Chapitre 35
Ecrit en écoutant notamment : Da Tweekaz - Game Of Thrones [Hardstyle]
Je fais d’abord la bise à mon amie, et alors que Renan tendait poliment la main vers mon ami marocain, ce dernier vient au contraire l’enserrer de ses bras. Mon amoureux semble surpris par cette marque d’affection venant d’une connaissance qu’il n’a rencontrée qu’une seule fois, mais semble mieux comprendre Aymen quand celui-ci fait de même avec moi, m’infligeant en supplément une bourrade qui me fait sursauter.
Nous nous mettons rapidement en marche pour tenter d’accrocher le bus suivant, qui devrait passer dans moins de cinq minutes. Je suis interloqué par un tintement périodique provenant de ma gauche, mais associe rapidement ce son finalement si caractéristique à une des passions d’Aymen :
— Ne me dis pas que t’as encore ramené ton Ricard ? lancé-je en commençant déjà à rire sur la fin de ma phrase.
— Bien sûr que si ! Sérieusement, il y a rien de mieux, frère ! Et t’en trouves pas souvent en soirée. Tu vas voir, les petites parisiennes, je compte bien en choper une ou deux !
Lorsque nous arrivons sur le site du campus, je prends des airs de guide touristique pour m’amuser, et démarre ma visite :
— Alors, à gauche de l’esplanade centrale, vous avez les bâtiments avec la plupart des salles de cours, c’est là qu’il y aura la soirée d’ailleurs, et nos résidences universitaires sont à droite à deux cent mètres.
— C’est quand même particulier, remarque Eléa, désignant les nombreuses grues qui s’élèvent non loin du campus.
— Ouais, c’est encore pas mal en travaux, réponds-je, mais on s’y habitue.
Nous suivons les chemins qui serpentent entre les différents logements, et je leur indique :
— Attention, par contre, pour ce soir, ne vous aventurez pas trop loin là-bas derrière ; il y a quelques dizaines de gitans qui se sont installés récemment, et quelques embrouilles ont déjà éclaté avec eux, en particulier avec des étudiants bourrés qui sont allés se promener dans le coin.
— C’est vrai ça, ou tu me fais marcher ? demande Aymen, largement surpris.
— Ah non vraiment, je suis très sérieux ! On attend que la gendarmerie s’occupe de ça, mais ça risque de prendre encore plusieurs semaines malheureusement…
— Bon ok, je note… Il y a d’autres informations vitales à connaître, pour survivre ici ?
— Non non, c’est à peu près tout, je crois !
Nous montons ensuite nous poser dans l’appartement de Renan, et entamons quelques parties de tarot tout en discutant de nos dernières semaines, lesquelles ont par ailleurs suffi à Aymen pour enchaîner avec trois filles différentes.
Lorsque je prends mon jeu en main pour une nouvelle partie, je m’efforce d’effacer mon sourire malgré les deux bouts, trois rois et neuf atouts que je découvre. Ils vont prendre cher, cette fois-ci ! Conformément à ma prédiction, je remporte haut la main la partie, me faisant copieusement huer pour ma chance.
Cela me donne envie de corser un peu les choses en transformant notre occupation tout à fait distinguée en vil jeu d’alcool, mais Éléa me reprend :
— Ce n’est pas toi qui disais qu’il ne fallait pas trop boire avant une prestation ?
— Si si, mais on va y aller dans la mesure, ne t’en fais pas !
Évidemment, inutile de préciser que ma chance a ensuite filé à l’anglaise sans que je puisse remettre la main dessus. Mais ce n’est pas si grave, on dit bien « Heureux au jeu, malheureux en amour », alors pourquoi pas l’inverse ?
Vers sept heures, nos amis n’étant pas enchantés à l’idée de tester notre restaurant universitaire, nous réunissons de quoi élaborer ce qui devrait ressembler à des pâtes à la carbonara. Renan et moi nous attelons à la tâche sous le regard amusé des deux Ardéchois, qui nous chambrent gentiment sur le magnifique couple que nous formons, selon eux évidemment. Comme à mon habitude, je ne sais pas si je dois me sentir fier ou gêné, mais finalement, dans l’intimité de notre groupe, je ressens plutôt une onde de chaleur tout à fait positive me parcourir.
Je remarque même que je me suis un peu trop enhardi lorsque je me retrouve le torse contre le dos de mon amoureux, qui est en train de découper des oignons, et mon entrejambe quasiment plaqué contre ses fesses, et qu’Aymen me fait remarquer que la scène commence à ressembler à un début de film X. Mi-honteux, je me décolle légèrement pour retrouver une position moins tendancieuse.
