XV

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Les conclusions quant à ma culpabilité furent vite établies, mes empreintes figurant sur le couteau facilitaient grandement l’enquête ; tout concourait à ce que je sois le meurtrier de Lucie. J’eus beau arguer que la nuit précédente un chauffeur de taxi avait partagé une bouteille avec moi, j’eus beau leur donner tous les détails possibles concernant André et en dépit du témoignage de Nono, André n’avait laissé aucune trace dans mon appartement. Il avait pris soin de faire disparaître toutes les traces qui pouvaient remonter à lui comme le verre avec lequel il avait bu, ses mégots ; seule une empreinte étrangère avait été décelée sur un des accoudoirs du fauteuil en skaï où il s’était assis. Mais cet indice ne menait à rien de plus. Le fait qu’une tierce personne avait tout manigancé faisait rire les flics plutôt qu’autre chose. Mon avocat refusa cette option pour étayer ma défense. De toutes les façons il me croyait coupable et tablait davantage sur mon addiction et les troubles de ma personnalité qui m’avaient mené à plusieurs reprises en hôpital psychiatrique. J’étais pris à la gorge, l’ironie de la situation faisait que j’étais coupable d’un crime que je n’avais pas commis alors que j’avais à mon actif quatre meurtres pour la plupart réfléchis. En d’autres termes j’étais un tueur condamné pour un crime qui n’était pas de mon fait, pire encore on m’accusait d’avoir tué le seul être que j’admirais et aimais sincèrement. Mis à l’écart dix jours en cellule d’isolement, je passais en procès de manière relativement immédiate. Mon passé d’alcoolique me rattrapait et le procureur s’engouffra dans cette brèche, étayant sa stratégie accusatoire sur le rapport psychiatrique déplorable à mon sujet, justifiant une mémoire trop vacillante pour accorder foi à mes dénégations. En d’autres termes l’emprise de l’alcool pouvait me pousser à des aberrations susceptibles de commettre l’irréparable. Enfin mes diverses interpellations pour ivresse et violence faisaient grandement pencher la balance de son côté. Mon avocat se débattit comme un forcené, bien qu’il fût commis d’office et qu’il fut persuadé de ma culpabilité, mais sa conscience professionnelle me rendit quelque peu service. Il invoqua l’irresponsabilité érigeant l’alcoolisme en une maladie grave, ce qui était vrai en soi, mais malheureusement en ce début du vingt et unième siècle cette affection restait toujours taboue. Aux yeux du jury d’assises je n’étais qu’un vulgaire pochard que l’abus d’alcool rendait dangereux pour la société, un ivrogne qui avait bu un verre de trop, ce qui avait débouché sur l’impardonnable. Le juge pour sa part avait un sentiment plus tempéré, il avait tenu compte de cette maladie d’alcool, maladie aliénante s’il en est, qui atténuait ma responsabilité. Il écouta donc mes clameurs d’innocence avec une petite dose d’intelligence supplémentaire et me factura quinze ans fermes dont dix incompressibles. Je gardai mon sang-froid à l’énoncé de la sentence, je me disais que c’était de bonne guerre si l’on considérait la disparition de Virginie, Émilie, le curé et la bonne sœur. Je me disais qu’il y avait dans ce monde une loi naturelle, mais très vite cette « mystique » se désagrégea et m’apparut comme inconcevable. La vie, selon moi, étant aveugle, mon histoire m’avait simplement rattrapé. Néanmoins je m’en sortais plutôt bien malgré la sincérité de mes larmes qui surgissaient à chaque fois que je réalisais concrètement la disparition définitive de Lucie. Ironie du sort comme je l’ai dit plus haut, ironie de la vie, ironie de la justice des hommes, ironie tout court, voilà ma minable conclusion. Je n’avais déjà pas beaucoup d’espérance pour ce monde qui m’avait fait naître, le résultat du jugement confortait mon opinion sur l’iniquité ou plutôt l’absurdité de celui-ci.

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