Chapitre 30 - Un monde coupé en deux
L'homme bedonnant sortit un sac poubelle de chez lui pour le balancer dans la benne.
Depuis qu'il y avait cette fichue rébellion des magiciens, les choses s'étaient dégradées ! La police et l'armée rôdait dans tous les coins, rendant difficile l'approvisionnement de l'homme en herbes et autres opiacées. Et le commerce en avait pâti ; il n'avait pas pu s'acheter le dernier modèle de tablette X-1440 !
Seulement, l'électronique était le moindre de ses soucis, puisqu'il y avait le rationnement des denrées alimentaires. Ça l'avait presque poussé à commettre un assaut sur les forces publiques… Mais il avait grincé des dents, rongé son frein et s'était retenu. Si la police faisait une perquisition dans son appartement.
Le bruit mat du sac poubelle tombant sur ses congénères, avec les cliquetis du verre et autres matériaux similaire. C'était comme ça chaque semaine depuis qu'il avait commencé la culture en intérieur. La proximité avec la route et les nombreux pots d'échappement, le temps aussi grisonnant que son père sénile, le manque cruel de soleil et d'espoir qu'un jour, un vendeur viendrait sonner à sa porte… Tout ça ! Ça le foutait sur les nerfs, ça lui faisait ronfler sa rage comme une tronçonneuse.
Il en avait marre, tellement marre…
— Mrrrwwoow ?
L'homme baissa les yeux ; à ses pieds, un chat le regardait. Il était maigre, sale et ses yeux étaient chassieux. L'homme lui donna des coups de pied, lui dit « ouste, ouste, du balai ! ». Mais le chat continuait de miauler, encore et encore… Quel enfer ! Si seulement l'homme pouvait le faire taire. N'y avait-il pas un moyen, un indice !? Tout croyant qu'il était, il implora Dieu de lui venir en aide.
En bon petit farceur, Dieu lui offrit une vision des plus banales : un barre de métal, sûrement un déchet provenant d'une salle de bain ou d'un garage.
L'homme hésita, mais ce n'était pas celle qui supposait la morale. C'était l'hésitation froide, celle qui pondérait les solutions pour mieux se servir de l'arme divine. Il finit par décider qu'il serait plus aisé de donner un bon coup à la tête ; il avait déjà fait du golf (ça servirait au moins à quelque chose). Il prit la barre, et repéra un morceau de viande (d'un burger) qui avait coulé d'un sac poubelle troué. L'homme bedonnant le prit et le posa devant le chat.
Affamé, le minou se jeta sur le morceau et le dévora. L'homme arma son bras, en posture parfaite au dessus de sa tête, et…
C|e f|ut com|me s|i l|e mo|nde s'ét|ait cou|pé e|n de|ux. S|a tê|te e|t se|s br|as tomb|èrent pa|r ter|re, d|e mê|me qu|e l|e ch|at qu|i fu|t sci|ndé e|n de|ux. L|a bar|re, l|a via|nde, l|a pou|belle… L|a ru|e, l|a rou|te, l|a vil|le ! To|ut fu|t cou|pé net, tran|ché jus|qu'à l|a pl|us fi|ne cho|se qu|i fu|t.
Puis tout revint à la normale l'instant d'après. L'homme ne hurla pas de terreur ou de surprise, car la sensation avait été aussi vive qu'une piqûre de moustique. Le chat s'enfuit en feulant. L'homme était assis sur ses fesses, dans l'eau crasseuse du jus de poubelle. Il était sonné. Comment cela était-il arrivé ? Car il savait que le monde lui-même avait été coupé en deux, mais ne savait pas ce que ça voulait dire ni pourquoi c'était arrivé !
Dans la rue, dans la ville, tous furent choqués parce qu'un événement démentiel venait de s'être produit. Et comme personne n'arrivait à expliquer ni à ressentir clairement ce qu'il s'était passé, le monde lui-même corrigea les mémoires des choses vivantes ou non pour éviter qu'il ne s'autodétruise.
* * *
Ce n'était pas une sensation inconnue. Maty avait déjà connu cela ! Son corps couvert d'une fine pellicule de sueur, elle s'était redressée d'un bon.
— Tu l'as senti, toi aussi ?
Elle se tourna vers Edward, couché à ses côtés. Inquiète, elle se recoucha en posant sa tête sur son torse et le caressa. La peau glabre, presque squameuse de son ami et amant l'apaisait.
