est certes accrue ces deux derniers centenaires, in fine la criminalité et les guerres entre territoires et peuples, mais en général, nous avons atteint un niveau de vie, de culture et de rélfexion philosophie bien égal aux mourniens. Alors traitons-nous en égaux au lieu de nous regarder de haut !

— Y a pas à dire, t'es super engagée, gloussa Synnaï, toujours sous l'effet de la racine.

— Je veux faire entendre raison à ce connard ! Oups ! (Elle se couvrit la bouche de stupeur)

Sharivari pouffa et confia à Bartavius :

— J'adore les humains ; ils sont d'une fougue !

— Ce ne sont pas de chevaux, mais je vous rejoins sur votre idée, confia l'autre avec un sourire.

Synnaï se tourna aussi vivement qu'une girouette, sentant probablement la « puanteur des ennuis », comme il l'aimait l'appeler.

— Fermez les clapets de vos messes basses, j'arrive plus à m'entendre penser. Et d'ailleurs, quand est-ce que vous vous décidez ? J'aime pas la concentration kirrosique de cet endroit.

Ploc.

* * *

Béryl entendit une goutte tomber, et tourna la tête.

Surprise au préalable, elle se concentra pour tenter d'exercer son audition magique. Ce n'était pas seulement pour ses compétences scientifiques qu'on l'avait engagé, mais également parce son statut s'apparentait à un patient d’hôpital. Quelques mois après l'apparition, des remous magiques s'étaient éparpillés dans le monde entier depuis Néo-mourn, à la façon de nuages radioactifs. Seulement, ils étaient une souris dans le gruyère matériel qu'était la Terre, et avaient atteint les terriens pour les « infecter ».

Et l'état de Béryl avait empiré le jour où le son d'un bébé pleurant à l'autre bout de la ville lui était parvenue. Puis, les milliers de paroles, de respirations, de froissements qui avaient bruissé en frissonnant ses oreilles. Enfin, le désir imminent de réduire à néant toute forme de vibration qui assaillait son corps à la sensibilité d'une toile d'araignée.

Certains auraient soulevé l'idée d'un super-pouvoir. D'autres, plus réfléchis, avaient fait l'état d'un cas d'école unique, qui demandait des soins intensifs et des dispositions singulières, comme l'ajout d'un implant qui réduisait le contrecoup. Mais parfois, l'implant ne suffisait pas. Comme maintenant.

Quelqu'un préparait un sortilège. Elle en avait fait les frais ; un jour, elle était tombée à vélo sur une route de campagne, et, pas de chance, sa jambe avait enflé au point de rendre jaloux un ballon de baudruche. Heureusement, un magicien qui conduisait prudemment l'avait remarqué dans le ravin, et lui avait proposé de la soigner. L'expérience avait été douloureuse, mais c'était surtout le son qui l'avait fait souffrir ; un sifflement strident, comme une télévision allumée mais en cent fois plus fort.

Sa jambe allait mieux. Son sentiment de sécurité, moins. Elle se pencha vers Yannis pour lui murmurer :

— Tu l'as senti ?

Il la regarda un instant sans comprendre, avant d'ouvrir sa bouche de stupeur, et acquiesça discrètement. Sharivari avait remarqué leurs messes basses :

— C'est assez ironique de rembarrer quelqu'un pour une action que l'on accomplit dans la seconde suivante.

Béryl resta silencieuse ; si elle parlait, la racine de Safakal l'empêcherait de mentir. Et vu qu'elle n'osait pas demander à Bartavius la durée de son effet, sa seule balise se trouvait être le magicien le plus imprévisible. Allait-il faire sauter le bâtiment, disparaître dans une pluie de paillettes ou invoquer un esprit des temps ancien ?

— Je dois me repoudrer le nez. Où sont vos toilettes ?

Béryl faillit crier de rage face à cette intervention douteuse, mais elle comprit vite l'intention du magicien ressuscité ; lorsque Sharivari lui indiqua l'emplacement du fameux dispositif, Yannis se leva… et dans le même instant deux mages déboulèrent dans la pièce en balançant des éclairs. L'un d'entre eux fila vers elle, et Béryl n'esquissa aucun geste. Ce fut Bartavius qui la sauva en la plaquant au sol.

Ils roulèrent-boulèrent sur le côté et se relevèrent dans le mouvement, la jeune femme se releva pour dévisager les nouveaux venus, mais ils étaient masqués. Des Dardants ! Les pourparlers n'étaient donc qu'un piège…

— Vous avez mal choisi votre moment pour nous prendre par surprise, les nargua Yannis avec un mouvement de main. Venez me montrer ce que vous savez faire, les jeunes.

