Le mariage de Romain

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Je suis invité au mariage de Romain !

Ce n’étaient pas les premières noces auxquelles nous allions, car ça convolait abondamment autour de nous. Nos camarades d’école, confondant souvent sympathie et amitié, se croyaient obligés de nous convier. En ajoutant les épousailles dans la famille, ces cérémonies devenaient une corvée répétitive tellement elles se déroulaient de façon standardisée, pour le plus beau jour de notre vie. Le même lieu magnifique, les mêmes formes, les mêmes repas avec des inconnus ou d’anciens camarades évoquant de maigres points communs. Une seule fois, l’ambiance m’avait touché : je m’étais projeté avec Pascale dans le rôle de la mariée. Un hoquet avait alors éclaté dans le fond du ventre, raclant douloureusement mon cœur. Je haïssais encore plus les mariages depuis.

Mais pour Romain, une exception s’imposait, avec joie. Bien sûr, Pascale m’avait accompagné. Je craignais la cérémonie à l’église. Quand le prêtre ânonna : « C’est la main de Dieu qui vous a réunis… », une brutale remontée acide me brula l’esprit, m’étonnant par sa fulgurance. « Mais ta main, elle n’était pas là pour vider ton aumônier de ses substances diaboliques, c’était la mienne, de main ! » Cet épisode m’avait semblé oublié…

Pour le diner, Pascale était de l’autre côté de cette table immense, séparée par des camarades d’école de Romain ou de Claire, ou des deux, je n’avais pas bien compris. De beaux petits couples parfaits, lisses sous tous rapports. Nous essayions d’entamer la conversation, mais après la météo et les derniers films, elle tomba à plat. Ils évoquaient des souvenirs communs sans se soucier de nous. Je contemplais Pascale qui avait allumé son regard ironique un peu plus appuyé que d’habitude, mais aussi distancié. Je l’admirai, elle ne me voyait pas, réfugiée dans sa tête, ses yeux débranchés. Ce que je la trouvais belle, ce que j’avais de la chance de partager sa vie ! Mon cœur était gonflé de ravissement.

J’observais ces jeunes couples, ne percevant que le moule épais du formatage, sans aucune lueur d’originalité au milieu. Tous pareils, dans un asservissement total au système et à ses normes. J’ai joué avec les miettes de pain, pendant deux heures. Quelle dérision !

Après un temps infini, ce fut enfin la musique. Nous avons passé le restant de la soirée enlacés, dans un coin de la piste, à nous consoler de ce diner, blottis dans notre monde.

La fête se terminait, je m’approchai de Romain achevant une danse. Sa cavalière le quitta, je me glissai à sa place. Il me reconnut, me sourit chaleureusement tout en continuant de remuer. Nous avons bougé ainsi un certain temps, sans nous toucher, sans rien dire. Petit à petit, tout revenait : j’étais à nouveau le petit en extase devant son ainé, nos jeux, nos joutes, nos rires, ces étés berrichons. Ses yeux témoignaient d’un cheminement identique. Nous étions en train de nous reconnecter, c’était bon, fort, indestructible. En même temps, je le voyais avec les yeux de l’adulte que j’étais devenu : il était un bel homme, séduisant et désirable dans son épanouissement. Ce n’était pas seulement dans mes souvenirs.

— Ça me fait plaisir que tu sois venu, Jim ! Tu sais, je ne t’ai jamais vraiment oublié.

— On s’est perdu de vue trop longtemps. Moi non plus, je ne t’ai jamais vraiment oublié, je te dois tellement.

Un sourire interrogateur pointa dans ses yeux.

— Oui, c’est toi qui m’as initié à ce monde qui est maintenant le mien : l’amour entre garçons. Ne me dis pas que tu as oublié ces moments… En y repensant, je te remercie de l’avoir fait, et surtout de l’avoir fait comme tu l’as fait !

— Le monde qui est le tien ? Tu veux dire que tu es complètement pédé ? Je l’ignorais ! C’est vrai que cela fait longtemps que nous n’avons pas causé ensemble… Moi, tu sais, j’ai toujours un peu hésité entre filles et garçons. Oh, oui, je me souviens de ce que nous avons fait ! C’était très fort ! Je ne regrette pas, nous avons passé des moments qui restent précieux pour moi.

— Tu sais, continue-t-il, j’avais été initié, comme on dit, par un copain, peut-être un an avant. J’avais trouvé ça un peu sordide. Tu étais si mignon, si craquant que tu m’as donné envie de te toucher et de coucher avec toi. Je me disais aussi qu’un garçon te le proposerait forcément, vu ta petite bouille d’alors et je ne voulais pas que ça se passe mal pour toi. Tu me tentais, je ne me suis pas beaucoup forcé !

