Le viol

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Le jour suivant, le scénario se répéta, alors que je sentais monter en moi un dégout de plus en plus fort. Je ne desserrais pas les lèvres, ne répondant plus à ces interrogations. Pendant que je me rhabillais, il me demanda, pitoyablement, si je pouvais lui rendre un service. Tandis que que je restais silencieux, il continua en m’expliquant qu’étant humain, comme nous tous pauvres pécheurs, il avait les mêmes « humeurs ». Mais il ne pouvait s’assécher lui-même le corps, car cela aurait été un péché grave pour lui ; il aurait voulu que je l’aide. Il souleva sa soutane. Il ne portait aucun sous-vêtement, exhibant un engin surmontant deux bourses presque aussi lourdes que celles des taureaux que l’on voyait dans les prés, et que nous admirions en nous bourrant de coups de coude. Ce déploiement me le rendait repoussant.

Coincé dans cette situation insupportable, je cédai à son injonction. Intérieurement, je me révoltai. Pourquoi avait-il changé si brusquement ? De quel droit s’autorisait-il cela ? Pourquoi devais-je lui obéir ? Pourquoi personne n’intervenait pour empêcher ça ? Je n’étais encore qu’un enfant !

— Merci, Jim, tu as fait une bonne action, susurra-t-il, reprenant son ton de curé.

Il ne demanda pas à Tomas de venir, sentant sans doute qu’il n’obtiendrait pas la même satisfaction.

Le lendemain, après ma séance de « purification », totalement nu selon ses exigences, il m’invita à me rapprocher de lui. J’hésitai, mais, ne trouvant pas comment refuser, j’obéis.

— Tu sais que tu es vraiment séduisant ? Je voudrais t’apprendre des choses, mais cela doit rester entre nous. Tu me le promets ?

Sa voix, visqueuse de douceur et de sollicitude, me répugnait. Je m’interdis de lui répondre. Il avança la main vers mon bas ventre. Je me détournai. Il essaya à nouveau, mais je rugis :

— Non !

Je ne voulais pas qu’il me touche là. Quand il s’approcha, trop entreprenant, je lui criai, angoissé :

— Non, ne me touchez pas !

— Tais-toi ! Tu veux que quelqu’un vienne et te trouve dans cet état ? Qu’est-ce qu’on va dire ? Que tu es venu me séduire ! Que tu es un démon ! Regarde dans quel état tu es.

Le ton s’était durci, même s’il y mettait encore de la protection. J’avais honte.

Il me dominait, me faisait peur. Je ne réagissais pas.

— Bon, calme-toi. Promis, je ne toucherai pas ta petite zézette, cracha-t-il méprisant. Viens près de moi, je vais te montrer quelque chose.

Je ne savais comment refuser. Il insista du regard. Je m’approchai.

— Tourne-toi et penche-toi un peu en avant. Laisse-toi faire, doucement. Ferme les yeux, détends-toi et surtout garde le silence.

Je m’inclinai. Ce qui se passa était vraiment dégoutant. Le précédent aumônier me farfouillait l’âme sans ménagement, et celui-ci trifouillait mon corps le plus intime. Je pleurais en silence quand une onde de volupté m’assaillit. J’étais perdu par cette dualité. Je m’affolais quand je reçus des giclées chaudes sur la jambe. Je me reculai d'un coup de rein.

— Alors, mon bel ange, tu as bien aimé, non ?

Je me taisais en m’essuyant, révulsé par sa souillure, par son acte. Je me rhabillai, la gorge nouée. J’exhalai ma confusion par un ricanement de désarroi.

— Ne joue pas au petit malin. Tu es un drôle de pervers, comme ton copain. Je dois vous aider à corriger vos vices.

Je retournai retrouver Tomas. Il me demanda ce qui s’était passé. Je lui mentis :

— Comme d’habitude ! Je commence à en avoir marre.

Je me réfugiai dans sa douceur, essayant d’oublier l’abjection que je ressentais. J’avais éprouvé du plaisir alors que ce monstre me répugnait. Je ne pouvais le dire, ni à Tomas ni à moi. Cette ambivalence me tordait le ventre. Je me sentais tellement coupable ! Tomas, devinant un malaise, me prodiguait un festival de tendresses.

Le lendemain, sur un simple signe de tête de sa part, je le suivis, totalement asservi. Par son autorité et par le secret qu’il m’imposait, par culpabilité, j’étais obligé de me soumettre.

