Attentes

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Mon aventure avec Romain avait transformé ma perception : je regardais maintenant certains garçons avec un échauffement du sang. Dès la rentrée, je flashais sur un nouveau que je connaissais à peine. Le plus souvent entouré de ma bande de potes, je n’arrivais pas à trouver le moyen de l’aborder, encore moins de lui faire comprendre mon attirance. De toute façon, j’ignorais comment la lui exprimer, sans même envisager une suite possible. Un jour, enfin, après de longs efforts pour me rapprocher de lui dans les vestiaires, maladroitement, je passais ma main sur sa cuisse. Il arrêta mon mouvement en me disant d’une voix ferme :

— Qu’est-ce qu’il y a ? Ça ne va pas ?

Je balbutiais n’importe quoi en me recroquevillant sur mon banc, me rhabillant la tête basse, déconcerté par cette rebuffade inattendue. Personne autour de nous n’avait entendu et il ne réagit pas plus que cela. Je suis resté gêné durant toute l’année avec lui, alors qu’il occupait encore une part importante de mes stimulations. Refroidi, je ne cherchais pas à m’avancer vers d’autres garçons, continuant à les contempler avec une adoration de novice.

Je me suis replié sur mon sexe et sa jouissance, recherchant l’apaisement momentané apporté par la violente délivrance. J’abusais de cette solution, me dissimulant à peine et parsemant de traces tous les endroits possibles. J’attendais le reproche, l’affrontement qui aurait enfin posé des limites à mon activité de forcené et, peut-être, apporté des réponses à mes tourments sur ma nature. Ma mère n’osa jamais une remarque, sans doute ne comprenant pas de quoi il retournait, ou, pire, ne le voyant pas. Mon père, cet absent…

De cette année terne, un seul évènement me marqua. Un jour, le mot de « Tatija » me revint ; le soir, me souvenant des bribes d’informations données par Grand-père, je demandai à mes parents :

— C’était qui, Jeannette ?

Sentant la diversion venir, je maintenais mon interrogation par mon attitude, malgré le silence polaire qui régnait. Enfin, une réponse, à peine audible, de ma mère :

— La fille qui s’est occupée de vous quand vous étiez tout petits.

— Elle était gentille avec nous ?

— Arrête avec tes questions. Ça fait longtemps. Je ne sais plus ! monte-t-elle d’un ton agacé.

— Et pourquoi elle est partie ?

— Parce que c’était une voleuse, siffla-t-elle.

— Qu’est-ce qu’elle a volé ?

— Arrête, arrête ! hurle-t-elle d’une voix stridente.

Cette sirène fit lever les yeux de ma sœur de son numéro de son sempiternel Modes et Ragots.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— C’est Jérôme, il est méchant avec nous !

Nous ? Certainement pas mon père, le nez dans son assiette. Terrorisé, je montai dans ma chambre, affolé par ce déferlement. Qu’ai-je dit ? Qui était cette Jeannette si effrayante ? L’éteignoir s’était rabattu avec une force inouïe. Vouloir savoir est dangereux.

Perdu dans ces élans confus, je m’enfonçais dans une réconfortante solitude affective et sexuelle. J’avais évité le rallye de l’année sans avoir à me justifier, livré à moi-même et à mon avenir amoureux incertain. Il était vrai que je n’avais jamais parlé avec une fille, me sentant sans cesse décalé par rapport à leur attente. Les fuir était ma solution de facilité.

Lors d’un rassemblement scout important, à la Pentecôte, Tomas profita d’une cohue pour me tirer loin de tout. Cette fuite, tiré par sa main, me faisait battre le cœur, tant il paraissait déterminé. À l’écart, me relâchant, il me fixa. Je compris immédiatement.

— Jim, j’ai beaucoup réfléchi. Je m’excuse de t’avoir tenu à l’écart. Voilà, je crois que je suis comme toi.

— Comment ça ?

— Je suis pédé aussi !