— Te prends pas pour un dieu ! gronda l'un d'eux avant d'incanter.

L'autre fonça droit sur Yannis en invoquant une rapière ardente, et se fendit. Il rata sa cible, qui avait porté le poids de son corps à gauche pour se baisser. L'épéiste fut accueilli par un coup de genou dans le ventre, suivi d'un violent retourné du coude entre les omoplates. Tout cela en l'espace d'une seconde.

L'incantateur hurla en mournien quelque chose comme « Vent, brisure, chaussure », et une bourrasque s'éleva dans la salle. La pression de l'air rugit pour fondre sur Yannis, le percutant de tout son poids illusoire. Ce dernier fut baladé par le vent magique à l'autre bout de la pièce, s'écrasant contre le mur sous le cri apeuré de Béryl. À côté d'elle, Bartavius la rassura :

— Il en faut plus pour l'avoir.

Un cri d'étoile éblouissant. Un rai de lumière jaillit de la poussière créée par le précédent sortilège, frappant de plein fouet l'incantateur. Il fut balancé sans ménagement au sol, sa chute accompagné d'un coup de canon puissance trois. À travers le nuage poussiéreux, une silhouette embuée de bleu jaillit à son tour, le poing armé par dessus l'épaule. Il l'abattit en guillotine.

Tandis que Béryl et Bartavius se relevaient, l'épéiste avait jeté sa rapière enchantée, visiblement inutile pour ce qui suivit : il se tendit en avant, les deux mains tenant un ballon invisible à l'inflation presque incontrôlable à l'entente des grognements d'efforts, et une sphère ardent se forma entre les deux paumes tremblantes, enfla jusqu'à atteindre la taille d'une pomme.

À la manière d'un lanceur de base-ball, le mage lança dans un cri la boule qui siffla dans l'air comme un tison dans l'eau. Yannis se retourna, écarquilla les yeux. Il cria quelque chose d'indistinct, la main tendue vers ses deux compagnons, avant de hurler :

— Merde ! Couchez-vous !

L'explosion fut brutale et nostalgique, presque égale en puissance à celle du terroriste de l'autre fois. Béryl fut projeté au travers de la fenêtre et des débris, les flammes lui léchant distraitement les poignets. Elle s'écrasa dans le jardin quelques mètres plus loin. Peu acclimatée, ses sens tressautaient entre une lumière qui ruinait ses tympans et des ténèbres sifflantes.

Elle ouvrit la bouche, mais sa voix enrouée ne fit que rappeler à quel point ses bras… Elle les regarda ; des brûlures et écorchures superficielles, ça saignait un peu, mais ce n'était pas mortel. Tout son corps lui faisait mal, elle n'osait pas bouger. Un regard à droite, à gauche… là ! Bartavius, un peu désarticulé, sur le sol à deux pas d'elle… Faites qu'il vive, sinon je suis cuite ! espérait-elle en serrant du poing.

Une autre explosion attira son attention, et deux silhouettes sortirent du nuage de fumée ; une bleue, une verte. L'autre mage pouvait se Déphaser, lui aussi. Soudain, le cerveau de Béryl clignota. Elle résista une, puis deux secondes. Ce fut tout.

* * *

Yannis se réceptionna aussi bien qu'il put, avant de constater les dégâts autour de lui ; à l'aide de ses sens magiques, il pulsa tel un sonar. Bartavius rayonnait toujours, c'était déjà ça… Et Béryl… ? Les échos lui parvinrent. Elle va bien ! Oh, merci Saintes Probabilités ! Mais l'heure n'était pas à l'hommage des mathématiques.

L'autre magicien se posa devant lui, assez lentement pour que Yannis devine qu'il utilisait des semelles Aérofugicides. Mais l'autre tituba, et son mouvement lui apprit que ses explosions étaient probablement à double tranchant.

— Tu es doué, avoua Yannis. Je peux savoir ton nom ?

— Lewis Tharakson. Souviens-t'en !

Tharakson… C'était une vieille famille pas très influente dans les contrées du Nord de Mourn. Elle avait pour devise : « le sang neuf nous affermit, mais nous avilit ». Bref, elle aimait prendre des risques mais était consciente des dangers. Bizarre qu'un de leurs membres soit autant kamikaze…

— Pourquoi tant de hargne ? continua l'hybride mournio-terrien en faisant quelques étirements.

— Tu… ne te souviens donc pas ?

Le ton qu'il avait prit attira l'attention de Yannis ; on aurait dit un mélange de colère, de dégoût et de honte.

— J'ai la mémoire courte, mentit ce dernier.