La séance commença à l’identique des précédentes. Lui-même avait retiré sa soutane, s’exhibant nu, son énormité gonflée. Je le vis se frotter le membre avec un liquide gras et luisant, venir vers moi. Je me dis que, sans doute, c’était de l’huile sainte, lui permettant de s’absoudre en même temps qu’il pêchait ! Alors que je reculai, il m’ordonna brutalement de me laisser faire. Je devinais avec terreur ce qui allait advenir. Tremblant, j’obéis, transformé en un pantin incapable de réactions. À la douleur insupportable s’ajoutait l’humiliation. Je me mordais les lèvres au sang pour ne pas hurler, anéanti par ce déferlement.

Après de faibles mouvements, il se retira brusquement, me laissant endolori, haletant de sanglots et de désespoir. Je me rhabillai, démoli physiquement et définitivement souillé.

Je revins dans la chambre, des hoquets dans la gorge. Tomas me demanda ce qui s’était passé. Je ne pus lui répondre, exprimer cette honte, cette dévastation. Je pleurais.

J’avais besoin de me confier, de trouver du réconfort. Comment pouvais-je raconter ma destruction au seul que j’aimais, sans le meurtrir ? C’était ma condamnation.

Tous ces jours, Tomas ne fut pas concerné, mais le lendemain, l’aumônier le fit appeler directement. Je savais ce qu’il allait endurer. Je ne voulais pas que Tomas vive ça. Je lui dis de ne pas y aller. Nous ne trouvions pas de moyens pour échapper à son emprise. « Ne te laisse pas faire ! » « De quoi ? » Non, je ne peux pas le dire. « Résiste, refuse ! », je lui lançai.

Je me rongeais les sangs en l’attendant. Très vite, je le vis revenir en larmes. Je le pris affectueusement dans mes bras, dans le couloir, lui caressais la tête doucement, le poussais délicatement dans notre chambre. Ses pleurs redoublaient quand il me dit que cet infâme curé l’avait contraint, comme moi. Il avait résisté. Lorsqu’il avait sorti son sexe gigantesque, tentant d’aller plus loin, Tomas s’était défait d’un grand coup de pied en arrière et s’était enfui.

Moi, je m’étais laissé démantibuler. Qu’il ait pu faire du mal à Tomas me mit dans une colère noire. Je me détachai de lui en me précipitant vers la porte, prêt à aller démolir celui qui avait touché et blessé mon amour. Il me rattrapa, me calma, me démontrant que nous ne pouvions rien faire, personne ne nous croirait, on nous accuserait des pires choses. Nous nous sommes couchés l’un contre l’autre, cherchant un vain apaisement dans cette proximité.

Le lendemain, à la fin de repas, l’aumônier demanda à Tomas de le rejoindre ensuite. Sans le voir, je le sentis se raidir à mes côtés et se mettre à haleter. Je me levai, j’allais devant le curé, je plantai mon regard dans le sien, puis je le baissai en lâchant :

— Mon Père, nous avons compris notre faute, nous nous en repentons sincèrement. Nous allons suivre nos pénitences ensemble. Nous nous les appliquerons réciproquement, autant que nécessaire, afin que nous puissions racheter notre péché et, ainsi, retrouver le chemin du Seigneur. Merci, mon Père, de nous avoir aidés.

Il devint tout rouge, balbutia :

— C’est bien, mon fils !

Interloqués, nos camarades nous regardaient, interrogateurs. Je prononçais à voix basse, mais suffisamment forte pour qu’il entende :

— Il nous a surpris à coucher ensemble, il veut en profiter. Il a voulu violer Tomas.

Ne pouvant apprécier le degré de vérité de mes propos, un grand silence tomba autour de nous, rompu par un éclat de rire, suivi de :

— Ben toi, dis donc ! suivi d’un enchainement rapide sur un autre sujet.

Ils avaient tous parfaitement saisi, même si, pour la majorité, ce fut immédiatement refoulé dans les zones obscures de leur esprit. Tomas ne broncha pas. Une fois dans la chambre, il me remercia doucement, en pleurs dans mes bras. Je me rendis compte alors que j’avais affiché notre liaison devant tout le monde, avec assez d’ambigüité pour que ceux qui voulaient comprendre comprennent. Une esquisse de coming-out qui nous libéra dans notre comportement réciproque au jour le jour. Nous oserons ensuite des petits gestes d’affectation au vu de nos camarades.

J’avais été violé, soumis à sa domination complète et il allait recommencer. Le fait que ce maudit ait abimé Tomas a rompu son emprise sur moi. Ce fut ma première révolte.

Le séjour touchait à sa fin. L’aumônier nous avait quittés précipitamment avec une mauvaise excuse. Tomas et moi étions en permanence collés l’un à l’autre, semblant craindre un malheur, à nous regarder pour nous réconforter. Avec cette agression, nous nous rendions compte de la fragilité de notre lien, si essentiel pour nous, qu’un rien pouvait couper. Nous redoutions un désastre.

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