— C'était comme dans mon premier rêve. Lorsque le Scindeur avait décidé que le monde devait tuer la mort.
— Je m'en rappelle, mais tu m'avais dis qu'il s'agissait d'un rêve absurde, puisque tuer quelque chose qui permet de tuer tout, c'était un paradoxe…
— Justement ! Et si ce paradoxe était ce qui pouvait tuer la mort ? La faire disparaître ?
— On meurt toujours, pourtant.
Elle resta silencieuse. Les rêves prophétiques étaient très nombreux et fastes, mais ils ne racontaient pas forcément quelque chose qui pouvait se dérouler dans ce monde-là. Edward lui caressa les cheveux avec un rythme ternaire, comme elle l'aimait bien.
— Ce que je veux te dire, Maty, c'est qu'il n'y a pas assez de force dans ce monde pour quelqu'un puisse le détruire.
— Et le Rituel de Réécriture Cosmique ?
— C'est une possibilité, mais ça ne détruit pas l'information ; ça la stocke en un réceptacle, qui lorsqu'il est brisé, libère l'information. Le reste, c'est juste un effet secondaire de la métadynamique.
— Tu parles comme un scientifique, bouda-t-elle.
— En termes simples, le monde agit comme un gaz dans une pièce : il cherche à occuper tout l'espace. Dès qu'il y a un vide, il le remplit.
—…et là, tu crois que c'est similaire ?
Edward bougea, obligeant Maty à se dégager. Il s'adossa contre le mur, dévoilant son buste svelte et musclé, couvert de cicatrices profondes.
— Non, ce n'est en rien pareil. C'est quelque chose de plus brutal, direct.
— De la Magie Sauvage ?
— Peut-être… (il soupira) Tu ne veux pas qu'on arrête de parler de ça ? Ça me prend l'esprit…
— D'accord.
Pour se changer les idées, elle l'invita à se détendre en lui massant les épaules. Après qu'il soit assez détendu, elle le poussa gentiment à l'embrasser sur la bouche, puis le cou. Il la couvrit de baisers qui descendirent doucement jusqu'à son sexe. Edward fut d'une prouesse sans égal, l'amenant à la jouissance avec une patience passionnée, ou une passion patiente. Elle gémit, et lorsqu'elle fut satisfaite, elle lui tapota le dos pour qu'il arrête. Il remonta jusqu'à la dévisager.
Elle le serra dans ses bras, plongea ses yeux dans son regard pourpre. La fantaisie d'une relation avec un vampire était devenue réalité. Mais la vraie saveur, elle, se trouvait dans ce regard profond dans lequel elle était enfin parvenue à en déceler les trésors.
— Dormons, dit-elle.
Il acquiesça et ferma les yeux. Après un petit moment, lorsqu'elle sentit que son souffle était régulier, elle posa sa main sur sa poitrine. Chaude et percutée d'un battement lent, sourd. Il vivait et elle ferait tout pour qu'il continue de l'être.
* * *
L'enculé magnifique ! Ludwig avait donc réussi à Scinder le monde en deux ?
Ugo, grâce à la Connaissance et au Savoir, observa les étoiles se remettre lentement de leur séparation. La blessure se refermait d'autant plus lentement qu'elle était grande. À l'échelle d'un groupe d'étoiles, l'espace s'était replacé en l'espace d'une picoseconde.
C'était largement assez pour qu'il puisse le remarquer. Ugo, néanmoins, n'avait pas ressenti les effets du Scindage. Car il était un Porteur, et les Porteurs ne pouvaient se nuire entre eux. Par contre, l'effet secondaire de cette immunité avait permis au Mathémagicien de repérer immédiatement tous les autres Porteurs ; quatre étaient sur Terre, et deux autres se trouvaient dans un espace-temps différent. Mais rien n'échappait au regard du Savoir et de la Connaissance.
— Je te tiens, grinça-t-il en voyant la signature de son vieil ami… et ennemi.
Ce sale fils de pute n'était pas dans ce monde. Et il avait aussi bien caché ses traces ; personne n'aurait pu le retrouver s'il n'y avait pas eu l'intervention de Ludwig ; Ugo le remercierait grandement en temps et en heure.
— Général ? fit Taelasin, en garde à vous derrière lui.
— Mettez le cap sur le trou noir le plus proche et synthétisez le plus d'orphéite possible.
— À vos ordres.