— Après toutes ses années à attendre… (Tharakson grondait tellement qu'on aurait crû qu'il avait avalé un orage) Et tu oses oublier l'affront odieux que tu as commis ?

L'ancien lycéen fouilla dans ses souvenirs. Comme à chaque fois depuis qu'il était revenu, ils lui semblaient à la fois distants et proches, comme un film que l'on aurait fait soit même et qu'on regardait projeté en salle. Il décortiqua chaque événement, passa au crible chaque situation se référant à tout ce qui avait avoir avec la famille Tharakson. Puis, son laser mental pointa un élément qui ressortait du décor.

— Ah ! Je me souviens… C'était à propos de l'accord Mokladir ?

Le fils Tharakson se tendit, et Yannis comprit qu'il avait vu juste ; l'accord en question soutenait que les tributs versés par l'Empire au Nord étaient trop élevés par rapport aux besoins de ces derniers. Et c'était Synnaï qui en était le principal instigateur, à l'époque où on l'obligeait à s'investir politiquement.

— C'est vraiment puéril de ta part… Sérieusement, nous autres mourniens sommes civilisés, et les affronts ne sont que des compromis en amont.

— Encore faudrait-il que tu sois vraiment mournien, sale traître à ta patrie !

—…Redis encore une fois que j'ai trahi ma patrie…

L'air autour de Yannis crépita, et les débris lévitèrent autour de lui. Des éclairs parcourent le long de sa peau, de la plante de ses pieds jusqu'à ses yeux pour les doter d'une lueur inquiétante.

—…et je te montrerais ce qu'est le pouvoir d'un Vrai Mage.

Lewis recula d'un pas. Il avait senti le changement de densité kirrotique, et cette fameuse « pression » créée par son Aura écrasait sûrement toute combativité. Mais non.

— Tu ne me fais pas peur, sale lâche !

Yannis soupira, et leva les yeux vers le ciel gris et larmoyant ; il aurait aimé voir le soleil ce matin, parce que le déjeuner avait été vraiment merdique. Tiens ? Il utilisait de plus en plus la façon de parler d'Ugo, ces temps-ci… J'envie les jeunes d'avoir autant de temps pour jouer aux fous.

Fulgurant.

Il fit un pas, et se retrouva juste à côté du magicien, qui hoqueta de surprise. Un regard d'acier rempli du sang que le Typhon de Typhus avait fait coulé déroba le sol sous leurs pieds. Aucune échappatoire.

— Tu as été prévenu.

L'autre voulu s'enfuir, mais entre une personne qui avait apprit le Déphasage il y a peu, et une autre qu'il l'avait parfait pendant plus de trois-mille ans… Yannis attrapa la tête du jeune mournien pour l'écraser contre le sol. Du sang gicla sur sa joue, poisseux et terne. Il le brutalisa une, puis deux, puis trois, un va-et-vient machinal.

Le coup de pied fut tellement lent à ses yeux qu'il ne daigna même pas l'éviter, se recevant la botte dans la joue. Son corps, dur comme l'hombregral, amortit le choc sans broncher, tandis que le masque brisé révélait un visage effaré, aux tâches de son et au nez épaté. Le Mage sourit en coin, se frottant l'arrière du crâne.

— Je préfère voir ton visage avant de te défigurer, c'est plus honorable, déclara-t-il en appuyant narquoisement sur le dernier mot et la nuque de son adversaire.

Qui hurla. Fort. On aurait dit un Chaziyrok qu'on égorgeait pendant les Fêtes d'Alaquantrem. Mais la résistance fut supérieure à ses attentes, et d'un geste vif, le Tharakson invoqua le Signe d'Alacrité Tendinitique, glissant de la prise de Yannis avec une vivacité digne des meilleurs lézards.

Yannis se redressa et épousseta sa manche, tout en observant le jeune homme, complètement démasqué. Sa capuche rabattue laissait échapper une toison rousse et rêche, soulignée de deux yeux indigo qui lui lançaient des éclairs. Mais cette prétendue intimidation était gâchée par le halètement du fils du Nord, aussi Yannis éclata de rire.

— Alors quoi ? On vous apprend à vous battre contre des Dobbakah, mais pas contre des mages ?

— La ferme ! répliqua le Tharakson, visiblement paniqué. Arrête de te moquer de mon peuple !

— En plus, tu me fais passer pour le méchant de l'histoire… (Yannis présenta Béryl et Bartavius, ainsi que l'autre mage aéromancien) Mais regarde ce que tu as provoqué.