J’ai vraiment l’impression d’être soit trop dans la réserve, soit directement dans l’excès… Renan, qui a constaté mon embarras, me souffle à l’oreille :
— Réserve un peu tes ardeurs pour ce week-end, j’en aurai bien besoin…
Plus tard dans la soirée, nous nous dirigeons vers un des nombreux befores organisés dans les colocations étudiantes. Alors qu’Éléa nous accompagne dans notre toute relative modération, nous secouons tous les trois la tête avec un dépit amusé en voyant Aymen empiler shot sur shot et s’intégrer joyeusement aux parties de beer-pong. Il n’a clairement pas l’air dépaysé !
La soirée avance tranquillement jusqu’à l’heure de notre set ; dire que nous sommes stressés serait un peu exagéré, je préfère plutôt parler d’une profonde envie de bien faire ! Nous échangeons un rapide baiser aux effluves légèrement alcoolisées avant de monter sur l’estrade surplombant le gymnase qui fait ce soir office de piste de danse. Pour réaliser une transition harmonieuse avec le duo précédant qui mixait essentiellement de la house, nous commençons comme prévu par quelques morceaux de minimal techno au même rythme. De plus, c’est un style particulièrement aisé à mixer car il y a peu de fréquences qui se superposent, et que les motifs musicaux sont longs et répétitifs. Difficile de localiser nos amis dans la foule, mais étant donné que celle-ci semble pour l’instant bien apprécier dans l’ensemble, nous sommes convaincus que c’est également leur cas !
Renan sort ensuite notre arme secrète avec un morceau assez langoureux qui s’intègre néanmoins bien à l’ensemble. Il s’empare du micro, et annonce :
— Allez-y, c’est le moment pour aller voir votre crush !
Afin de se montrer plus persuasif, il joint le geste à la parole en venant m’embrasser subitement. Je commence doucement à m’habituer à ses élans affectifs soudains, et souris tout en calant avec application le prochain morceau. Nous passons ainsi une dizaine de minutes sur des titres plutôt calmes, avant de repartir en force sur du hardstyle, avec un petit remix très sympathique de la bande originale de Game Of Thrones. Nous commençons à sentir que la centaine de personnes restantes commence sérieusement à monter en température, et Renan lance donc un morceau avec un build-up particulièrement long pour susciter une attente maximale. Enfin, les kicks et les basses arrivent, faisant probablement trembler les vitres extérieures, mais ravissant la foule.
Puis soudain, les danseurs s’arrêtent nets lorsqu’un silence assourdissant s’abat sur la piste. Nous sommes tous les deux complètement pris de panique, tentant de débrancher et rebrancher les platines en vain, alors que les sifflements, qui font suite à la surprise générale, commencent à fuser en notre direction. Ce n’est qu’une minute plus tard que nos collègues remarquent que l’alimentation des amplis a été coupée, et nous pouvons heureusement terminer notre set et faire remonter l’ambiance avant que la salle ne se soit trop vidée de ses occupants. Pour essayer de rattraper la bavure, nous mettons le paquet dans les vingt minutes restantes, ce qui semble plutôt réussi.
Dès la fin de notre prestation, je descends examiner les branchements électriques, et ce que je soupçonnais est confirmé. Dans la précipitation, le collègue qui nous a sauvé n’a pas remis le loquet de sécurité sur la prise ; cependant j’avais bien vérifié que c’était le cas avant le début de notre set. Je ne peux m’empêcher de penser que la coupure a donc été très vraisemblablement volontaire. Et le premier nom qui me vient à l’esprit est celui de Laszlo.
Plus j’y réfléchis, plus je trouve ça logique. Il doit forcément penser que j’ai dû influencer négativement Mila et que c’est pour cette raison que leur relation se trouve actuellement largement détériorée. Je fais part de ma réflexion à Renan après que nous sommes sortis de la salle afin d’être au calme.
— Ah mais c’est sûr hein ! Mais quel salaud celui-là !
Je hoche la tête, vraiment très déçu que notre progression ait été aussi brutalement interrompue. Même le fait que nous ayons assez bien réussi à relever la barre sur la fin me laisse un goût extrêmement amer. Alors qu’Eléa nous a repérés et viens nous rejoindre, Renan se pince les lèvres, puis ajoute :
— Et puis je crois que finalement ce n’était pas une super idée de le provoquer devant chez lui en s’embrassant.
— Bah alors, il s’est passé quoi à l’instant ? s’enquiert Eléa.
— On est en train d’y réfléchir en ce moment-même, réponds-je, agacé, mais je suis sûr que quelqu’un a volontairement débranché ces putains de câbles !
— Mais sinon c’était vraiment super sympa ! Je me suis même permis d’embrasser un joli garçon pendant votre tour !
— Tant mieux, répliqué-je, peu convaincu.
De plus en plus persuadé que Laszlo est à l’origine de notre problème technique, je prends avec entrain la direction de son appartement. Renan, qui a compris ce dont il en retournait, tente de me raisonner, mais n’essaye plus de me rattraper quand je commence presque à taper un sprint. Sur ma lancée, je n’attends même pas l’ascenseur, et monte les trois étages en courant, trois marches à la fois.
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