XXIII

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J’écourtai donc la sortie pour me rendre en cellule et diluer l’alcool dans deux bouteilles en plastique avec de l’eau et du sirop de menthe.

Une fois la bouteille en main, tous mes réflexes d’alcoolos me revinrent, comme si j’avais bu la veille : la position recroquevillée, la bouteille à portée de main et la table bien calée en face de ma couchette. Ce mélange rudimentaire n’était pas désagréable, le breuvage devait avoisiner les quarante degrés et je fus surpris, happé par l’ivresse après quelques petites gorgées.

Deux ans d’abstinence m’avaient rendu "puceau" face à ce qui avait été mon faux-ami pendant tant d’années. Je partis très vite dans mon médiocre petit monde intérieur où je réglais oniriquement mes comptes avec les gens qui m’avaient blessé, humilié et autre, mais surtout je tuais symboliquement Daniel.

Lorsque les autres réintégrèrent le "gourbi" exigu qui nous servait d’appartement, j’avais fini les trois quarts de la première bouteille et la fonction désinhibitrice du produit me remit sur les rails du cynisme et de la méchanceté gratuite, bien qu’en ce qui concerne cette dernière, je me gardais bien de ne pas la remettre en question ; surtout je voulais décapiter symboliquement Daniel, éradiquer ce visage qui me hantait depuis trop longtemps.

Ce dernier, en entrant, comprit très vite mes ruminations mentales comme si une partie de lui possédait les clés de ma vie intérieure. Il prit les devants avant que mon agressivité accumulée ne s’échappe comme un geyser.

– T’as pas l’air dans ton assiette Thomas, tu n’aurais pas bu par hasard ?

– Mais comment tu fais pour le savoir ? ! Tu mets en échec toutes mes velléités, tu les anticipes même, ça devient invivable !

Je trouvai, à ce moment, ce vocabulaire trop sophistiqué pour la langue locale, j’eu la certitude, d’entrée de jeux, d’avoir déjà perdu la face.

Je bus ensuite une énorme gorgée, suffisante pour vider la bouteille.

– Invivable ! Rétorqua-t-il, mais je ne t’ai jamais agressé ni manqué de respect !

– Tu vas pas recommencer tes conneries dit Richard, change de cellule si tu ne le supportes pas, ça allégera l’ambiance, ou alors fais-toi interner.

– J’y songe car on ne peut pas être aveugle à ce point-là.

À ce moment, Richard lorgna sur la deuxième bouteille, il comprit qu’il y avait matière à amusement. Intéressé, il se radoucit et mielleusement dit : « Ecoute Thomas on est tous conscients maintenant que t’as la cervelle en berne, c’est qu’on est tous les uns sur les autres et je comprends que t’en aies mare, mais prends-le sur toi, t’as pas le choix ! Je suis au courant du "deal" avec l’autre lardu, alors fais en profiter les copains, ça calmera les nerfs de tout le monde.»

J’avais bien saisi son manège et je ne pouvais m’y dérober, de plus j’avais déjà sifflé une bouteille dont les effets étaient suffisamment puissants pour que je puisse accepter cette invitation forcée.

On avait devant nous deux heures avant la prochaine ronde ; on mit la table à sa place initiale et l’on consomma la bouteille en une demi-heure. J’avais remarqué que Daniel avait à peine touché son verre. L’ivresse me permit de l’aborder franchement.

– Ben quoi Daniel t’as pas soif ?

– Quand j’ai soif je bois de l’eau, ta mixture à l’alcool à quatre-vingt-dix ne me dit pas grand-chose et puis j’ai besoin d’avoir l’esprit clair.

– Pourquoi, t’as rancard ce soir ? Dis-je en ricanant. Grossièrement.

– En quelque sorte.

François sortit une boulette de shit de "derrière les fagots" et le mélange alcool-cannabis radoucit grandement l’atmosphère. Je me sentis presque réintégré, mais je ne me faisais pas d’illusion, je serai de nouveau écarté une fois les effets estompés. Daniel resta stoïque pendant toute la durée de nos libations, il ne fuma que quelques bouffées sur un joint sans détacher son regard de ma personne. À nouveau ragaillardi je me lançais : « Qu’est-ce que t’as à me scruter comme ça ? Toi aussi tu trouves qu’on se ressemble » ?

– Recommence pas ton délire Thomas, aboya Richard, on passe un bon moment ne gâche pas tout !

J’acquiesçai de la tête, il était inutile de faire monter une pression déjà dans le rouge, de remettre en évidence cette inexplicable ressemblance. La réaction de Richard avait fait s’évaporer l’état euphorique qui m’avait permis un sursis mental, au contraire mon instinct belliqueux prenait le dessus, je me sentais aigri au point même de vouloir en finir.

Pour faire baisser la tension je décidai de m’isoler, si l’on peut appeler cela comme ça, une fois de plus, en m’allongeant sur ma paillasse. Les autres n’en firent pas cas, au contraire je sentis chez eux un grand soulagement.

Daniel quant à lui ne laissait rien transparaître. Je me recroquevillai contre le mur moisi, il ne voyait que mon dos, mais je sentais mon corps transpercé de toute part par son regard.

Après tous ces mois d’abstinence, l’alcool m’avait mis KO, d’autant plus que, depuis plusieurs semaines comme je l’ai dit plus haut, je déclinais physiquement, depuis l’arrivée de Daniel. Mon, cerveau complètement alcoolisé, en plus du cannabis, fonctionnait de manière anarchique. L’image de mes victimes s’entrechoquait avec les moments merveilleux que j’avais passés avec Lucie.

Lucie ma muse ! Le seul amour de ma vie.

Puis, je sombrais… dans un sommeil en béton armé.

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