Chapitre 2

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Cartétoile, Nord-Ouest de Mivaar

Elerinna

 « Hey Rin’ ! C’est l’heure de notre entrainement ! » La voix grave de Loïs s’élève de la rue en contrebas, solide, tranchante dans la douceur du soir. Elle m’arrache soudain à mon trouble, ramenant brutalement mon esprit à la réalité. Je tente de chasser cette sensation étrange, de reléguer au fond de mon esprit la silhouette qui m’a troublée. Ce n’était sûrement rien — une ombre déplacée, une illusion… Rien qui ne mérite que je perde ainsi mes moyens. Je lui adresse un sourire rapide, forcé d’abord, mais qui devient plus naturel sous le poids de son regard serein.

 D’un geste automatique, je referme mon vieux livre et le glisse dans le sac en lin qui pend à mon côté. J’ajuste la sangle, la passe sur mon épaule, et d’un coup d’œil vers Loïs, je m’apprête à le rejoindre. Avec l’agilité de l’habitude, je me laisse glisser du toit, sautant de poutre en poutre avec aisance, mes doigts s’accrochant aux rebords usés du bois. Mes pieds retrouvent le sol en un mouvement sûr, chaque geste trahissant les centaines de fois où j’ai exécuté cette descente, familière et presque instinctive. Arrivée en bas, je me redresse et rejoins mon cousin qui m’attend en me décochant un sourire.

 "Allez, prête pour notre leçon ?" me demande-t-il, les mains sur les hanches, un sourire moqueur au coin des lèvres.

 "Prête," dis-je en lui rendant son sourire, décidée à oublier cet instant étrange.

 Je suis Loïs à travers l’entrée de la forge, et une vague de chaleur intense me frappe aussitôt, me serrant la poitrine et teintant l’air d’une odeur âcre de métal brûlant. Dans la lueur rougeoyante des flammes, mon oncle Rybald se tient face à son enclume, immense et solide comme un roc. C’est un colosse au visage sévère, à la peau brunie par le soleil et marquée par le travail, chaque ride dessinant un peu plus la carte de ses années de labeur. Ses cheveux blonds, longs et épais, s’emmêlent à sa barbe drue, lui donnant un air de guerrier des temps anciens. Ses yeux noirs, sombres comme des éclats d’obsidienne, scrutent la hache qu’il forge avec une attention minutieuse, rivés à la lame incandescente dont chaque coup façonne la courbure.

  Il lève le marteau, le brandit avec une force tranquille, presque implacable, avant de l’abattre avec un claquement sourd qui résonne dans tout l’atelier. À chaque impact, des étincelles s’échappent en gerbes lumineuses. Il répète ce mouvement avec une régularité mesurée, presque rituelle ; c’est comme une sorte de chorégraphie brutale, où le métal et le feu s’entrelacent sous la volonté de ses bras puissants. Chaque coup semble un battement de cœur de cette forge, rythmant la vie qui palpite ici.

 En m’apercevant, Rybald relève la tête, ses yeux noirs pétillent sous sa visière de fortune, un simple morceau de cuir attaché pour le protéger des éclats de métal brûlant. Il la soulève d’un geste rapide. Lorsqu’il nous reconnaît, un sourire large fend sa barbe épaisse. D’un geste assuré, il repose son marteau sur l’enclume, et l’outil résonne lourdement sur le métal. Il désigne d’un mouvement de tête les deux armes qui nous attendent, posées soigneusement sur l’établi en bois massif. Sans un mot, je détache mon sac de mon épaule et viens l’accrocher à l’un des crochets à l’entrée, libérant mes mains pour ce qui m’attend.

 Je m’avance, mes doigts glissant brièvement le long des autres armes exposées avant d’atteindre enfin celle que mon oncle m’a préparée. C’est une épée simple, sans fioritures, mais à la lame solide et affûtée, et son poids équilibré entre mes mains me rassure. Je la brandis d’un geste précis, le bras tendu, sentant le métal vibrer légèrement. Je pivote vers Loïs, un sourire provocateur au coin des lèvres, et lance d’un ton fier : "Alors, prêt à mordre encore la poussière, Loïs ?"

 Il roule des yeux, un rictus amusé lui échappant, mais je vois l’éclat de défi dans son regard. Mon cousin saisit sa propre épée, l’épaisse garde de la lame luisant faiblement à la lueur des flammes. Nous échangeons un regard complice et déterminé, un sourire qui n’a rien d’enfantin — ici, dans cette forge, c’est le métal et le feu qui mènent la danse, et chaque entraînement est un pas de plus vers la force, l’endurance, la maîtrise. Rybald, les bras croisés, nous observe, son sourire se transformant en une expression de fierté.

 Nous traversons le seuil de la pièce adjacente, quittant la chaleur écrasante de la forge pour un espace plus frais, mais tout aussi imprégné de l’odeur de métal et de bois. C’est notre sanctuaire personnel, ce lieu étroit où la lumière vacillante des torches vient danser sur les murs de pierre et les poutres usées, là où nous venons chaque jour éprouver notre force, tester nos limites, et affiner nos techniques sous l’œil sévère mais bienveillant du forgeron.

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