Peu de temps après, l'immense vaisseau de Ugo se mit en branle. La Terre était en vue, mais ce n'était pas sa destination du jour. L'espace se tordit sous l'effet de l'accélération supraluminique, les étoiles devinrent des filins de lumière. Surfer sur des vagues gravitationnelles grâce à la science, voilà un rêve qu'Ugo avait toujours voulu réaliser !
Désormais, ce n'était plus qu'une habitude. Devant la vitre renforcée, il tapota sur son clavier de commandes. Le vaisseau vibra en se transformant, libérant de son carcan des bras de métal immenses, machinerie qui ne pouvait grincer dans le vide des ténèbres. Devant le vaisseau qui s'était arrêté – toute l'énergie cinétique avait été absorbée pour le processus de synthétisation d'orbéite – un trou noir de la taille d'une pomme était là, déchirant l'espace de sa force démentielle.
— Commençons, et Ugo claqua des doigts.
Un clic se fit entendre. Un gramophone crissa et laissa échapper la Chevauchée des Valkyries de Rasquin et Wagner. Tel un chef d'orchestre, Ugo gesticulait. Mais si vous portiez ses lunettes connectées à l'ensemble de l'informatique du vaisseau, vous verriez une myriade d'écrans holographiques, qu'il effleurait du doigt pour activer les commandes.
Dans le réacteur, un nanolitre de liquide doré tomba d'une citerne. Le composé était si puissant qu'il fallait renforcer les tuyaux avec du titane, du gallium et des bobines tesla pour créer un champ magnétique qui empêchait la goutte infime de toucher quoi que ce soit. Les soldat(e)s d'Ugo avaient déjà préparé les autres composés, qui s'acheminèrent jusqu'à un immense alambic de verre pattrarien, un alliage presque indestructible. Les liquides s'entrechoquèrent, provoquèrent des réactions chimiques si violentes que les scientifiques et ingénieurs devaient porter des lunettes si teintées qu'elle les rendaient presque aveugles. La puissance fut telle qu'elle pouvait être comparée à une étoile.
Mais ce n'était rien d'autre qu'une étincelle avant que la goutte dorée ne tombe dans le mélange proto-stellaire.
La puissance qui s'en dégagea fit trembler le vaisseau ; les gens réunis autour de l'alambic durent faire jouer les soupapes de sécurité, les régulateurs thermiques et les absorbeurs pour éviter le surplus. À travers les explosions presque assourdissantes (alors que le verre pattrarien pouvait absorber plus d'un million de décibels), toute la matière fut annihilée… et ne resta qu'un petit morceau de chose, qui vibrait en rayonnant de mille feux.
Ugo termina son orchestre en appuyant sur le dernier bouton. Des rayons d'énergie fusèrent vers l'orphéite, qui vibra d'autant plus… avant d'être arrachée d'elle-même en plusieurs morceaux de masse identique aux autres et à la précédente. Les morceaux furent acheminées aux bras, jusqu'aux pinces, qui s'illuminèrent de la même lueur que l'orphéite.
Et les bras plongèrent vers le trou noir. Mais au lieu d'être détruits à jamais, ils attrapèrent l'horizon des événements et l'écartèrent comme on écarte l'ouverture dans un plastique souple. Et l'horizon s'élargit, vaincue par le miracle de la science. Le trou noir commença à perdre de sa noirceur, et l'on distingua images déformées de galaxies, d'étoiles, de planète… et au centre, un monde similaire à la Terre, et pourtant extrêmement différent.
— Tu ne peux plus te cacher, Yannis le Mage, sourit Ugo.
Et le vaisseau plongea dans le trou noir transformé, qui se referme sur lui dans le silence le plus absolu.
* * *
Laura le ressentit jusque dans son âme. Le monde avait été scindé en deux… mais était revenu à son état initial l'instant suivant. C'est ce qui l'avait réveillé. Elle ouvrit les yeux. Où était-elle donc ? Dans son lit, au QG des Révélés… la housse et le drap s'éparpillaient sur le lit. Les cauchemars étaient donc revenus. Laura roula sur elle-même. Dans un geste très mécanique, elle prit son téléphone portable. Il était huit heures et demi du matin.
Elle le reposa en soupirant, posa son bras sur sa tête ; que s'était-il passé ? Laura eut un instant de frayeur à l'idée que l'Enfant avait réussi à convoquer la Chose en ce monde, mais se ravisa rapidement : si cela avait été le cas, il n'y aurait eu aucun survivant. Aucun monde… Soudain, comme pour répondre à ses interrogations, on toqua à la porte.
