Chapitre 3
Cartétoile, Nord-Ouest de Mivaar
Elerinna
Je me place au centre, mon épée levée, chaque muscle en alerte. Devant moi, Loïs s’éloigne de quelques pas, le regard concentré, les épaules un peu raides. Il a pris sa position habituelle, solide sur ses appuis, mais je décèle déjà cette petite tension dans son poignet, la manière maladroite dont il tient l’arme — un angle qui trahit la faiblesse d’un coup à venir, la faille que je connais bien et que j’exploiterai sans hésiter.
Un sourire malicieux me fend les lèvres. Je fléchis légèrement les genoux, prenant appui, et d’un geste vif, je feins une attaque sur sa gauche. Loïs, comme je m’y attendais, esquive en pivotant, ses mouvements plus rapides que son regard nerveux ne le laisse paraître. Ses pieds glissent avec une agilité surprenante, un jeu de jambes impeccable qu’il semble maîtriser presque instinctivement, ce qui lui donne l’avantage de toujours se soustraire à mes attaques. Je m’élance à nouveau, frappant cette fois de la pointe de ma lame en direction de son épaule. Mais, encore une fois, il m’échappe, bondissant sur le côté avec cette légèreté qui le sauve, tandis que mon coup, trop sûr de moi, fend l’air dans le vide.
"Tu vas devoir faire mieux que ça, Elerinna !" lance-t-il, ses yeux brillants de défi.
Je l’ignore, me concentrant. J’enroule mes doigts fermement autour de la garde, me rappelant les conseils de mon oncle : viser précisément, sentir le poids de la lame, anticiper les esquives. Loïs est rapide, mais je suis patiente. Je mime une feinte en bas, et comme je l’espérais, il se détourne pour esquiver à gauche. Profitant de son élan, je pivote, et d’un geste précis, j’amène ma lame à frôler son flanc, juste assez pour sentir qu’il a failli perdre l’équilibre.
Il se redresse, un peu décoiffé, et me lance un regard en coin, visiblement agacé mais amusé. "Bien joué," concède-t-il, tout en reprenant sa position.
Je me remets en garde, mon souffle légèrement accéléré par l’adrénaline. Ses maladresses n’ont d’égales que son instinct d’évitement, un talent brut qui compense en partie sa prise un peu lâche, ses gestes parfois hésitants. Nous échangeons encore quelques coups, les lames s’entrechoquant dans une harmonie brute, presque rythmée, chacun de nous essayant de surprendre l’autre. Je frappe avec plus de précision, calculant chaque angle, chaque ouverture, tandis que Loïs danse autour de moi, insaisissable.
Puis, d’un coup, je m’élance, mon corps tendu comme un arc, et je plonge pour une attaque frontale, frappant de toute ma force en direction de son épaule droite. Loïs, sans réfléchir, esquive d’une pirouette habile et se retrouve derrière moi, sa lame pointée à quelques centimètres de mon dos. Je ris doucement, soufflée par sa souplesse inattendue, par la ruse qui illumine ses yeux.
"Pas mal, cousin," je souffle en me retournant, un sourire éclatant aux lèvres.
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La nuit est froide, et pourtant, je me réveille en sueur, la gorge nouée et le cœur battant dans ma poitrine comme un tambour de guerre. Je m’extirpe lentement des brumes d’un rêve confus, assaillie par ces images floues de la cape noire, cette silhouette furtive, ce regard que je devine sans jamais le voir. Ce n’est plus un souvenir ; c’est une sensation, un poids tangible sur ma poitrine, comme une présence qui glisse autour de moi, se faufilant dans les ombres même de mon esprit.
Je tire mes couvertures de coton et de laine autour de moi, mais le froid ne parvient pas à effacer les gouttes de sueur qui perlent sur mon front, dévalant ma nuque pour se perdre dans les plis de mon oreiller. Mon souffle est court, irrégulier, chaque inspiration semblant ne pas pouvoir atteindre mes poumons. Je m’agenouille lentement sur mon lit de paille, cherchant un ancrage dans la pénombre de notre petite chambre. La lueur argentée de la lune s’infiltre à travers la fenêtre, illuminant doucement l’espace. J’observe Loïs, profondément endormi sur son édredon juste en face de moi. Sa respiration est lente, calme, régulière, un contraste apaisant face au chaos qui bouillonne encore en moi.
J’essaie de me convaincre que ce n’est rien, pourtant, ce sentiment d’être observée refuse de se dissiper. Soudain, une lueur aveuglante surgit, me frappant avec une intensité si brutale que tout le reste disparaît instantanément. Les murs de la chambre, l'ombre familière de Loïs endormi, même le froid qui m'engourdissait, tout est englouti dans cette lumière blanche qui semble avaler chaque détail, chaque contour. Je cligne des yeux, écarquillés de terreur, mais je ne vois plus rien — juste ce blanc infini, oppressant, qui me donne l'impression d'avoir été arrachée à la réalité.
La panique me submerge, glaciale et violente.
"Loïs !" j’appelle d’une voix étranglée, le nom de mon cousin m’échappe comme une supplication. Pas de réponse, juste le vide. Je tends les mains autour de moi, tentant de retrouver quelque chose, n'importe quoi, mais il n’y a rien à saisir, rien d’autre que cette lumière implacable qui me brûle les rétines. Je ferme les yeux, fort, comme pour m’échapper. Mais cela ne suffit pas ; le vertige me prend, une sensation de bascule qui me donne la nausée. Tout se met à tourner, un tourbillon sans fin où mon corps semble perdre toute substance, où le haut et le bas se confondent, où même l’air me semble glissant. Mon estomac se retourne, mon cœur cogne de plus en plus fort, et je m’accroche désespérément au vide.
Puis, soudain, tout cesse.
Le noir m’envahit d’un coup, complet, total. Un silence lourd s’installe, un silence épais qui m'engloutit aussi sûrement que les ténèbres. Je n’ai plus aucune sensation, comme si mon corps s’était dissous dans ce néant.
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