XIX
À part l’accueil relativement humain des colocataires avec qui j’allais passer un bout de temps, j’appris des choses ou plutôt ce sont ces choses qui vinrent choquer contre moi comme une pluie de grêlons de la taille d’une boule de pétanque. Il y eut d’abord la promiscuité avec son mélange d’odeur de mâle pas très propre, ce toilette à la vue de tout le monde qui donne plus envie de se retenir que de se soulager. Mais on s’y fait vite puisque nous sommes tous logés à la même enseigne et la pudeur s’estompe très vite. La masturbation a aussi une part importante dans la vie du taulard, surtout le soir, les lumières éteintes. Au début il me semblait répugnant que l’on puisse se livrer à cet onanisme dans une cellule où quatre autres personnes cohabitent mais j’ai vite pris le pli et cette promiscuité ne devint pas un problème majeur. Par contre il y eut les douches où le malheur d’avoir un beau petit cul mettait certains en état de turgescence qui, sans la présence des matons, te feraient subir les pires saloperies aux yeux et à la barbe des codétenus. Dans ce cas deux solutions : user de diplomatie sans le moindre écart de langage, mais ça continuerait la prochaine fois, ou la cogne et tu t’en prends plein la gueule mais tu es respecté car tu as sorti tes griffes, tu ne t’es pas conduit comme un mouton. D’ailleurs plus tu en ressors amoché plus tu peux exhiber tes tuméfactions comme des médailles. Il y a aussi parfois le retour de bâton où tu prends un coup derrière la tête avec un savon emmitouflé dans une serviette, être tiré dans un angle mort pour qu’un affreux te trifouille l’anus pour y mettre son vit. J’ai vécu cela, ma stratégie a malheureusement été la diplomatie, jusqu’à avoir un bout de gland dans la bouche. On m’a respecté lorsque le bougre a vu sa joue balafrée par une lame de rasoir de la commissure des lèvres jusqu’à l’oreille dans la coursive devant tous les détenus. Je ne sais où j’ai trouvé le courage de consommer ma vengeance, je me suis dit que la prison faisait ressortir les hommes des premiers âges. Ensuite il y a la promenade où tout le monde circule dans un espace délimité mais assez vaste pour permettre toutes les transactions possibles. C’est surtout à ces moments qu’il faut rester sur ses gardes et jouer les masques. La peur se renifle à dix pas et le premier caïd "mettra à l’amende" celui qui n’aura pas une cuirasse suffisamment hermétique pour contenir la sudation caractéristique de la peur. Le regard aussi est important, le soutenir sans le soutenir : un juste milieu. Surtout ne pas montrer que l’on a de l’éducation, il faut être brut de décoffrage en prison. Je m’y suis laissé prendre avec une bande de maghrébins qui voulaient mes baskets et mon Célio. Il a fallu, et cela s’est présenté comme une évidence, que je me rebiffe avec une haine non réfléchie, brutale, bestiale, le goût du sang dans la bouche, pour me dépêtrer de ce tissu de mauvaise foi et de méchanceté gratuite avant qu’ils ne deviennent une tapisserie.
La prison est grise, l’espérance ne réside qu’en soi, aucun espoir sinon soi, une fois respecté, les jours, les lieux, les gens sont mornes, gris comme les murs. L’amitié en prison ne tient que par ce que tu peux donner mais ne jamais recevoir du moins dans la plupart des cas. Si tu veux ton dû, tu dois te servir de tes poings. Seule la cellule donne un semblant de normalité, car tout y est mis à la disposition de tout le monde, si bien sûr les codétenus sont plus ou moins civilisés. Dans ce cas tout y est réparti équitablement, du pet de ménage au rot tonitruant jusqu’à l’affinité intellectuelle qui créent un lien relativement humain.
Pour résumer, la taule est un microclimat où la mousson tombe sans arrêt, les vapeurs du matin ne se dissipent que le soir quand le cachet salvateur nous plonge dans un sommeil sans rêve. Le reste du temps ce ne sont que regards aux aguets, sur la défensive, qui cherchent par mille moyens à exister dans la peur de l’autre.
Je me suis souvent demandé si l’enfer était en bas ou bien en haut, je ne sais ce qu’est la douleur «sublime», celle qui ne donne d’autre droit que l’effacement de soi, la peur que j’ai ressenti les premiers temps me conditionnait à tout faire pour ne plus exister, à me nier. Mais lorsque ce sophisme me traversait l’esprit, les corps de mes cadavres plantés en terre me revenaient et je me disais hautainement que la vie et l’enfer ne sont que des notions que nous nous évertuons à faire exister. EXISTER, si l’on n’a pas compris ce concept en milieu carcéral on finit en tagine. Un philosophe disait « l’Existence etc. » ce qui fait naître l’espoir et l’implication de soi. Suis-je de ceux qu’il faut fouetter pour être heureux ? Ô combien non ! Ma logique est de frôler le soleil sans tomber en déliquescence.
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