— Tu m’as sauté dessus pour l’occasion ! Encore merci pour cette délicatesse et la gentillesse de cet apprentissage, dont le souvenir reste tout aussi unique pour moi. Cette première expérience, si douce, m’a permis de trouver ma nature, de l’aborder, de l’explorer sereinement. Si je t’ai donné un peu de plaisir et laissé un bon souvenir, j’en suis content, c’est un juste retour des choses. Tu ne me semblais pas penser beaucoup aux filles, on remettait le couvert dès qu’on pouvait, deux étés de suite en plus !

Il murmura, pensif :

— C’est vrai qu’on était bien à nous éclater avec nos mamours. Ça m’a donné envie de continuer avec d’autres petits mignons… Encore récemment… Filles et garçons, beaucoup plus de variétés de plaisir !

Puis il reprit :

— Comme tout le monde autour de toi, le sais-tu, instinctivement, nous te protégions, nous te tissions une sorte de cocon. Nous ne voulions pas te perdre. Tu étais un tel bonheur de vivre. Tout le monde t’admirait.

— Je ne savais pas ça, je ne l’ai jamais ressenti. Je vivais dans ma bulle. Je comprends pourquoi j’ai eu du mal à entrer en contact avec le monde réel, à traverser ce cocon !

— J’arrivais chez les grands-parents une semaine avant toi. Grand-père était heureux de me voir, gentil, souriant, chaleureux comme toujours. Plus la date de ton arrivée approchait, plus il devenait fiévreux, plus on sentait son impatience. Je la partageais un peu, ce qui m’empêchait d’être jaloux. Lorsque nous allions te chercher, il rayonnait. Encore plus quand il te voyait. Tu étais son petit diamant, son petit bonheur. Tu tiens beaucoup de lui, par la gaité, la force de vivre, le charisme.

— C’est vrai que j’ai toujours senti une tendresse infinie chez Grand-père. Tu sais, le premier été où tu n’étais plus là, avec Grand-père, nous avons beaucoup parlé. Mais, en fait, c’est dur à dire, je n’ai vraiment ressenti son affection qu’à l’annonce de sa mort. J’ai vu alors un trou immense s’ouvrir en moi et j’ai compris que c’était le seul parent qui comptait pour moi. Encore aujourd’hui, quand je pense à lui, je…

Ma voix tournait en sanglots, je ne voulais pas remuer cette douleur, plus vivace que je ne croyais.

Sentant l’émotion s’installer, mon cousin me rattrapa, me prit dans ses bras de grand frère et me murmura :

— Mon petit Jim ! Toujours aussi sensible ! Tu sais, la disparition de Grand-père m’a aussi beaucoup marqué. Franchement, nous sommes pareils ! Tous ces étés étaient des moments inoubliables. Je ne parle pas de nous deux, enfin si, de nous deux, de Grand-père, de Grand-mère…

— Oui, le reste de l’année, je suppose que tu devais autant t’amuser que moi ! Tu sais, ce qui m’étonne, c’est qu’ils nous aient laissé faire ! Remarque, quand j’ai dit à Grand-père, il a été gêné. C’était une autre génération…

— Je te tiens dans mes bras et ça me fait un immense plaisir ! Tout revient ! Tu sais que tu pourrais toujours me faire craquer. D’autant plus que, maintenant, tu dégages un érotisme puissant auquel il est difficile de résister.

— Tu projettes tes souvenirs ! Tu es marié, sois sage à présent. C’est dommage, car, moi aussi, je te trouve aussi désirable qu’alors. Ce que j’ai pu t’admirer !

— Mais toi, tu es venu accompagné, je ne l’ai vue que de loin, mais quelle femme splendide ! Je ne comprends pas, tu es pédé ou bi, comme moi ? Parce que si tu es cent pour cent pédé, j’aimerai bien connaitre ton accompagnatrice, elle est vraiment superbe et attirante. Je crois que j’irai tenter le diable.

— Mais tu viens à peine de te marier, je te rappelle !

— Peut-être, mais il y a des destinées qu’on ne peut éviter ! m’assena-t-il.

— Pascale, elle s’appelle Pascale et nous vivons ensemble.

— Alors tu n’es pas qu’homo ?

— Si je suis complètement et exclusivement homo, mais Pascale n’est pas qu’une femme splendide.

— Tu veux dire quoi ?

— Romain, tu es mon frère, plus que mon frère puisque nous sommes allés au bout de ce que l’on peut échanger. Je te le dis, mais tu le gardes pour toi : Pascale n’est pas qu’une femme, c’est un homme également.

— Mais elle est si belle, elle dégage tant de féminité. C’est vrai que son aspect androgyne jette un trouble tentant.

— Oui, elle est pleinement, entièrement, une femme et je l’aime pour ça. Mais anatomiquement, c’est un homme, et je l’aime aussi pour ça. Il existe des cas comme ça, j’ai eu la chance de trouver ce petit joyau, non, plutôt, j’ai eu la chance que ce petit joyau vienne à moi. De plus, c’est une compagne extraordinaire pour moi. Je l’aime profondément, nous nous aimons profondément.