— J'entre, résonna la voix de Yannis.
Ce qu'il fit sans son autorisation, mais il se permettait de faire cela en sa qualité de « Frère ». Ou tout du moins, il s'en conférait l'autorité exclusive simplement parce qu'il avait l'appui de l'Enfant.
— Tu l'as senti, n'est-ce pas ? demanda-t-il en s'asseyant dans un fauteuil. Dis-moi ce que c'était.
— Aucune idée, répondit-elle.
— Menteuse.
Pour une fois, elle ne mentait pas. Mais le Frère était tellement paranoïaque ces temps-ci qu'il ne prenait aucun risque, même avec ses propres esclaves. Il se leva pour s'approcher du lit, menaçant.
— Je ne sais rien, ajouta-t-elle. Je ne suis pas Ugo.
— Cesse de détourner le sujet ; je ne te demande pas de savoir qui l'a fait, car je le sais déjà. Je veux savoir ce que c'était. Était-ce de la magie ?
— C'est une question rhétorique ?
— Ne fais pas ta maligne. Tu sais aussi bien que moi ce que je suis capable de sentir.
—…non, ce n'était pas de la magie.
— Ni de l'Eioa. Alors ?
— C'était la Vérité.
— J'en étais sûr ! (le Frère avait l'air si heureux) l'Enfant sera ravi d'apprendre que le Tranchecoeur fonctionne encore !
— J'imagine que tu ne vas pas me parler de ce fameux plan…
— Malheureusement, non, chère sœur. Mais n'aie crainte : notre quête sera bientôt achevée.
Sans en dire plus, il prit la porte… et tomba nez à nez avec Ludwig. Lui regarda l'imposteur avec un sourcil levé, aussi le faux répondit :
— Je me souciais de son état, alors j'ai soigné ses blessures.
— Un autre truc appris dans les Limbes ? dit Ludwig.
— Ouais.
Le blond opina et laissa Yannis sortir, puis entra en refermant la porte derrière lui. Laura avait le cœur au bord des lèvres, souhaitant tout avouer maintenant que Ludwig avait le Tranchecoeur, mais la joie précédente du nihilien lui indiquait que ce ne serait pas une bonne idée. Elle se força à sourire, mais malgré tout Ludwig remarqua en s'approchant du lit :
— Tu n'es pas dans ton assiette – il fit un signe de tête en direction – Il t'a menacé ?
Le cœur de Laura se fêla. Voilà : à l'instar d'Ugo, Ludwig était déjà perdu, car celui qui goûte à la Vérité ne sera plus jamais vraiment humain. Le blond ressentit de nouveau sa détresse et la serra dans ses bras, lâchant des « chuut… tout va bien ». Elle passa ses bras autour du large torse et sentit ce cœur battre toujours dans cette poitrine. C'était rassurant.
— Ça fait du bien de te revoir, Lud.
— Et moi donc ! (il s'écarta en souriant, et l'embrassa sans prévenir) Je n'ai pensé qu'à toi pendant mon voyage.
— Pareil, sourit-elle, appréciant le goût laissé sur ses lèvres. Tu m'as manqué.
— Je sais. Je suis là maintenant.
Il s'adossa à ses côtés sur le lit. Laura posa sa tête sur les épaules de son amour et il lui caressa les cheveux. Ludwig était devenu plus tactile qu'avant. Elle lui demanda ce qu'il s'était passé à Néo-Mourn, et il lui raconta. Elle fut surprise du nombre de détails étranges et incompréhensibles qu'il fit ressortir dans son récit, mais vu qu'il était un Porteur de Vérité, ce n'était pas très illogique. En fin de compte, Ludwig s'était battu selon ses principes et avait gagné. Et son plan…
—…est génial, commenta-t-elle.
— Merci.
Cependant, il n'en avait pas l'air sûr.
— C'est vrai ! Tu peux supprimer le désir de conquête en coupant un canal émotif… C'est quelque chose que tes prédécesseurs n'ont ja…
— Quels prédécesseurs ?
Elle en avait trop dit et se tut ; avec lui, c'était parler à cœur ouvert ou ne rien dire du tout. Elle savait qu'il s'agissait d'un des pouvoirs du Tranchecoeur, même si Ludwig ne l'usait qu'inconsciemment. De plus, le destin prenait un bien malin plaisir à tourmenter ses élus.
— Laura. Je ressens ce que tu ressens, alors je saurais si tu me mens. Il y a eu des gens comme moi par le passé ?
