XX

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Ma relation avec Benoît se consolidait, nous passions de longues journées à disserter sur l’absurdité du monde, il considérait son sort comme une sentence méritée, bien qu’en ce qui me concernait, je ne lui avais rien dit de mes véritables exactions. D’une part parce que j’avais trop peur qu’il me repousse, son amitié étant trop précieuse pour moi, ensuite je ne ressentais aucun besoin de crever un abcès qui n’existait pas. Je considérais presque ces "épisodes" comme des expériences acquises et qui n’avaient plus lieu d’être confirmées. Elles ne taraudaient pas ma conscience, la seule obsession qui envahissait régulièrement mon esprit était les moments merveilleux que j’avais passés avec Lucie, mais surtout l’image de sa gorge tranchée, de la flaque de sang répandue au bas du lit avec en son centre ce couteau qui m’avait amené ici.

Il ne m’avait jamais fait part de son opinion concernant ma condamnation, malgré mes sincères cris d’innocence, peut-être par pudeur ou peut-être parce qu’il doutait de ma bonne foi. Toujours est-il que sa santé déclinait de jour en jour, le "crabe" avait pris possession de ses poumons et il savait que ses jours étaient comptés. Il abordait l’échéance ultime avec un stoïcisme édifiant. À certains moments j’enviais sa situation ; la vie ne m’apportant plus rien de constructif, du moins à long terme, l’idée d’une mort naturelle, la souffrance en moins bien sûr, on ne se refait pas, apportait à mon esprit une vague bienfaisante. Je ne jouais pas pour autant les bons samaritains avec lui, il était trop fier pour ça et nos rapports étaient basés sur un mélange d’esprit et non de sentiment.

Une nuit d’hiver sa quinte de toux dura plus qu’à l’accoutumée, elle dura même toute la nuit. Bien que j’appelais les "matons" pour qu’ils fassent venir le médecin afin qu’il le transfère à l’infirmerie, ils se contentèrent de regarder par l’œilleton pour nous dire qu’il n’y avait pas le feu, que ce n’était pas la première fois et que demain le médecin interviendrait à la première heure. J’eus beau leur faire comprendre, par porte interposée, que jamais il n’avait eu une crise pareille, ils ne voulurent rien entendre, trop contents de regagner leur bureau de surveillance pour finir leur partie de poker ou finir de visionner le dvd précédemment commencé. Je me levai pour lui donner un verre d’eau.

– Merci Thomas, t’es un frère, mais tu sais, je crois que cette fois- ci c’est la bonne.

– Comment ça la bonne, qu’est-ce que tu racontes ?

– Je vous emmerderai plus longtemps, vous pourrez avoir des nuits tranquilles, dit-il entre deux quintes.

Je sentais que la fin était proche, ses draps étaient tachés de sang, son visage était trempé de sueur, mais comme toujours dans ces situations on se trouve très vite à court d’argument, on ne peut prodiguer qu’un réconfort gratuit.

– Dis pas des conneries, un séjour à l’hosto et tu nous reviendras requinqué.

J’avais mauvaise conscience de le bonimenter ainsi parce qu’il avait raison, je sentais la mort toute proche comme une odeur de cadavre qui exhalait de sa bouche. Mais cette fois-ci, contrairement à la disparition de Lucie, je ne voulais plus me voiler la face.

– Excuse-moi Benoît j’essaye de te réconforter mais tu as raison, entre nous on a toujours été " franco de port ", ça ne sert à rien que je te cuisine du réconfort, t’es vraiment mal en point et j’en suis profondément affecté, excuse-moi de te dire les choses comme ça.

– Mais c’est comme ça que je veux les entendre, pas de fioritures avec moi, de toute façon je suis prêt. Quant à toi tu es fragile Thomas, tu as su te préserver jusque-là, continue de ne pas faire de vagues. Maintenant je crois que je vais pouvoir me reposer un peu, je sens que ça passe, je me sens anesthésié, c’est pas bon signe. Si je passe l’arme à gauche, et c’est dans l’ordre des choses, tu prendras mes bouquins c’est ma seule fortune.

– Merci pour l’héritage mais tu es encore parmi nous. Maintenant essaye de dormir.

Je tiens à préciser que toute cette conversation était entendue de tous et acceptée de tous car quelque part j’exprimais ce que tout le monde ressentait. Effectivement vers cinq heures du matin sa respiration se fit plus régulière, sa toux cessa, épuisé, je sombrai, ainsi que mes camarades, dans un sommeil profond.

Le réveil se fit comme à l’accoutumé : agressif. La sonnerie retentit à six heures trente et il me fallut quelques instants pour reprendre mes esprits et me remémorer la nuit infernale que nous avions passée, une intuition désagréable me traversa l’esprit et je me levai promptement pour voir comment allait Benoît. Il était immobile, la bouche légèrement entrouverte, je posai ma main sur sa joue, il était glacé. Je le bousculais quelque peu et constatais qu’il ne réagissait pas.

La conclusion était sans ambages, Benoît avait cessé d’exister.

Je n’eus pas besoin d’en faire part aux autres, et une chape de silence s’abattit dans la cellule. Nous restâmes hébétés pendant des secondes interminables quand, à ma grande surprise, Michel poussa un cri de rage, comme si sa personne tout entière vomissait un désarroi millénaire. Il se rua sur la porte en enjambant mon matelas comme une furie et tambourina à la porte pour appeler les "matons".

– Bande de salauds vous l’avez laissé crever comme un chien ! Vous auriez pu le sauver mais on est que de la merde pour vous ! Vous n’êtes que des raclures ! Des ordures ! Des enculés ! …

La porte s’ouvrit peu de temps après ce déversement d’injures. En premier lieu apparut une blouse blanche, encadrée par deux porte-clés qui tirèrent Michel à l’extérieur de la cellule et le neutralisèrent contre la rambarde de la coursive. Je ne l’avais jamais vu dans un état pareil, il se démenait comme un forcené. Un troisième "maton" intervint et lui assena un coup de matraque sur un tibia, il s’affaissa en poussant un cri de douleur et resta prostré.

Vues les circonstances ils ne jugèrent pas utile de l’envoyer au "mitard".

Le médecin quant à lui prit le pouls de Benoît, pencha sa tête contre sa poitrine et constata ce que j’avais constaté peu de temps avant, et, avec un sarcasme innommable, il s’adressa à moi et me dit : « tu pourras avoir un vrai lit maintenant. »

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