XXII

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Il fallut bien que j’accepte l’arrivée de ce nouveau personnage d’autant plus que son magnétisme avait subjugué mes trois compères. Pour ma part, même si je donnais le change, ma place au sein du groupe n’était plus la même. Les gens sentent quand quelque chose va mal, ils se méfient, voire ils s’en défient. Une distance s’était instaurée, une distance qui ne se résorberait jamais.

Malgré les quelques mètres carrés dans lesquels nous étions reclus, je m’isolais paradoxalement de plus en plus, bûchant mes cours du CNED. Mais la tension qui me tenaillait m’empêchait d’apprendre, de mémoriser. J’avais sans cesse sous les yeux mon obsession incarnée et l’envie de boire me reprenait avec une intensité que je n’avais encore jamais ressentie.

Bref François, Abdel et Richard me mettaient au rancard, leurs conversations avec moi se limitaient au strict minimum. Daniel était en train de me phagocyter par personnes interposées. Richard lui-même si solide, baissait les yeux devant Daniel, Abdel le harcelait de questions, questions auxquelles il répondait avec beaucoup d’alacrité. François quant à lui m’avait complètement occulté, j’étais devenu transparent. J’aurais pu donner le change, feindre que mon double n’existait pas et l’accepter comme un "pékin" comme les autres, mais jour après jour mon tonus psychique s’amenuisait. En dépit de l’exiguïté de la cellule, je ne m’étais jamais senti aussi seul de mon existence ; nous étions les uns sur les autres je ne représentais plus rien à leurs yeux. Mes rares prises de parole n’aboutissaient à aucun échange.

Seul le regard de Daniel dialoguait silencieusement avec moi, mais la communication était à sens unique car je ne comprenais pas le message qu’il voulait faire passer, il n'y avait qu’un sentiment de forte culpabilité qui m’étreignait, une culpabilité dévorante qui me tordait les tripes.

Pourtant ce n’était pas les crimes que j’avais commis qui en étaient la source, c’était une pulsion sourde et indéfinissable qui mettait en émoi tous les recoins de ma psyché. Lorsque je hasardais mon regard, tentant de le surprendre affairé à quelque chose, immanquablement ses yeux se tournaient vers moi. Je lui lançais alors le défi de celui qui soutiendrait le regard de l’autre le plus longtemps, mais l’acuité, la froideur, la pénétration de son regard d’acier m’obligeaient à déclarer forfait.

Pourtant cette joute dépassait le stade puéril de la fixité, il me parlait, il mettait en éveil certaines parties de mon âme, mais il m’était impossible de verbaliser les " humeurs " que cela impliquait.

Comme je l’ai dit plus haut, l’ingérence de cet "inconnu" avait réveillé mes pulsions d’alcool, pulsions qui, face à une incompréhension, à une situation ingérable, faisaient que la jolie "fée éthylique" frappait à la porte.

Profitant d’une promenade je pris contact avec le " pourvoyeur " de la prison et lui commandai deux bouteilles d’alcool à 90°. Cette commande lui était facile puisqu’il travaillait au nettoyage de la partie infirmerie de la " zonzon " ; mais comme je l’ai déjà dit : on a rien sans rien en prison. Il accepta le deal pour cent euros, somme que je pouvais débloquer de ma banque et je pouvais profiter d’une visite de Nono qui me les ferait passer discrètement.

Je n’avais plus que lui comme véritable ami, un des rares aussi à croire à mon innocence. Et ce, en dépit des troublantes insinuations de Lucie, avant cette nuit fatidique. Après lui avoir passé un coup de fil, il vint me voir deux jours plus tard, cela faisait trois mois que je ne l’avais vu et en dehors du service qu’il allait me rendre, je ressentis comme une bouffée d’oxygène affective, pour ne pas dire d'amour, en voyant sa bonne tête de nain de jardin. Nous évoquâmes une fois de plus le décès de Lucie, de sa fin atroce puis je tentais de lui faire part de l’arrivée de ce troublant personnage qui hantait ma vie.

– Je crois que tu ne tournes pas rond Thomas, va voir le psy.

– Mais c’est déjà fait, il considère que c’est une poussée schizophrénique due aux séquelles de ma vie d’alcoolique.

– Il a sûrement pas tort puisque personne n’a remarqué cette troublante ressemblance, je pense vraiment que tu dérailles Thomas, je te le dis au nom de notre amitié, ne le prends pas mal.

– Je vais finir par le croire… je comprends, c’est trop inimaginable. Sinon tu as la " maille " ?

Il me fit passer deux billets de cinquante euros en faisant mine de faire tomber sa sacoche, le parloir étant ouvert et garni de tables, il était discrètement possible de faire passer quoi que ce soit. Quant aux euros il m’était facile de les dissimuler dans mon slip, la fouille du retour étant très sommaire, de plus il n’est pas interdit de posséder de l’argent.

J’eus mon précieux liquide le lendemain au cours de la promenade. Je ressentis comme une jubilation à l’idée de me vautrer dans l’ivresse, d’oublier ce reflet, de casser le miroir.

Encore les miroirs…

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