XVII

4 minutes de lecture

Je ne me laisserai pas aller à une poésie déplacée la première fois où les portes de l’enfermement s’ouvrirent. Ceci est paradoxal, les gens à peu près sensibles le savent ; ce qui m’a marqué c’est avec quel détachement, avec quelle banalité on considéra ma petite personne, personne qui va casser des briques, pour employer une image, pour des gens qui creuseront tout aussi méthodiquement ma tombe.

Après une fouille complète et exhaustive les matons prirent le relais des flics ; j’allais découvrir les bienfaits du monde carcéral et républicain.

Ce fut tout d’abord une rumeur animale, atavique qui raisonnait dans cet interminable couloir, son odeur indéfinissable puisqu’elle résumait deux choses contraires : la saleté composée d’effluves corporelles, de rance et de mauvaise nourriture et surtout de déjection fécale mêlée à de puissants détergents, toutes ces particularités me préparaient à un monde où la logique n’était pas la mienne. Je fus pris de panique et faillis m’effondrer comme un gosse mais mon orgueil prit le dessus, je savais instinctivement qu’à partir de ce jour je devais mettre mes sentiments en veilleuse, ne laisser aucune prise à l’ingérence mentale des autres ; toujours est-il que j’étais terrorisé à l’idée de vivre dans ce monde que je savais brutal, où seule la loi du plus fort prédominait, loi qu’il faudrait que j’apprenne et que j’applique ou plutôt que je compose avec elle. L’idée de savoir avec qui j’allais me retrouver en cellule m’angoissait fortement mais néanmoins je faisais confiance en mon sens de l’adaptation.

Adaptation qui fut remise en cause lorsqu’un détenu préposé au nettoyage, ne tenant aucun compte du maton qui m’escortait me prit par le bras et me dit : « t’es un tueur de femme... alors t’as tout à donner mon biquet », le porte-clés me regarda d’un air bovin puis il esquissa un léger sourire sarcastique pour me susurrer : « bienvenue au paradis, celui des criminels bien sûr. »

Où avais-je atterri ?

Une fois la porte de la cellule ouverte je fus pris de stupeur devant l’exiguïté de la pièce, je n’imaginais absolument pas qu’un espace aussi restreint puisse accueillir autant de personnes. Il y avait quatre hommes dans ce qui devait faire dix mètres carrés. Deux lits superposés d’un côté, deux de l’autre et un matelas enroulé au milieu qui devait sûrement m’être alloué. Je vis instantanément sur leur visage la nuisance que je représentais : un autre qui va accroître le confinement et respirer le même air de leur bocal. Ils n’avaient surtout pas à fêter mon arrivée mais plutôt faire appel à leur instinct de taulard et sentir ce que j’étais, si j’allais leur créer du désagrément et mettre en péril leur minutieuse routine. Je compris tout de suite en voyant leur regard à la fois fuyant mêlé d’une acuité spécifique à leur état que j’avais mes preuves à faire face à eux. Je savais, ou plutôt je sentais, qu’il y avait une règle voire une loi spéciale à ce milieu qui concerne tous ceux qui n’en ont pas et qu’il me faudrait décoder.

– Démerde-toi maintenant, c’est à eux que tu auras à faire me cracha le maton.

Mon sac en plastique à la main avec de quoi me changer deux fois par semaine et me laver si possible tous les jours grâce à un minuscule lavabo, qu’il faudra partager à cinq, situé à gauche de la lourde porte qui venait de se refermer en claquant avec le cliquetis du trousseau de clés, bruit qui me sera plus que familier à l’avenir, je me trouvais face à mes codétenus, face à quatre paires d’yeux qui, depuis le départ du gardien, me scrutaient avec plus d’insistance essayant de deviner si dans mon sac en plastique s’il n’y aurait pas quelque chose qui leur ferait défaut.

La cellule était un véritable gourbi, mais un gourbi savamment étudié où chaque chose avait sa place, les murs d’un vert délavé relevaient encore plus la vétusté des lieux, ils suintaient le désespoir et la douleur ; quant à la lumière du jour elle était diffusée avec parcimonie par une lucarne située au fond à quelques centimètres du plafond de la cellule.

Je fus mal reçu ou pour dire vrai je ne le fus pas du tout. Le matelas qui se trouvait entre les deux rangées de lits était fagoté comme une paupiette. Je me permis un mot : « Je dors au milieu, c’est ça ? »

– Tu dormiras à une place puisqu’on t’a mis ici tueur de femme ! Je me rendis compte que je n’avais plus rien à cacher sur le pourquoi de mon séjour parmi eux, il y avait déjà eu le préposé au nettoiement et maintenant ce grand brun à la mâchoire massive, aux yeux petits et rapprochés et à la carrure impressionnante. J’en déduisis que, par je ne sais quel mystère de la communication, toute la prison était au courant.

– Vous êtes tous affranchis si je comprends bien.

– Écoute, on est tous à la même enseigne ici, nos délits tu les connaîtras plus tard si tu sais faire ta place puisque ça a l’air de te tenir à cœur.

– Ne t’inquiète pas je me ferai discret, au fait je m’appelle Thomas…

– Moi c’est Richard.

Au bout de la cellule se trouvait une petite table sur laquelle à part des clopes et un cendrier rempli à ras bord, il y avait des revues pornographiques. Le décor était presque planté, en tout cas le ton était donné. Je vis sur les murs une sarabande de cuisses ouvertes qui n’attendaient qu’à être prises. À droite de la porte se trouvait le trône où tout le monde se délestait devant tout le monde. Je me demandais si je pourrais déféquer ainsi devant une assemblée. À ce moment un des détenus se leva, pris une revue et s’installa sans aucune pudeur ni pour son anatomie ni pour les bruits qui allaient de pair.

Il fallait à tout prix que je m’adapte si je ne voulais pas rendre mon "séjour" plus infernal qu’il ne l’était déjà.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Django Doe ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0