— Mais je ne suis pas…

— Ce que tu m’as raconté avec ton cousin, ce que je vois quand je te regarde… Ne me dis pas que les garçons ne t’attirent pas !

— Je ne sais pas. Je n’ai jamais réfléchi à ça.

— Jim, je ne sais pas le dire, mais je voudrais que nous soyons ensemble.

— Comment ça ?

— Ben, ensemble, quoi, comme ceux qui ont une petite amie.

— Tu veux que je sois ta petite amie ? Mais je suis un mec !

— Jim, tu es con ou quoi ? C’est difficile pour moi. Je veux que nous soyons ensemble, tous les deux, pour longtemps, pour toujours !

— Tomas…

— Dis-moi oui, s’il te plait…

— Tomas, je ne sais pas. Je t’aime beaucoup, tu es du reste la seule personne qui compte pour moi. Je me suis amusé avec mon cousin. J’ai envie de ton affection, mais…

Ses lèvres me firent comprendre ma véritable envie, ma passion pour lui. Le monde éclata et devint vivant, enfin.

Un long moment nous souda. Nous avions tant à partager sans parler.

— Tomas, tu es sûr ?

— Non ! Mais toi aussi, tu comptes pour moi. J’ai envie de toi. Tu sais, pour savoir, je me suis laissé tenté par un garçon. En internat, c’est facile. J’ai aimé. Et quand j’ai pensé à toi…

— Mais tes parents ? Ton militaire de père ?

— On verra !

— Mais on ne peut pas être ensemble ! On ne peut pas s’embrasser devant les autres, même se donner la main…

— Non, mais on peut être ensemble quand même ! Il faudra m’aider. Tu veux bien ?

À mon tour, je concluais par une étreinte propre à le rassurer. Nous ne savions pas que nous scellions alors un pacte qui allait perdurer au-delà de nos vicissitudes. Je découvris ainsi un trait de Tomas. Contrairement à moi, préférant baisser les bras et me contenter de la vie, il analysait, décidait et agissait vers son objectif. Le pacte indissoluble fut signé.

Les weekends suivants furent trop courts : nous devions nous revoir au camp d’été.

L’approche de l’été raviva mon souvenir du précédent et de mon cousin, soudain essentiel. Nos échanges me revenaient, tellement plus chaleureux que mes pratiques solitaires, tellement plus riches que mes rares étreintes affectueuses avec Tomas.

Si je retrouvais avec un immense bonheur le monde enchanteur et merveilleux, mes grands-parents si aimants, je n’étais plus le même. Je le perçus à leurs regards et surtout au bref éclat dans les yeux de Romain. Le charmant enfant s’était mué en jeune homme, sans avoir perdu de mon charme ni de mon éclat. J’aspirais également à des choses d’adulte, non plus à des jeux de gosse, tout en ayant envie en même temps de les reprendre, avec la même facilité.

La journée, nous avions délaissé nos occupations traditionnelles pour aller explorer les environs dans de longues marches, parfois accompagnés de Grand-père, ou des balades à vélo, découvrant cette campagne berrichonne. Le soir, nous rentrions épuisés. Nous partagions le doux moment du diner avec Grand-père et Grand-mère. Nous retrouvions nos forces pour une nuit intense qui nous voyait nous lever tard dans la matinée.

Grand-père nous regardait, heureux de contempler ses deux petits-fils épanouis. Il ne nous parla pas de notre relation cet été-là, préférant sans doute ne pas intervenir dans une chose qui ne le concernait pas et dont il ne savait que faire.

Ce furent les dernières vacances passées avec Romain. Des raisons familiales obligeaient ses parents à déménager à l’autre bout de la France ; nos retrouvailles estivales qui comptaient tant pour moi, surtout avec les développements de ces deux années, se terminèrent ainsi, dans cette apothéose, source de souvenirs impérissables !

Je perdis ensuite de vue mon cousin. À l’occasion de nos rares rencontres, nous ne parlâmes jamais des petites affaires partagées lors de ces étés berrichons.

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