L’aumônier

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Le camp d’été suivant se déroulait aux confins du Perche dans un petit château, prêté par cette bourgeoisie de connivences. Tomas et moi nous sommes retrouvés dans la même chambre, sans camarade. Nous avions manipulé le hasard… À peine les sacs posés, la porte juste repoussée, alors que nos condisciples passaient et défilaient dans le couloir, nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre pour échanger le plus inoubliable baiser de ma vie. C’était donc réel !

La journée, nous jouions aux indifférents, pour autant que nous y arrivions. Nous attendions fébrilement le soir, pour enfin rapprocher silencieusement nos lits et la nuit se remplissait d’étreintes, de cajoleries, de baisers. J’aimais ensuite enfouir mon nez dans son aisselle pour m’endormir. Ce parfum m’envoutait. J’étais lui, il était moi, nous formions un seul être de sensualité.

Un jour, il me dévisagea longuement, me caressa la joue, remonta avec un doigt sur ma tache de vin, un angiome beige foncé sous l’œil gauche qui ne s’est jamais estompé. Ce triangle inversé forme le socle de cet œil. Quand quelqu’un me regarde la première fois, il est surpris par cette marque, fixe son attention un rien trop longtemps. Plus le regard dure, plus se révèle l’intimité. Il se retrouve ainsi embarrassé et troublé par son insistance involontaire. Le plus souvent, je suis aussi gêné que lui, ayant oublié la raison de cette accroche.

— Tu sais que tu es un ensorceleur, que cette petite tache m’attire, me fascine. On ne peut pas la voir sans vouloir la toucher, sans vouloir décrocher ton regard, tout ton regard. C’est son piédestal !

— Bon, ben tu ne gardes que ça et tu jettes le reste aux ordures. Tu ne vas pas avoir grand-chose !

— Je ne vais pas jeter ce que j’adore ! Je garde tout et en plus je garde aussi la petite tache, c’est tellement toi.

Il fut le premier des deux personnes à parler de ma petite spécificité.

***

Soulignons que cette histoire se déroule dans ces quelques villes si socialement typiques de l’Ouest parisien. Vestiges de la noblesse, officiers supérieurs, éminents fonctionnaires, cadres et dirigeants d’entreprises la composent, formant cette haute et bonne bourgeoisie, conservatrice et réactionnaire, sûre d’elle et bienpensante. Évidemment, tous catholiques traditionalistes, voire intégristes. Le matin, le lever des couleurs et les chants patriotiques précédaient la messe en latin. Ignorant d’autres coutumes, je vivais ces singeries sans interrogations, même si je les trouvais vides de sens et ennuyeux.

L’aumônier qui nous encadrait, portait la soutane, bien qu’à peine plus âgé que nous. Il venait, à ma grande satisfaction, de remplacer notre ancien curé que j’exécrais à cause de ses manières et de ses sourires dégoulinant d’une fausse onctuosité. Je redoutais ces moments de confession quand il nous obligeait à avouer des fautes. Je le détestais surtout, car il allait très loin dans le farfouillement de mes jeunes pensées, me forçant à trouver le mal dans mon innocence. Je simulais le docile et, ayant très vite compris les errements qu’il voulait nous entendre déballer, je les lui débitais avec des variantes convenues. J’allais ensuite dans un coin, me mettais à genoux, agitais mes lèvres un certain temps en laissant vagabonder mon esprit.

Le nouvel aumônier affichait sourires et proximité avec nous. Ce remplacement bienvenu restait cependant insuffisant pour me réconcilier avec les curés.

Une fin d’après-midi, alors que nous étions sur nos lits accablés par une chaleur orageuse à attendre la cloche du diner, ce jeune prêtre fit irruption dans notre chambre, sans frapper. Deux minutes plus tôt, la situation aurait tourné à la catastrophe ; il nous trouva simplement dans les bras l’un de l’autre, mais nus sur nos lits rapprochés. Après un moment de silence, il m’ordonna de le suivre. J’enfilai un short et un t-shirt, un peu inquiet de ce qui allait se passer. Il m’emmena dans sa chambre.

— Dis-moi, Jim, que faisiez-vous tout nu, tous les deux ?

— Rien de spécial, mon Père. Il fait chaud et nous sommes très copains, c’est tout.