— Tu… le savais ? devina-t-elle en regardant le visage du blond qui n'exprimait aucune surprise.
— J'avais des doutes, tu les as confirmés.
— C'est quelque chose d'assez sombre… (elle sentit comme un froid l'envahir ; Ludwig la serra contre elle) Ce que tu portes, ce n'est pas un simple artéfact ancien. C'est un fragment de Vérité.
— Ça je le savais. Le Valargus m'en a parlé.
— Le Valargus ? Tu as parlé avec lui ?
— « Parlé » n'était pas vraiment ce qui aurait qualifié cet échange, grimaça Ludwig. Continue.
— Oui – Laura traça des Glyphes dans l'air ; la magie fit place à des objets lumineuses différents, qui flottèrent – La Vérité est une forme de pouvoir comme la magie, mais à la différence qu'elle ne peut pas être utilisée. Pourtant, sans que personne ne sache comment ni pourquoi, celle-ci a été stockée dans ces artéfacts, les Fragments.
— Donc le Tranchecoeur est un Fragment, comprit Ludwig en montrant un des petits objets lumineux de la même forme.
— En effet. Et je crois que tu en reconnais un autre… (Laura montra du doigt une sorte de fiole remplit de liquide doré ; Ludwig écarquilla les yeux) Ton ami Ugo possédait effectivement un de ces Fragments. Il s'agissait de la Liqueur, même si on la connaît sous le nom…
—…d'Ichor, devina Ludwig. Le sang des dieux.
— Celui-là même qui donne la connaissance absolue. Chaque Fragment – elle effleura le Tranchecoeur posé sur le lit et frissonna – possède son pouvoir propre… mais c'est simplement pour éviter les débordements de puissance.
— Je n'aime pas cet objet, avoua Ludwig, ce qui étonna Laura. Il m'inspire une antipathie sévère.
Peut-être est-ce pour ça que tu en es le Porteur… pensa-t-elle en regardant l'objet. Pour elle, il s'agissait d'une arme de destruction. Pour d'autres, un moyen de rédemption. Ce qui rendait Ludwig si exceptionnel, ce n'était pas son pouvoir par le Tranchecoeur, mais le fait qu'il déjà en lui tout ce que le Tranchecoeur pouvait lui offrir. Il pouvait aimer, compatir… et mettre des mots sur les maux de ce monde.
— J'ai faillis détruire le monde, avoua-t-il.
— Tu ne le peux pas, répondit-elle, et il la regarda sans comprendre : Les Fragments n'ont pas le pouvoir de détruire le monde, ni d'en créer un. Ils possèdent un pouvoir plus grand, celui du contrôle.
— Alors je n'ai pas…
— Coupé le monde ? Tu l'as fait, mais pas comme on l'entendrait. Nos esprits ont juste mis ce mot sur ce phénomène car c'était ce qui ressemblait le plus à ce qui s'était vraiment passé – elle posa sa main sur la poitrine de Ludwig – mais ce que tu as fais est, j'en suis sûre, bien plus beau.
— Hmm…
— Quoi ? pouffa-t-elle.
— Je suis pas là pour faire des choses belles. Je suis là pour maintenir les choses en place.
— Alors il en sera ainsi, annonça la sorcière. Tu possèdes le Tranchecoeur. Tu es désormais le nexus de toutes les émotions de ce monde. Et, d'après ce que j'en vois avec ton prochain plan – elle l'embrassa tendrement – je n'ai aucune raison de m'inquiéter de quoi que ce soit.
Laura l'inonda de son amour. Elle poussa du pied le Tranchecoeur pour qu'il ne l'ait plus en vue. Il la regardait elle. Et encore une fois, elle se sentit plus réelle que quiconque. Et lui le ressentait, alors il vibrait à l'unisson. D'un geste simple et prudent, elle caressa son membre. Il lâcha un gémissement de plaisir. Elle l'embrassa pour le faire taire, avant de s'écarter d'un air espiègle. Laura aimait jouer depuis toujours. Désormais elle avait un partenaire.
Ludwig fut aussi doux que possible, la caressant à des endroits qu'elle avait oublié posséder. Les frissons qui la parcourent furent totalement différents de la peur et de la douleur dans l'Entre-Monde ; c'était quelque chose entre la totale frénésie et la plénitude parfaite. Ludwig était aussi pris dans cette folie, il baignait dans son plaisir… et elle se rendit compte qu'elle ressentait ce qu'il ressentait.
— Je t'aime.
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