Ce fut un coup d'éclat, car le visage du roux fut traversé par un éclair d'effroi. Il tomba à genoux, arrachant un tsk au Mage.

— Tu t’arroges le droit de m'insulter sur un acte dont tu ne connais ni les enjeux, ni les détours, alors que toi-même tu entraînes le Chaos ? Sachant qu'en plus la première leçon du Grand Art est : « Si vous ne la contrôlez point, ce sera à elle de le faire ».

— Tais-toi ! hurla l'autre en s'éraillant la voix.

— Pathétique et puéril… (Yannis cracha par terre) Voilà ce que des années de « civilisation » ont produit : des personnes incapables d'accomplir quoi que ce soit sans causer des problèmes plus importants que les initiaux. Tu me dis que je suis un lâche. Un fuyard, tout du moins, mais un lâche, non. Toi par contre…

— Non, arrête… commença à sangloter le Tharakson.

—…tu es la honte de ton peuple, l'acheva le Mage en le pointant du doigt.

Si on lui demandait ce qui était le plus efficace entre un sort et un coup d'épée, Yannis répondrait ni l'un ni l'autre ; un duel se gagne avant tout sur le plan mental, psychologique. Hors, la meilleure façon de détruire un adversaire, c'était de le forcer à admettre qu'il n'avait aucune raison de se battre. Ainsi, la joute verbale, les piques, la manipulation par la suggestion… Toutes ces tactiques n'avaient pour but que l'annihilation pure et simple de l'esprit. Et ce serait de la fausse modestie que dire qu'il n'était pas passé maître dans l'art.

Le mournien du Nord s'effondra, des larmes inondant son visage déformé par la révélation ; il ne servait à rien, et pire, il compromettait tout ce que ses ancêtres avaient préparé pour lui. Avec un sourire triomphant, Yannis marcha tranquillement vers lui, décidé d'en finir avec le corps après avoir réduit l'esprit à néant.

— Quel dommage que tu n'ai pas embrassé la liberté, avoua-t-il presque avec regret. Avec du temps, tu aurais compris qu'il est inutile de se soucier du passé et que seul l'avenir compte.

D'un geste et d'une parole, le Mage fit apparaître une épée simple dans sa main, et leva le bras avec toute la faveur honorable dont il pouvait faire preuve.

— Tu t'es bien battu, mais malheureusement, c'était insuffis… Bwarf ! (Yannis trébucha, comme si quelque chose l'avait percuté) Qu'est-ce que… ?

Il regarda vers sa poitrine, et constata qu'une tige métallique dépassait. Tiens, je ne me souviens pas d'avoir porté un tel bijou… Du rouge apparut sur le froid gris et brillant. Du rouge bien trop familier. Il toussa.

Une giclée plus importante. Merde ! Il tourna la tête ; l'autre mage ! Démasqué, il laissait apparaître le visage d'une jeune femme assez mignonne dans son genre, mais pas au point de vous faire tourner la tête ; brune aux cheveux courts, petit nez, petite bouche mais des yeux bleux assez grands pour éviter la répétition. Elle hurla :

— Pour les Tharakson !!!

Elle appuya plus fort dans son dos, fit jaillir plus de sang. Yannis gronda, et fit exploser son aura pour la repousser. Projetée en arrière, elle rebondit deux fois avant de percuter un rocher, la séchant sèchement. De son côté, le mournio-terrien retira lentement la rapière ; elle avait de peu manqué le cœur, mais ça faisait un mal de chien !

Son pouls accéléré, il n'avait que quelques instants avant l'hémorragie interne. Il incanta un sort de Compresse Paresse, quand une autre poussée le surprit ; le fils Tharakson s'était relevé pour lui attraper les jambes et le faire basculer en arrière. Putain de merde ! Yannis le frappa plusieurs fois pour le faire lâcher prise, avant de heurter le sol. La souffrance du choc le fit suffoquer.

L'autre ne voulait pas lâcher ! Yannis continua à l'insulter, à lui montrer que tout ceci ne rimait à rien, que son histoire était finie et enterrée… Mais l'autre ne voulait pas lâcher ! Sa prise s'affermit, l'empêchant de bouger d'un moindre centimètre. Le sort de Compresse s'élagua et disparut de ses mains, Yannis n'ayant plus assez de concentration pour en lancer un autre… Le sang coulait, il frappait, l'autre tenait…

— LÂ...CHE...MOI !!!

Chaque coup l'affaiblissait plus qu'autre chose, et Yannis finit par manquer d'oxygène. Elle a touché un poumon, la garce ! Il s'enfonça dans les ténèbres, la dernière image qu'il vit ne fut qu'un Sharivari en contre-plongée.

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