— Mais vous étiez dans les bras l’un de l’autre, comme… Vous ne vous êtes pas touché le…

— Non, pourquoi ?

Commença alors une série de questions très précises sur le plaisir du sexe entre garçons ou en solitaire. Je ne voulais rien lui dire, cela ne le regardait pas. Je ponctuai d’un innocent « Non, pourquoi ? » chacune de ces questions. Il finit par abandonner son interrogatoire.

— Je sens que tu ne me dis pas la vérité. Prends une chaise et viens près de moi.

Je m’assis. Il empoigna ma main et la massa de son pouce pendant tout son discours. Ce geste, peut-être réconfortant, je le ressentais possessif et agressif, avec une pression trop insistante. Très gentiment, il me sermonna sur les pratiques contre nature, le fait que notre destinée sur Terre était de procréer, soulignant l’importance de ne pas gaspiller notre semence… Le tout avec ce jargon et ces mots qui m’écœurent. Je baissais la tête, prenant mon mal en patience avec l’air contrit attendu.

— Réfléchis à tout ça. Je peux t’entendre en confession si tu le souhaites.

Je refusais, repoussant toute discussion sur mon intimité avec lui. Il poursuivit en m’expliquant qu’il voulait me proposer un remède pour m’aider. Il me demanda alors de retirer le short que j’avais enfilé en vitesse. Un peu gêné, j’obtempérai, et me retrouvai dans ma nudité. Il me fixa, longuement, de façon appuyée. Sentant une sorte d’admiration de sa part, je réagis bien malgré moi. Il m’ordonna brusquement de me vider de mes envies. Je le regardai, singeant le naïf qui ne comprenait pas. Il me répéta de vider mon corps des substances diaboliques qui me guidaient sur ces chemins dangereux. Je continuais d’afficher mon air innocent.

— Frotte-toi, ça fera sortir ces fluides néfastes !

Je commençai, en l’interrogeant d’un œil volontairement idiot. Il approuva de la tête, me dit de faire vite, affectant de l’ennui d’avoir à assister à une telle démonstration. Bientôt, de grands jets s’étalèrent sur son plancher. Paraissant satisfait, il m’imposa de recommencer. Son expression avait changé, ses yeux émettaient maintenant des ondes malsaines qui me transperçaient. Où était passé le jeune prêtre sympathique et souriant ? Il me fit signe de reprendre. Cela devenait douloureux. Il m’expliqua qu’en se vidant le corps, en s’accomplissant dans le sport, en s’imposant des pénitences sévères, on pouvait retrouver le chemin du Seigneur. Je me jurai immédiatement de bifurquer dès le premier carrefour !

Enfin, il me laissa partir en me demandant de lui envoyer Tomas. Je racontai à ce dernier en deux mots ce qui s’était passé, ce qui l’attendait. Au retour, il me dit qu’il avait dû se masturber quatre fois. Je lui rétorquai qu’il était le meilleur. Nous rîmes de ce curieux curé, un peu bizarre dans ses pénitences, paraissant bien intentionné avec nous. Nous nous retrouvâmes dans nos bras, délicieusement entrelacés, déjà oublieux de cet épisode.

Le lendemain, avant de monter à la sieste, l’aumônier m’interpela en m’ordonnant de le suivre. Comme je trainais les pieds, il me houspilla aimablement, avec un gentil sourire.

— As-tu réfléchi à notre discussion d’hier ? Veux-tu te confesser ?

— Non, nous n’avons rien fait de mal, ce n’est pas la peine.

— Comme tu veux. Allez, applique-toi le remède. Je veux vérifier que ton corps est bien sain, sans substances démoniaques. Déshabille-toi complètement, que je vois que tu fais bien les choses.

J’obéis, même si je dus me forcer pour arriver à un peu de vigueur, car je me sentais honteux de lui montrer « ma jeune virilité ». Avant que je me rhabille, il me lança :

— Tu sais que tu es très séduisant et que des garçons mal intentionnés peuvent te proposer des choses défendues. Ne cède pas à cette tentation, viens m’en parler.

Malgré la sollicitude qu’il mettait dans ces paroles, je jugeai inutile de lui répondre. Je dus à nouveau lui envoyer Tomas. Ce dernier me dit que, comme la veille, aucune trace de mon passage ne tachait le plancher.

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