Claire, sa femme depuis quelques heures, s’approcha :

— Qu’est-ce que vous vous racontez depuis tout ce temps ? Tu me présentes ?

— C’est Jim, Jérôme, mon cousin.

— Ah, c’est toi, le « beau cousin » ? Il ne m’a pas parlé souvent de toi, mais il t’a toujours appelé « mon beau cousin », avec une petite envie dans la voix qui m’énervait. Je m’explique maintenant son expression, tout à fait justifiée. Tu as l’air d’être son jumeau, avec un petit plus, en plus !

— Merci, balbutiais-je, un peu embarrassé, pour une fois, du compliment. Mais tu n’as pas choisi le plus vilain de la famille non plus. Lui aussi, c’est mon « beau cousin ».

— Jim me disait qu’il était pédé et que c’était moi qui lui avais tout appris !

— Ça ne m’étonne pas ! Vous, les pédés, vous prenez toujours les plus beaux morceaux et vous nous laissez que les rogatons.

— Tu sais, ce sont de bien jolis rogatons que je t’abandonne, c’est du premier choix. Je les ai testés. Garantis première qualité, je te les conseille ! lui lançai-je. Et je remets le couvert, quand il veut !

— Oui, il m’avait parlé de votre entente, me suggérant que vous étiez très proches. Mais il n’était pas entré dans les détails. Je soupçonnais quand même quelque chose de ce genre. Je le comprends. Ça devait être chaud, adorables comme vous êtes tous les deux.

Elle enchaina :

— Nous savons nous contenter de vos restes avec grand plaisir ! dit-elle en l’embrassant tout en passant une main câline sur ses atouts.

Son côté provocateur m’amusa. À mon tour, je passais ma main sur les parties de mon cousin.

— Ça pourrait aussi être encore à moi !

— Vous avez fini de me tripoter tous les deux ! Laissez mes couilles tranquilles. J’ai besoin qu’elles fonctionnent cette nuit. Trouvez un autre terrain de dispute !

— Et pour lequel de nous deux doivent-elles marcher cette nuit, le questionnai-je ?

— Mais pour… allez au diable tous les deux, s’amusa-t-il !

En me tournant vers Claire, je lui lançai :

— Tu vois, nous courons après le même mâle, nous sommes copines de chasse !

Elle se prenait au jeu avec un certain plaisir. Alors je la titillai un peu plus :

— Et pourquoi ne serait-ce pas la même chose pour vous, les filles ? Les plus belles entre elles et les restes pour les pas beaux garçons ?

— Mais non, les gouines, ce sont celles justement qui restent et que personne ne veut ! Les grosses et les hommasses.

— Pas si sûr, je réponds, ne voulant pas lâcher le terrain et déçu par cette stupide répartie.

— On verra, dit-elle en me collant un gros baiser affectueux sur la bouche pour gagner l’affaire.

Je m’effaçai. Ce bref échange de piques réciproques nous avait permis de nous jauger et de nous apprécier. Il en reste toujours une vraie connivence, malgré les vicissitudes traversées.

Apparemment, toute concentrée sur sa cérémonie, elle n’avait pas remarqué que je n’étais pas venu seul.

J’allais rejoindre Pascale. Elle possédait un don de mimétisme pour se fondre dans le paysage. Autant elle rayonnait, autant une minute après, on ne la discernait plus. Un geste, un regard, une attitude, un moment de fatigue, la faisaient s’effacer. Sauf pour moi, bien entendu, le seul à détenir le détecteur amoureux de Pascale. Je l’aurais retrouvée dans la brume la plus épaisse de la nuit la plus totale. Quand elle était effacée j’allais prendre ma petite luciole éteinte, la rassérénait et la cajolait jusqu’à ce que le bout de ses yeux se remette à briller, telle que j’aimais la voir. Nous n’en avions jamais parlé, mais je pense que c’était un système de défense venu de sa situation si particulière. Cette fragilité, en dehors du fait que j’aimais la réchauffer et prendre soin d’elle, me la rendait encore plus attachante.

Ce soir, sans doute simplement la fatigue. Je pris ma petite lumière endormie par les épaules et nous sommes rentrés.

— Tu as causé longtemps avec Romain. Je vous regardais. On vous dirait presque frères, vous vous ressemblez énormément.

— Oui, c’est mon frère, mon vrai frère, même si j’ai eu des rapports abominablement incestueux avec lui, ce que je ne regrette absolument pas. Je recommencerais bien, du reste !

— Je te comprends complètement. Si je ne t’avais pas, j’irais le draguer, marié ou non. Il me plait beaucoup ton cousin, vraiment beaucoup.

— Toi, tu n’es attirée que par les pédés, comme les mouches à merde par la…

Elle me coupa :

— Mais elles sont heureuses sur leur petit tas, ces mouches. Je t’aime mon petit tas ! Quoi que tu sois, je t’aime.

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